Cannes 1974, the film-makers speak

24 juin 1974
15m 59s
Ref. 00421

Information

Summary :

Several film-makers, in competition or in the parallel selections, defend their film in detail in front of the journalists: Jacques Tati, Luigi Comencini, Pier Paolo Pasolini, Dusan Makavejev, Liliana Cavani, Francis Ford Coppola, Robert Bresson, Alai

Media type :
Broadcast date :
24 juin 1974
Source :

Transcription

(Musique)
Jacques Tati
Le spectateur n'a pas besoin de savoir comment un pâtissier fait sa tarte et puis s'il a réussi son feuilleté. C'est le producteur qui peut s'inquiéter si ça a coûté cher, et qui peut être ravi si ça a été très bon marché, qu'il a gagné beaucoup d'argent avec le film. Enfin, le spectateur, lui, il a le droit de dire que c'est un mauvais film. Il a le droit de ne pas rentrer dans une salle et il a le droit de quitter la salle avant la fin du film.
Luigi Comencini
On peut agir envers le public de plusieurs façons. On peut le provoquer, on peut l'étonner, on peut l'exciter, on peut aussi l'émouvoir. Or émouvoir le public, c'est une chose qui ne plait pas beaucoup, aujourd'hui. Moi, je ne suis pas d'accord, naturellement. Mais moi, je ne voudrais pas définir mon film comme film politique. Mon film raconte une histoire d'amour dans un moment particulier du développement industriel de l'Italie du nord et du développement de l'Italie en général. Moi, j'ai fait, pour la télévision italienne, une enquête qui s'appelait "Les Enfants et nous", en six épisodes. Et c'était la première fois que je faisais du journalisme avec les images. J'avais fait, déjà, du journalisme avec la plume, mais jamais avec des images. Alors, j'ai compris... D'abord, je dois à cette enquête d'avoir découvert les contradictions de l'Italie d'aujourd'hui, beaucoup mieux, qu'en lisant des livres ou des journaux. C'est d'ailleurs l'expérience de cette enquête que j'ai portée dans ce film. Parce que j'ai fait un épisode de cette enquête qui était, justement, dédié à la condition des immigrants dans la ville de Turin. Cet amour assez étrange et curieux que moi, j'adorais raconter, d'un homme du nord, d'une jeune fille du sud, qui sont faits pour ne pas s'entendre mais qui s'entendent parce qu'ils s'aiment est tuée par l'indifférence. Et cette indifférence, c'est le mépris de la vie qui est une des attitudes typiques du développement industriel.
René Clair
Prix d'interprétation masculine, Jack Nicholson pour son rôle dans le film "La Dernière Corvée".
(Bravos)
René Clair
Prix f'interprétation féminine : Marie-José Nat.
Journaliste
Le jury a accordé un prix spécial au cinéaste italien Pasolini pour son film "Les Mille et une nuits".
Luigi Comencini
[italien]
Henry Chapier
Il y a d'abord une polémique directe contre ce que Pasolini appelle notre monde petit-bourgeois néocapitaliste qu'il déteste.
Pier Paolo Pasolini
Pour simplifier, je voudrais... Non, en italien. [italien]
Henry Chapier
Le deuxième niveau de sa polémique est contre le conformisme de toutes les gauches qui, dans une période où, lui, élaborait la trilogie que vous savez, c'est-à-dire " Décameron", "Les Contes de Canterbury "et, actuellement, "Les Mille et une nuits", et bien, dans cette période-là, il a été attaqué de toutes parts, et surtout de ce côté-là pour n'avoir pas souscrit à un engagement politique absolument pris au pied de la lettre. Et en somme, si on comprend bien, il se trouvait isolé par la non-compréhension de ses amis politiques et idéologiques qui auraient dû, au contraire, saisir sa tentative de polémique politique au niveau où lui voulait la faire.
Journaliste
Lorsqu'on demande à Dusan Makavejev, le réalisateur de "Sweet Movie" présenté dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, ce qu'il a voulu exprimer par son film, la question semble créer quelques problèmes au metteur en scène yougoslave. [anglais]
Dusan Makavejev
[anglais] (Traduction) Il veut que les gens le comprennent à partir des images. (Traduction) Il aime faire des films. [anglais] (Traduction) Le cinéma fait partie de sa vie. [anglais] (Traduction) Et dans le simple fait de filmer, il y a des la joie et de la peur. [anglais]
Luigi Comencini
(Traduction) Il y a l'histoire parallèle de deux femmes, mais ce n'est pas ce qui est important.
Dusan Makavejev
[anglais] (Traduction) Il y a un bateau qui va et qui ne peut s'arrêter. [anglais] (Traduction) Le nom du bateau est "Survie". [anglais] (Traduction) Les événements sont seulement accidentels si on fait un vrai film.
Journaliste
