Avignon 2005, la controverse Jan Fabre
Notice
Choisi comme « artiste associé » de la 59e édition du Festival d'Avignon, le chorégraphe, metteur en scène et plasticien flamand Jan Fabre suscite une « onde de choc » qui froisse certaines susceptibilités, mais engage le festival sur la voie de l'audace.
Éclairage
Metteur en scène, chorégraphe, auteur et plasticien, le Flamand Jan Fabre n'est pas vraiment un artiste consensuel. Depuis un premier spectacle, interrompu par la police aux Etats-Unis en 1980, cet « enfant terrible » des scènes européennes a maintes fois défrayé la chronique. Autant dire qu'en l'invitant à l'être l'« artiste associé » de l'édition 2005 du festival d'Avignon, ses deux jeunes directeurs, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, devaient se douter qu'ils allaient provoquer une « onde de choc », comme le dit le journal télévisé de France 2, le 9 juillet 2005, au lendemain même de l'ouverture de cette 59e édition. Dans leur éditorial, Hortense Archambault et Vincent Baudriller vantaient pourtant en Jan Fabre « un artiste qui ne cesse de questionner la vitalité de l'être humain, et d'interroger la place de l'art et de l'artiste dans notre monde. Il est un poète qui explore, jusque dans ses limites, son corps, son âme, ses visions. Nourri par l'histoire de l'art, des peintres primitifs flamands à Marcel Duchamp, du théâtre grec à Antonin Artaud, il s'exprime aussi bien par le dessin, la sculpture, l'écriture et l'art de la scène où se mêlent dans le corps des interprètes le théâtre et la danse. »
Cependant, avant même que ne commence le festival, la grogne couvait en sourdine : horreur et sacrilège, la danse prenait toute la place ! « A l'exception de Jean-Louis Trintignant qui donnera à entendre Apollinaire, point de théâtre dans la cour d'Honneur. C'est peut-être l'époque qui veut ça : que dans un lieu consacré au théâtre, on n'en trouve pas », écrivaient ainsi Jean-Pierre Léonardini et Marie-José Sirach dans l'éditorial du numéro « spécial Avignon » de L'Humanité. Peu diffusés en France au début des années 1980, les premiers spectacles de Jan Fabre, C'est du théâtre comme c'était à espérer et à prévoir et Le Pouvoir des folies théâtrales (voir ce document), étaient passés quasiment inaperçus de la quasi-totalité de la critique théâtrale. Dans les années 1990, le Théâtre de la Ville, à Paris, avait certes accueilli l'artiste flamand, mais en l'incluant dans sa programmation de danse.
La « controverse d'Avignon » s'est alors focalisée sur l'abandon d'un « théâtre de texte » au profit d'un « théâtre de l'image », manifestant là un certain conservatisme de la critique théâtrale française, alors même que s'était répandue en Europe la notion de « théâtre postdramatique », telle que définie par l'essayiste allemand Hans-Thies Lehmann : « La langue postdramatique est d'abord une mise en scène de tout ce qui fait la scène. Donnant son congé à la hiérarchie des genres, le théâtre postdramatique ne se soucie plus de la défense d'un territoire pur. Il est au contraire incessamment ouvert aux apports des autres formes artistiques, plastiques, visuelles, musicales, chorégraphiques et technologiques. Il postule que tout élément signifiant peut prendre place dans le travail de la scène. (...) L'art de la performance s'infiltre dans toutes les fibres du théâtre postdramatique – le théâtre comme performance, c'est-à-dire au plus près d'une expérience (du) réel, un processus qui opère à même les corps en jeu, une «esthétique intégrante du vivant» [1].
En 2005, au Festival d'Avignon, Jan Fabre était présent avec plusieurs spectacles : la reprise de Je suis sang (voir ce document), et la création de L'Histoire des larmes, tous deux présentés dans la Cour d'honneur ; ainsi que quatre solos dont il était l'auteur et metteur en scène. La Maison Jean Vilar, par ailleurs, accueillait l'œuvre plastique et visuelle de Jan Fabre, dans une exposition élaborée par Jérôme Sans, alors codirecteur du Palais de Tokyo à Paris. Il n'en fallait pas moins pour être au diapason d'un artiste protéiforme et inclassable. En le choisissant comme « artiste associé », le Festival d'Avignon confirmait « l'audace de sa nouvelle direction ». Quitte à froisser quelques sensibilités...
[1] Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre postdramatique, éditions de L'Arche, 2002.