Jerzy Grotowski à propos de la notion de théâtre pauvre

27 novembre 1969
04m 52s
Réf. 00064

Notice

Résumé :

Le metteur en scène polonais Jerzy Grotowski définit sa théorie du "théâtre pauvre" : un théâtre qui valorise le corps de l'acteur et sa relation avec le spectateur et délaisse les costumes, les décors et la musique. L'interview est ponctuée d'extraits d'une répétition du spectacle Evangile.

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Date de diffusion :
27 novembre 1969
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Éclairage

Jerzy Grotowski (1933-1999), metteur en scène, pédagogue et directeur de théâtre polonais, suit une formation d'acteur à Cracovie au début des années 1950, avant d'étudier la mise en scène. En 1962, le Théâtre des 13 rangs, qu'il dirige à Opole avec Ludwig Flaszen depuis 1959, devient le Théâtre Laboratoire, et s'installe à Wroclaw à partir de 1965.

Il développe le concept de "théâtre pauvre", où le jeu et la technique de l'acteur, héritée de Stanislavski, priment sur les costumes, décors et éclairages. Le rapport entre l'interprète et le spectateur, qui est tour à tour invité à un repas dans Docteur Faust (d'après Marlowe en 1963), ou témoin du calvaire du Prince Constant (d'après Calderon en 1965), tient une place centrale. La recherche de l'acteur est axée sur un travail corporel visant à le débarrasser de ses automatismes afin d'accéder, en lui-même, à l'essence des personnages.

À partir de 1970, Grotowski abandonne la mise en scène pour se consacrer à la recherche et à la transmission de son art à travers le monde. En 1986, il crée à Pondetera, en Italie, un Centre de travail qui porte encore aujourd'hui son nom.

Claire Libbra

Transcription

Jean-Marie Drot
Si vous voulez plutôt que de, d'avoir une conversation générale, j'aimerais partir exactement de ce que j'ai vu,
Jerzy Grotowski
S'il vous plaît.
Jean-Marie Drot
Et commencer par exemple par la petite scène, présentée par deux de vos comédiennes, pour ce spectacle que vous allez monter à partir des textes de l'Evangile. Ce qui frappe tout de suite, c'est le dépouillement, je veux dire par là que vous avez retiré tout ce qui pour nous semble faire partie du théâtre. Vous avez retiré les décors, vous avez retiré le maquillage, vous avez retiré le magnétophone, vous avez retiré... tout, sauf le théâtre, on pourrait dire.
Bruits d'eau
Jerzy Grotowski
Nous avons longtemps cherché de cela, qui est le sens même du théâtre, parce que, quand nous observons la situation, du théâtre vis-à-vis du cinéma et de télévision, nous avons considéré que beaucoup de moyens purement techniques, qu'on utilise maintenant encore dans le théâtre, ne sont pas pour le théâtre une sorte d'avantage. Parce que, en télévision, en cinéma, nous pouvons arranger beaucoup plus mieux, échange de l'endroit, de l'action, de place de l'action, la transformation de l'acteur à travers des costumes, des trucs artificiels, la neige artificielle, le vent artificiel, tout cela, le maquillage. Tout cela, on peut préparer, en cinéma ou en télévision, on peut tout cela préparer, beaucoup plus mieux, dans le théâtre.
Silence
Jerzy Grotowski
Alors nous avons éliminé pas après pas, les différents moyens comme on parle du théâtre. C'est-à-dire nous avons éliminé en commencement la musique par exemple. Ce jour, quand nous avons éliminé la musique qui a été enregistrée sur la bande ou magnétophone, oui, ou qui a été produit par un orchestre ou la chose comme ça, mais qui à la fin a été indépendant vis-à-vis du spectacle, malgré cela qui illustre le spectacle. Et en ce moment, nous avons découvert que les voix des acteurs peuvent organiser une autre musique.
Acteurs
Chant
Jerzy Grotowski
Et ensuite, nous avons éliminé aussi les décors, tout cela, tout cela, tout cela, et nous avons découvert que, à la fin l'acteur qui utilise seulement les objets qui sont proches, avec qui il peut manipuler tout cela, qu'il peut arranger beaucoup plus fort Transformation vis-à-vis du spectateur que à travers de ces moyens plus faciles, ces moyens techniques.
Bruits et silence
Jean-Marie Drot
Ce qui vous amène à ce que vous appelez vous, le théâtre pauvre.
Jerzy Grotowski
Oui, le théâtre pauvre, le théâtre dépouillé, de tout cela qui n'est pas le théâtre lui-même. On peut dire ça, qu'est-ce qui le reste ? Il reste seulement l'homme vivant, l'homme vivant, c'est-à-dire l'acteur, qui peut se transformer vis-à-vis des autres, des témoins et qui peut retrouver une sorte de relations avec ces autres, avec les spectateurs. A la fin tout cela qui fera maintenant, c'est l'homme dépouillé cet acteur. Tout cela peut être en même temps, la musique, que la plastique, que les décors, que tout cela...
Jean-Marie Drot
Mais dans l'acteur.
Jerzy Grotowski
Dans l'acteur, dans son corps, c'est le théâtre total, on peut dire mais contre tous les rêves à propos du théâtre total, c'est-à-dire le théâtre total à travers l'acteur total.