L'Italie était également représentée par une jeune femme, Liliane Cavani, que les spectateurs français avaient déjà découverte par son film "Portier de nuit". La réalisatrice italienne présentait, ici, un film aux prétentions philosophiques, "Milarepa".
Liliana Cavani
Ce qui m'a émerveillée dans le livre "Milarepa" c'est la pédagogie qu'il y a dans ce livre. C'est une pédagogie orientale, très différente de la méthode pédagogique qu'il y a dans l'Occident. Pendant que dans l'Occident, on est habitué (je ne sais pas pourquoi, encore, on doit analyser la chose)... Nous faisons notre éducation en apprenant à obéir à quelque maître, à obéir au catéchisme, à obéir au livre rouge, à obéir, à obéir à des commandements en tout cas. Tandis que dans "Milarepa", la méthode, c'est le contraire parce qu'on cherche des maîtres qui ne sont pas des maîtres dans le sens que nous entendons. Pour nous, ils sont un petit peu fous. En tout cas, ils ont seulement la fonction de nous stimuler à nous connaître nous-même et ensuite à connaître les autres et le monde. Mais je pense que chaque génération doit rendre compte à ceux qui vont apprendre. Alors, je pense qu'il ne s'agit pas de classifier quelque type de politique, pour moi, dans le film. Je parlais... Au début, je parlais de méthode pédagogique. Alors, il s'agit plus de stimuler un type de méthode qui est à la couleur de la politique. Je ne m'occupe pas de ça dans le film.
René Clair
Grand prix international du festival, Cannes, 1974, "The Conversation", "La Conversation Secrète".
(Bravos)
Journaliste
Le grand triomphateur du festival de Cannes a été, sans conteste, le cinéma américain. Il s'est fait remarquer par la grande qualité de tous ses films présentés, et surtout celui de Francis Coppola, qui, après avoir réalisé "Le Parrain", a affirmé son talent avec "La Conversation Secrète", sorte de Watergate privé réalisé avant les événements que l'on connaît.
Francis Ford Coppola
[anglais] (Traduction) Ca a commencé ironiquement, "La Conversation", avec le metteur en scène Irvin Kershner, où on parlait des tables d'écoutes, et il m'a parlé d'un microphone qui marchait à très longue distance. (Traduction) Alors, je commençais à m'intéresser dès ce moment-là. (Traduction) Et au même moment, je disais "Steppen Wolf" de Hermann Hesse. (Traduction) Un mois plus tard, j'ai vu "Blow Up". (Traduction) Tout ça mis ensemble m'a motivé à continuer mon travail.
Journaliste
Est-ce que ça vous est jamais arrivé, à vous-même, personnellement, d'être mis sur table d'écoute ?
Francis Ford Coppola
(Traduction) Oui, récemment. (Traduction) Alors que j'accordais une interview pour ce film, quelqu'un de la maison de production semblait très content, et je ne sais pourquoi, m'envoya une attachée de presse pour m'aider. (Traduction) Celle-ci semblait vouloir toujours rester dans ma pièce. (Traduction) J'ai fini par accepter et il s'est avéré qu'elle enregistrait toutes mes conversations concernant le film et la maison de production. (Traduction) C'est assez incroyable. (Traduction) J'ai été pris à mon propre piège. (Traduction) Voilà, c'est ma propre expérience.
Gérard Blain
Pour une fois qu'en France, on a un film, "Lancelot du Lac", d'une très grande qualité, d'une très grande beauté, qui est peut-être l'apothéose de Bresson, qui est un grand film d'amour. Pour une fois qu'on a un grand film qui pouvait remporter la palme d'or, on l'écarte de la compétition. Pourquoi ? Alors qu'hier soir, le film a été écouté dans un silence religieux et qu'il a eu beaucoup de succès !
Robert Bresson
Il faut trouver quelque chose grâce à ces deux miraculeux appareils, qui sont le magnétophone et la caméra, quelque chose de plus que la photo d'acteurs jouant la comédie. Que ce soit sur un fond de mer, de campagne, de ville, c'est toujours de la photographie d'acteurs qui jouent la comédie. Donc il faut trouver quelque chose qui soit, tout de même, autre chose que ça. On ne peut toucher qu'en rendant les choses du passé présentes. Les anachronismes, il ne faut pas d'anachronismes choquants. Ces anachronismes à la Giraudoux que je n'aime pas spécialement, il faut des anachronismes qui ne choquent pas. Mais il faut arriver... Les sentiments sont toujours actuels. Mais il faut arriver à ce que l'extérieur ne soit pas une mascarade, ne soit pas comme on traite, d'habitude, les films du Moyen-Âge, une espèce de mascarade, de parade sur la croisette, avec des costumes qu'on a essayés de rendre précis et qui sont faux. Il faut, d'instinct, faire quelque chose qui ressemble à un Moyen-Âge mais qui ne soit pas un Moyen Âge précis. J'avais fait la même chose pour Jeanne d'Arc. Jeanne d'Arc n'était pas du tout... Au temps de Jeanne d'Arc, il y avait des gens presque habillés comme