Les Trois Boléros d'Odile Duboc
Notice
L'évènement du festival Danse à Aix, à Aix-en-Provence, s'intitule Trois Boléros chorégraphié par Odile Duboc, sur la musique de Maurice Ravel.
Éclairage
Boléro de Maurice Ravel est l'une des partitions les plus jouées et vendues au monde. Cette musique s'est aussi fait connaître par les nombreux ballets qui se sont lovés dans ses boucles répétitives. En 1928, la chorégraphe Bronislava Nijinska, soeur de Vaslav Nijinski, met en scène la danseuse Ida Rubinstein dans un décor et des costumes sous influence espagnole. Elle plante le scénario dans une auberge andalouse où une femme se livre à une danse de séduction sur une table. Cette table sera le socle de la version de Maurice Béjart en 1961. D'abord dansé par Duska Sifnios entourée de quarante garcons, Boléro se métamorphose au fil du temps. C'est un homme qui remplace la danseuse mais le corps de ballet masculin ne change pas. Enorme succès de cette pièce, la plus plébiscitée, la plus increvable, imaginée sur le Boléro. Filmé par Claude Lelouch dans Les Uns et les Autres en 1982, Jorge Donn y explose dans un lyrisme frénétique. Depuis les plus grands interprètes se risquent au centre du plateau rouge. En 2008, le danseur étoile Nicolas Le Riche a fait lever comme un seul homme les 2700 spectateurs de l'Opéra Bastille. La danse roborative de Béjart, la musique orgasmique de Ravel, provoquent un effet cathartique majeur. Depuis, d'autres propositions chorégraphiques ont vu le jour. Celles d'Emio Greco en 1998, de Raimund Hoghe en 2007, ont tatoué l'histoire de la danse. C'est en 1996 qu'Odile Duboc (1941-2010) décide de s'attaquer à cette partition-forteresse. Elle ose une série de trois boléros declinés sur trois directions d'orchestre différentes. Succès public. Oeuvre-phare de la chorégraphe, Trois Boléros enchaîne donc trois traductions chorégraphiques et spatiales de la partition de Ravel. Un groupe de dix danseurs, en justaucorps blancs, se glissent dans les mailles ; un couple les remplace, étroitement sculpté l'un avec l'autre pour une étreinte longue; vingt-et-un danseurs enfin s'engouffrent dans la pulsation de plus en plus pressante de Ravel. Ce pari, à première vue casse-gueule, réussit son coup. Depuis la mort d'Odile Duboc, et selon son désir, seul le second volet, interprété par Emmanuelle Huynh et Boris Charmatz, est régulièrement repris.
Odile Duboc crée sa compagnie joliment baptisée Contre-jour en 1980 avec la créatrice de lumières Françoise Michel. Travaillant en étroite complicité, elles conçoivent ensembles les pièces : chacune signant ensuite, qui la chorégraphie, qui les lumières. A la tête du Centre chorégraphique national de Belfort-Franche Comté de 1990 à 2008, Odile Duboc, longtemps basée à Aix-en-Provence, très active dans l'élaboration du festival Danse à Aix à la fin des années 70, s'est accrochée très jeune à la barre. Dès 4 ans, elle connait son vocabulaire classique. En 1970, elle ouvre une école, toujours à Aix-en-Provence, les Ateliers de la danse. Elle y gagne sa vie en donnant des cours de classique, de modern jazz. Elle croise des danseurs comme Madeleine Chiche et Bernard Misrachi, passés par l'enseignement de Jacques Lecoq, puis se fait connaître par ses danses dans les rues. En relation profonde avec l'eau, l'air, la terre, le feu, Odile Duboc élabore un mouvement enraciné rêvant d'envol, de légèreté - le ciel et ses oiseaux ont toujours fasciné Duboc -. De Insurrection (1989), le spectacle qui la fait "exploser" à Rien ne laisse présager de l'état de l'eau (2005 ), bain de sensations acidulées en passant par Comédie (1998), rêverie sur la comédie musicale américaine, elle a développé son sens de l'abstraction douce et tranquille. Elle déclarait en 2008 : "Je n'ai pas vraiment participé à ce qu'on appelle le "boum" de la danse contemporaine française au début des années 80. J'étais un peu à côté, dans la marge. En tous cas, je me sentais comme ça. Je suis arrivée à Paris, pleine d'ambition et d'attente, en 1980, mais j'ai vite été confrontée à la difficulté de me faire reconnaître et soutenir. On me cataloguait dans la pédagogie et la danse de rue...Je pense que je n'étais pas assez dans la modernité ludique de l'époque..."[1]. En 2008, Odile Duboc quittait le Centre chorégraphique national de Belfort où lui a succédé Joanne Leighton. Pour faire ses adieux à son public, elle avait imaginé une performance intitulée La pierre et les songes avec trois cents amateurs agés de 14 à 70 ans et une vingtaine de danseurs. En septembre 2009, la production avait eu lieu dans la citadelle Vauban, à Besançon. Entre chair et pierre.
[1]Le Monde, 08/05/2010