Escadre de l'Atlantique, escadre de la Communauté ?
Notice
L'escadre de l'Atlantique, comportant notamment les escorteurs Chateaurenault et Chevalier Paul ainsi que le croiseur Colbert et le porte-avions La Fayette, fait escale dans le port de Dakar, au Sénégal. Tandis que certains marins permissionnaires descendent à terre pour visiter la ville, d'autres restent à bord et font visiter les bâtiments aux curieux. Cet échange illustre la teneur du commentaire, véritable manifeste pour la Communauté, créée en 1958 à l'initiative du général de Gaulle : ainsi l'escadre de l'Atlantique "représente l'escadre de la Communauté", elle est "l'escadre de l'amitié entre le peuple de métropole et les peuples africains qui ont lié leur avenir à celui de la France". Symboliquement, le reportage se termine sur le drapeau français et celui de la Communauté réunis dans le même plan.
Éclairage
La création de la Communauté en 1958 a conduit à repenser le discours sur les forces françaises, et surtout la façon de les mettre en scène dans les territoires africains. C'est ce que donne à voir ce court-métrage réalisé en mai 1960 par le Service cinématographique des Armées, dans le cadre de l'émission le Magazine des armées. À l'occasion d'une escale à Dakar de « l'escadre de l'Atlantique » (forte notamment des escorteurs Chateaurenault et Chevalier Paul, du croiseur Colbert et du porte-avions La Fayette), ce petit film met en avant la rhétorique et les symboles mobilisés pour donner vie à une institution qui, pourtant, vit ses derniers mois d'existence. Les deux drapeaux réunis au même mât célèbrent la présence de l'escadre de la Marine française dans la rade de l'ancienne capitale de l'Afrique Occidentale française. Le drapeau tricolore est le pavillon officiel de la Communauté ; le second pavillon est très vraisemblablement celui de la Fédération du Mali, éphémère regroupement du Sénégal et du Soudan français de 1959 à 1961.
Cette flottille est qualifiée, de manière un peu floue, d'« escadre de la Communauté » ou d'« escadre de l'Amitié ». On aurait presque l'impression, à écouter le commentateur, qu'il s'agit d'une force multinationale - ce qui n'est évidemment pas le cas. Les marins français en permission sont dépeints comme des touristes en goguette arpentant les quartiers modernes de la ville (les ex-quartiers « européens »). On ajoute même qu'ils seront toujours à Dakar « comme chez eux » : la formulation est un peu osée en ces temps de transition post-coloniale. Le commentaire souligne d'ailleurs de façon maladroite le statut ambigu des États africains au sein de la nouvelle entité politico-institutionnelle, cette Communauté aux contours juridiques fragiles que le « grand frère aîné » français promet d'épauler durablement - et notamment sur le plan militaire.
Mais au moment même où le Magazine des Armées célèbre les forces françaises outre-mer, l'édifice institutionnel mis en place en 1958 est en train de se lézarder et la plupart des pays issus de l'Afrique française accèdent à l'indépendance dans le courant de l'année 1960. C'est sur la base de traités de coopération bilatéraux que seront conclus des accords militaires entre la France et certains de ses ex-territoires coloniaux au début des années 1960. La fiction de « l'escadre de la Communauté » n'aura donc eu qu'une durée de vie fort courte.