Entretien avec le Premier ministre camerounais, Monsieur Ahidjo Ahmadou

10 novembre 1958
04m 12s
Réf. 00079

Notice

Résumé :

Le 10 novembre 1958, le Premier ministre du Cameroun, Ahmadou Ahidjo, est interviewé alors qu'il se trouve sur le point de se rendre à New-York pour demander la levée de la tutelle à l'ONU et parvenir ainsi à l'indépendance du Cameroun en 1960. Il est également interrogé sur la situation intérieure de son pays, qu'il présente comme « presque normale ».

Date de diffusion :
10 novembre 1958
Source :
ORTF (Collection: JT 13H )

Éclairage

Après l'adoption de la loi-cadre en 1956, une nouvelle assemblée territoriale est élue au Cameroun, sans la participation du parti indépendantiste, l'Union des populations du Cameroun (UPC), qui est interdit depuis 1955. Cette élection donne logiquement la majorité aux candidats favorables à l'autonomie et aux positions françaises, notamment André-Marie Mbida, qui devient Premier ministre, et Ahmadou Ahidjo, nommé Vice-premier ministre. Le gouvernement français entend s'appuyer sur ces leaders « modérés » pour contrecarrer l'influence de l'UPC et conduire à une émancipation encadrée du pays. Parallèlement, la France a engagé une guerre, peu couverte médiatiquement, contre les Upécistes qui ont opté pour la lutte armée de libération nationale et se sont réfugiés dans les maquis au sud du Cameroun. C'est dans ce cadre qu'est tué le 13 septembre 1958 le leader de l'UPC, Ruben Um Nyobé. Quelques mois avant, la crise au sein du gouvernement local s'est dénouée en faveur d'Ahmadou Ahidjo qui devient Premier ministre le 18 février. Rallié à l'idée d'organiser l'accès à l'indépendance et à l'unification du Cameroun dans le cadre d'une étroite association avec Paris, il fait évoluer son groupe parlementaire composé d'élus du nord en parti politique national (Union Camerounaise). Après son arrivée au pouvoir en mai 1958, de Gaulle soutient cette orientation d'une indépendance dans le cadre de l'interdépendance franco-africaine, qui s'inscrit dans l'esprit de la Communauté proposée aux territoires d'Afrique Occidentale et Équatoriale françaises qui ne sont pas sous tutelle de l'Organisation des Nations-Unies (c'est-à-dire autres que le Togo et le Cameroun). Le gouvernement français propose de renforcer l'autonomie interne à compter du 1er janvier 1959 avant l'accès à l'indépendance. L'assemblée territoriale du Cameroun proclame le 24 octobre son accord avec ce projet, avec une indépendance fixée au 1er janvier 1960, et son attachement à la réunification du pays et à l'association avec la France. Reste à obtenir la levée de la tutelle de l'ONU, sans recourir, comme cela a été le cas pour le Togo en 1958, à la consultation électorale des populations. En effet, des élections placées sous le contrôle de l'ONU et auxquelles pourrait participer l'UPC remettraient en cause le processus envisagé par Paris et Yaoundé.

C'est dans ce contexte qu'Ahmadou Ahidjo se rend à New-York le 10 novembre avec certains membres du gouvernement, comme le ministre des travaux publics Charles Okala, pour aller solliciter le lendemain la levée de la tutelle à l'ONU. La journaliste Danièle Breem l'interviewe lors de son départ de Paris sur l'objectif de ce voyage et la situation intérieure du Cameroun. Ahmadou Ahidjo indique qu'il s'agit d'aller soutenir à l'ONU les volontés exprimées par l'assemblée territoriale du Cameroun le 24 octobre. Tout en mettant en avant l'origine camerounaise de ces requêtes, il souligne leur entière acceptation par la France. Ahidjo indique sa volonté d'association avec la France après l'indépendance, en laissant entendre qu'elle devrait intervenir dans le cadre de la Communauté, dont le Cameroun est à cette date exclu. Plus encore, pour obtenir une levée de la tutelle sans condition de l'Assemblée Générale de l'ONU, il convient de dresser le tableau d'un Cameroun apaisé, avec une insurrection anéantie. Ahidjo présente donc une situation intérieure « presque normale », sans préciser les modalités employées par son gouvernement, « en collaboration avec les représentants de la France » pour que le « calme revienne », qui constituent cependant des opérations de guerre. Ahidjo s'efforce enfin de mettre en avant sa politique de la main tendue aux « vrais nationalistes », c'est-à-dire aux Upécistes qui abandonnent la lutte armée et se rallient à sa position en faveur d'une indépendance encadrée.

