Le Ring du Centenaire à Bayreuth / An 5
Notice
Interview de Patrice Chéreau, au lendemain du triomphe ultime du Ring du centenaire, portant sur Bayreuth, son public, son caractère particulier, suivi d'un extrait de la scène finale du Crépuscule des dieux avec Gwyneth Jones, dirigé par Pierre Boulez.
Éclairage
Hué comme jamais en 1976, fêté comme jamais en 1980 (1 heure 30 minutes de rappels pour le dernier des 19 cycles de l'Anneau du Nibelung donné sur ces 5 années), le Ring du Centenaire, qu'on nomme aussi le Ring Chéreau-Boulez, reste d'abord dans les mémoires comme un évènement historique - ce qui était bien sa mission première : fêter le centenaire du Festival de Bayreuth. Mais il s'inscrit aussi moins comme nouveau modèle à répéter - une détestable habitude dans les milieux de l'opéra, et surtout du wagnérisme - que comme une ouverture définitive du jeu d'appréciation du Ring de Wagner - et de tout opéra du répertoire - non plus comme un objet figé, mais bien en tant qu'objet contemporain, à discuter, à apprécier, à proposer chaque fois selon une analyse, une compréhension, un regard neufs.
Richard Wagner laisse comme seule volonté testamentaire sur le plan artistique la phrase : « Mes enfants, faites du neuf ». Mais il est trahi par sa veuve Cosima surtout, puis par son fils Siegfried et sa belle fille Winifred, qui transforment Bayreuth, son théâtre de création, en un Temple d'un conservatisme vite éculé, servant hélas de modèle intangible à toute la production wagnérienne mondiale jusqu'au début des années 1950, et la ringardisant ainsi de façon dramatique.
C'est son petit-fils Wieland qui en 1951 retrouve le sens même de cette phrase en impulsant une révolution qui sera la base de la mise en scène d'opéra moderne. Imité partout dans les années 60 et 70, son concept scénique devient à son tour l'occasion d'un nouveau conservatisme, modernisé, mais stérile. Certes, dès les années 70, quelques metteurs en scène engagés renouvellent fortement le propos et l'approche de la mise en scène lyrique wagnérienne. Mais c'est bien le Ring de Chéreau-Boulez, par l'impact retentissant qu'il obtient, du fait de sa nouveauté d'interprétation musicale et scénique inattendue d'un public relativement conservateur, qui marque à nouveau une révolution artistique et plus encore une rupture définitive des habitudes des spectateurs du monde lyrique. Il est désormais impossible de considérer la production d'un opéra quel qu'il soit comme immuable, figée par la tradition et globale. Le spectateur devra désormais aller de théâtre en théâtre pour ajouter les expériences aux expériences, les regards aux regards, pour composer lui même sa propre appréciation de l'œuvre, un travail personnel qui n'aurait sans doute pas déplu à Wagner : n'attendait-il pas de l'œuvre qu'elle soit tout sauf un produit de consommation lyrique courante ?