Le Ring du Centenaire à Bayreuth / An 1
Notice
Réactions du public du Festival de Bayreuth, hostiles ou laudatives, à propos de la production du Ring de Wagner, fêtant en 1976 le Centenaire du Festival, due à Pierre Boulez et Patrice Chéreau, avec une courte interview de patrice Chéreau, et quelques courts extraits du Crépuscule des dieux.
Éclairage
Pour fêter le centenaire du festival de Bayreuth, fondé par Richard Wagner en 1876, son petit-fils Wolfgang Wagner, co-directeur du Festival depuis 1951, et seul directeur depuis la mort de son frère Wieland en 1966, invite les français Pierre Boulez et Patrice Chéreau pour réaliser une nouvelle production de la Tétralogie L'anneau du Nibelung, qui s'avère un événement culturel de portée mondiale, tant les réactions du public, enthousiastes ou farouchement opposées, sont violentes et médiatisées.
Le scandale fait imploser la dernière tradition d'embaumement wagnérien en date, post-wielandienne, jusqu'au sein même du Temple de Bayreuth, pour une révolution salutaire, audacieuse et pleinement réussie. Elle est le fait d'une nouvelle approche de la partition par Pierre Boulez, qui lui ôte toute lenteur et toute épaisseur germanique, traditions fréquentes ici, mais déjà combattues par Clemens Krauss et Karl Böhm, et lui offre une lecture qui apparaît profondément moderne, sinon extrêmement théâtrale par simple refus du pathos. Mais plus encore, c'est la théâtralisation extrême de la scène que réalise Patrice Chéreau qui offre une nouvelle approche de l'œuvre, qui va choquer les habitués de Bayreuth en la sortant de la tradition mythologique atemporelle de Wieland Wagner et de ses épigones pour la présenter comme un commentaire sur le XIXe siècle et le début du XXe. On voit ici le Rhin éternel capté par un barrage de béton et de métal, les dieux portant redingotes et robes de chambre en lamé - comme Wagner lui-même -, le dragon réduit à un grand jouet mobile manipulé, comme la forêt artificielle, par des servants, Siegfried portant le smoking pour son mariage... On voit un vrai feu, du vrai sang, de vrais meurtres, qui révulsent enfin la salle, toute la vérité crue (l'inceste, le viol, l'assassinat, le vol, le sexe, le lucre...) d'une œuvre trop souvent paralysée par l'amour univoque que lui portent des spectateurs qu'il convient de ne pas choquer. On y voit un jeu d'acteurs unanimement fêté, dans sa force, sa violence, sa portée subversive, même par les détracteurs de la production, inconscients du fait qu'il est intimement lié à la mise en scène elle-même. On y voit des images d'une beauté transcendante, dues aux décors de Richard Peduzzi, aux costumes de Jacques Schmidt, et aux éclairages de Manfred Voss. On y voit surtout et à nouveau la modernité toujours contemporaine du Ring de Wagner.
Le débat autour de ce Ring aussitôt historique, mais retravaillé chaque été par ses auteurs dans le sens d'une plus grande perfection, durera cinq ans, qui remettront Bayreuth au premier rang des Festivals musicaux, après la longue éclipse qui avait suivi la mort de Wieland Wagner.