Bénédicte Brunet-La Ruche

Transcription

(Silence)
Journaliste
Monsieur le Président, dans quelques instants, vous prenez l’avion pour New York. Quels sont les motifs de ce voyage ?
Intervenant
Le 24 octobre dernier, l’Assemblée législative du Cameroun, sur proposition du gouvernement que j’ai l’honneur de présider, a demandé à la France d’intervenir auprès de l’Organisation des Nations unies pour que la tutelle exercée sur le Cameroun soit levée le 1er janvier 1960 et que l’indépendance soit proclamée. Mon ami, le ministre Okala et moi-même, nous nous rendons à New York pour appuyer cette demande.
Journaliste
Et la séance aura lieu à quel moment ?
Intervenant
Nous serons entendus le 11 novembre.
Journaliste
Vous serez entendus le 11 novembre au cours de ces débats ?
Intervenant
Oui.
Journaliste
Quel sera le statut qui prévaudra pendant la période qui va précéder, c’est-à-dire pendant l’année qui précède l’indépendance ?
Intervenant
Le statut du Cameroun de l’année 1959 sera celui que nous avons demandé à la France le 12 juin, c’est-à-dire un statut d’autonomie interne totale. D’ailleurs, la France a donné satisfaction à cette demande.
Journaliste
Votre assemblée, dans une de ses dernières déclarations, a souhaité que le Cameroun s’associe à la France. De quelle manière l’entendez-vous ?
Intervenant
Oui, plusieurs fois, l’assemblée du Cameroun et le gouvernement ont souhaité que le Cameroun, devenu souverain, s’associe amicalement et librement à la France. Il m’est impossible de vous préciser quels seront les liens qui uniront la France et le Cameroun. En tout cas, nous ferons tout, et compte tenu de la nouvelle constitution française, pour que ces liens existent, pour qu’ils soient les plus amicaux possible.
Journaliste
La situation intérieure, ces dernières années, avait été assez troublée au Cameroun. Quelle est-elle actuellement ?
Intervenant
Actuellement, cette situation est presque normale. Les troubles qui ont secoué certaines régions du Cameroun se sont presque tous éteints. Nous avons fait, en collaboration avec les représentants de la France au Cameroun, tout ce qui était en notre pouvoir pour que le calme revienne. Nous sommes heureux de constater que nos efforts ont été couronnés de succès. Je dois dire, d’ailleurs, que notre tâche n’est pas complètement terminée. Et résolument, nous continuerons à tout faire pour que le calme total revienne. Pour cela, nous ne ménagerons aucun effort. Bien entendu, nous comptons sur la bonne volonté, sur la compréhension de ceux, notamment des dirigeants, qui ont été à la base de ces troubles. Nous avons fait preuve de notre bonne volonté. Nous attendons qu’ils fassent preuve de la leur. Nous sommes convaincus que s’ils sont des Camerounais de bonne foi et de vrais nationalistes, ils entendront notre appel. Et ainsi, ensemble, les uns et les autres, nous mettrons au travail pour la construction d’un Cameroun non seulement indépendant, mais surtout prospère pour tous ses fils.
Journaliste
Nous le souhaiterons avec vous, Monsieur le Président.
(Silence)