Le Ring du Centenaire à Bayreuth / An 5

27 août 1980
04m 56s
Réf. 01072

Notice

Résumé :

Interview de Patrice Chéreau, au lendemain du triomphe ultime du Ring du centenaire, portant sur Bayreuth, son public, son caractère particulier, suivi d'un extrait de la scène finale du Crépuscule des dieux avec Gwyneth Jones, dirigé par Pierre Boulez.

Date de diffusion :
27 août 1980
Source :
A2 (Collection: JA2 20H )
Lieux :

Éclairage

Hué comme jamais en 1976, fêté comme jamais en 1980 (1 heure 30 minutes de rappels pour le dernier des 19 cycles de l'Anneau du Nibelung donné sur ces 5 années), le Ring du Centenaire, qu'on nomme aussi le Ring Chéreau-Boulez, reste d'abord dans les mémoires comme un évènement historique - ce qui était bien sa mission première : fêter le centenaire du Festival de Bayreuth. Mais il s'inscrit aussi moins comme nouveau modèle à répéter - une détestable habitude dans les milieux de l'opéra, et surtout du wagnérisme - que comme une ouverture définitive du jeu d'appréciation du Ring de Wagner - et de tout opéra du répertoire - non plus comme un objet figé, mais bien en tant qu'objet contemporain, à discuter, à apprécier, à proposer chaque fois selon une analyse, une compréhension, un regard neufs.

Richard Wagner laisse comme seule volonté testamentaire sur le plan artistique la phrase : « Mes enfants, faites du neuf ». Mais il est trahi par sa veuve Cosima surtout, puis par son fils Siegfried et sa belle fille Winifred, qui transforment Bayreuth, son théâtre de création, en un Temple d'un conservatisme vite éculé, servant hélas de modèle intangible à toute la production wagnérienne mondiale jusqu'au début des années 1950, et la ringardisant ainsi de façon dramatique.

C'est son petit-fils Wieland qui en 1951 retrouve le sens même de cette phrase en impulsant une révolution qui sera la base de la mise en scène d'opéra moderne. Imité partout dans les années 60 et 70, son concept scénique devient à son tour l'occasion d'un nouveau conservatisme, modernisé, mais stérile. Certes, dès les années 70, quelques metteurs en scène engagés renouvellent fortement le propos et l'approche de la mise en scène lyrique wagnérienne. Mais c'est bien le Ring de Chéreau-Boulez, par l'impact retentissant qu'il obtient, du fait de sa nouveauté d'interprétation musicale et scénique inattendue d'un public relativement conservateur, qui marque à nouveau une révolution artistique et plus encore une rupture définitive des habitudes des spectateurs du monde lyrique. Il est désormais impossible de considérer la production d'un opéra quel qu'il soit comme immuable, figée par la tradition et globale. Le spectateur devra désormais aller de théâtre en théâtre pour ajouter les expériences aux expériences, les regards aux regards, pour composer lui même sa propre appréciation de l'œuvre, un travail personnel qui n'aurait sans doute pas déplu à Wagner : n'attendait-il pas de l'œuvre qu'elle soit tout sauf un produit de consommation lyrique courante ?

Pierre Flinois

Transcription

Présentateur
Je vous propose maintenant de terminer cette édition sur un triomphe, celui de deux Français. Il ne s’agit pas de sport, cela se passait hier soir à Bayreuth. Pendant une heure et demie, les fanatiques de Wagner ont ovationné hier soir Pierre Boulez et Patrice Chéreau. 90 minutes d’applaudissements, 107 rappels, c’était la dernière représentation de la Tétralogie. Et pour la première fois une caméra, celle d’Antenne2, pénétrait à Bayreuth. Georges Bégou vient d’ailleurs de rencontrer Patrice Chéreau.
Journaliste
85 minutes d’applaudissements, 101 rappels, alors dans quel état vous êtes-vous senti hier ? Comment avez-vous appréhendé ce triomphe ?
Patrice Chéreau
Oui, ça fait, je ne voudrais pas avoir l’air dégoûté non plus, ça fait toujours plaisir évidemment. Mais ce qui me semble important, c’est que l’on soit quand même finalement arrivés au bout de ce qu’on voulait avec ce spectacle, c’est-à-dire que en cinq ans, on a réussi à faire, d’abord à convaincre le public de Bayreuth, ensuite à le changer même en partie, et que je sois arrivé, qu’on soit arrivés, Pierre Boulez et moi, à faire que le spectacle existe et qu’il existe comme on le voulait, maintenant.
Journaliste
Vous avez eu des difficultés, ça veut dire que Bayreuth, c’est quelque chose de très particulier. Est-ce qu’on peut l’expliquer rapidement ?
Patrice Chéreau
Oui, Bayreuth est quelque chose de particulier parce qu’il y a depuis très longtemps toujours une sorte de culte de Wagner comme ça, qui est un culte exagéré. D’ailleurs d’une certaine façon, les haines qu'ont provoqué cette mise en scène, les sifflets et tout ça, ont été exagérés. De même d’une certaine façon, le succès actuel est aussi exagéré en partie. Je veux dire que ce qui est intéressant dans Bayreuth, c’est que d’un endroit qui était entre guillemets un temple, d’un endroit qui était voué un peu au culte de Wagner depuis l’après-guerre ; finalement les héritiers de Wagner en ont fait un théâtre en parfait ordre de marche dans lequel on peut expérimenter des choses, d’en faire selon leur propre terme un atelier. C’est d’abord un très, très beau théâtre, un bâtiment magnifique avec une acoustique parfaite. Et c’est un théâtre dans lequel on peut vraiment travailler, se concentrer sur un spectacle et faire que ce spectacle aille jusqu’au bout de l’idée qu’on essaye de lui insuffler.
Journaliste
Peu de gens assistent au spectacle de Bayreuth et pour cause, les places sont prises un an à l’avance. Alors Wagner, ça a pourtant une actualité qui intéresse tout le monde ?
Patrice Chéreau
Oui, Wagner, ça a une actualité je crois. Je veux dire que Wagner, ce ne sont pas des opéras comme les autres, c’est-à-dire qu’il y a, ce sont des histoires formidables qui sont racontées. Ce sont des histoires qui parlent de légendes, qui parlent de l’histoire du dix-neuvième siècle. Et ce sont des choses qui nous parlent à nous profondément. C’est plus que de la musique, c’est plus que de l’opéra, c’est plus que du théâtre. C’est un mélange, à mon avis, particulièrement réussi.
(Musique)