maintenant. Et alors, surtout, les ecclésiastiques étaient habillés exactement comme maintenant. Vous prenez la Jeanne d'Arc de Dreyer, vous voyez des gens habillés avec des déguisements, qui gesticulent. Je suis à l'antipode de Dreyer malgré qu'on m'associe à Dreyer, je ne vois pas pourquoi. Devant un magnétophone et une caméra, personne ne s'en sert comme il faut, c'est-à-dire essayer de trouver le moyen de ne pas faire de la photo. Or on ne fait que de la photo. Trouver le moyen par des rapports d'images et de son, de trouver une écriture. Personne ne s'en inquiète. Personne. Personne. Alors, on tombe dans une espèce d'abandon, de paresse, de mollesse, de routine du festival de Cannes.
Gérard Blain
On vient de lui donner le prix de la critique, de la critique internationale qui, en fin de compte, est peut-être le prix le plus honorifique parce que la palme d'or, bon, c'est très bien. Les producteurs préfèrent avoir la palme d'or parce que c'est la publicité, c'est ceci. Mais en fin de compte, le prix de la critique internationale, c'est peut-être ce qu'il y a de plus flatteur.
Robert Bresson
Pourquoi j'ai fait ça ? Parce qu'en coupant beaucoup, bien sûr, parce que je n'allais pas mettre des liaisons entre les choses, vous n'aviez pas, tout à coup, les impressions de quelque chose, c'est à dire de la brutalité et de la violence de la chevalerie et des chevaliers. Donc, qu'est-ce que j'ai fait ? Toute cette violence qui éclate, puisqu'on voit le sang, on voit les coups d'épée, je ne voulais pas la mettre dans le film. Donc, je la montre avant pour voir quelle est la menace. Si on montre le sang et la violence, comme on fait partout dans les films, il n'y a pas de cinéma. C'est fini. C'est fini. Ce qui est horrible, ce qu'il se passe maintenant, c'est qu'on fait du cinéma-cinéma qui n'est pas mon cinéma à moi. Si vous voulez, j'oppose le cinéma qu'on fait à mon cinématographe, cinématographe-écriture. Ce qu'il se passe, c'est qu'on montre au-delà même de ce qu'on veut voir. Ca devient de la pornographie. Parce qu'un pornographe veut tout voir. Donc, il faut tout montrer. Alors, tous les films suivent, on montre tout. Or, je l'ai dit et je le répète, l'art cinématographique, le cinématographe est l'art de ne rien montrer. Si j'étais un peu loin, je voulais dire l'art de ne rien représenter. La photo ne doit pas être une représentation. Elle doit être autre chose, elle doit être un signe. Je prends les parties de ce cheval qui me donnent une impression de puissance. Je prends son train arrière ou je prends ses pattes, ou je prends, et cela, je le prends... Il s'agit, pour moi, de communiquer des sensations ou des impressions. Je prends, tout à coup, la chose qui peut me permettre de communiquer mon impression, ma sensation. Et je ne vais pas prendre un cliché du cheval avec son cavalier. Il s'agit de mettre toutes ces choses dans un certain ordre de façon à ce que je communique, en effet, mes sensations. Vous comprenez ? Avant tout, il ne fallait pas de déguisement. Ce qui est horrible dans la plupart des films de théâtre photographié, c'est qu'on déguise les gens comme au théâtre. Vraiment, ils ont des costumes flambants neufs, qui veulent faire une époque absolument fausse, une époque Stavisky. Ce n'est pas l'époque Stavisky, mais enfin, ça ne fait rien.
Alain Resnais
N'ayant pas les moyens financiers (j'entends par moyens financiers, les cinq à six milliards qui auraient été nécessaires pour faire une reconstitution précise de l'époque), j'ai essayé de suggérer cette époque par divers procédés. L'un de ces procédés a été d'adopter une grammaire cinématographique qui était voisine de celle de 1934.
Robert Bresson
Parce qu'il faut qu'on oublie le costume. Il faut qu'on s'y habitue. Que ça devienne une chose comme s'ils étaient nus. On oublie la nudité, on oublie l'armure. Le bruit, au contraire, moi, je trouve ça [inaudible] d'être toujours suivi, comme on est suivi par son ombre, du bruit de son habit. Quand je fais un film, je fais un exercice. Je ne fais pas une oeuvre, de toute façon. J'essaye d'arriver à quelque chose que je vois vaguement dans le lointain. Je vais essayer... En tout cas, j'ai un chemin que je parcours. C'est très difficile d'expliquer que certaines images ont une valeur d'échange.
Journaliste
Voilà, le vingt septième festival de Cannes s'est achevé. Une manifestation où, dans la coulisse, on avance à mots couverts, le chiffre de sept milliards d'anciens francs de transactions. Rendez-vous au vingt huitième festival. A la demande de nos amis photographes, nous allons faire la photo de famille des trois palmes d'or.
(Bravos)