La Fédération du Mali : un projet politique original
Notice
A l'occasion de la création et de la reconnaissance de la Fédération du Mali - qui regroupe le Sénégal et le Soudan -, le reportage montre ce que signifie cette fédération pour la population locale. Il s'attache aussi à présenter le parti politique unique, le Parti de la Fédération Africaine, ainsi que ses objectifs à travers des exemples concrets tournés dans les villages sur la réalisation de tâches collectives au profit de la communauté (fabrication de briques, construction de routes).
- Afrique > Mali [Soudan] > Bamako
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- Afrique > Sénégal > Dakar
Éclairage
Cet intéressant reportage, tourné pour une édition de janvier 1960 de la célèbre émission d'actualités Cinq Colonnes à la une, enquête sur le processus de création de la Fédération du Mali. Il s'agit à la fois de saisir cette construction originale, mais aussi d'interroger « l'homme de la rue » sur le projet politique en cours de réalisation. Les réalisateurs s'attachent en outre à opposer, presque pied à pied, les deux composantes de la Fédération – le Sénégal et le Soudan – dont tout laisse à penser, selon le point de vue adopté, qu'ils ont moins en commun que ce que leurs leaders veulent bien affirmer.
À partir de 1958, dans le cadre de la Communauté (voir le parcours intitulé Les chemins politiques, de Brazzaville à la Communauté), une configuration politique nouvelle a pris forme sur les décombres de l'ancienne Afrique Occidentale Française. La question des différentes voies possibles d'accession à l'indépendance agite les hommes politiques africains depuis plusieurs années et suscite de nombreux débats, notamment au sein du Rassemblement Démocratique Africain (RDA). À une vision fédéraliste et panafricaniste s'oppose par exemple la conception plus « classique » d'un Félix Houphouët-Boigny, pour qui l'indépendance doit se faire pays par pays, et sans précipitation. Les deux hommes forts du Sénégal et du Soudan, Léopold Sédar Senghor et Modibo Keita, se rejoignent en 1958 sur une position fédéraliste et décident la mise sur pied d'une fédération, le Mali – du nom d'un État médiéval prestigieux – qui permettrait notamment de négocier l'indépendance dans une position de force vis-à-vis de Paris. Il s'agit aussi de lutter contre le risque de « balkanisation » de l'Afrique de l'Ouest.
Le 17 janvier 1959, au Grand Conseil de l'AOF, quarante-quatre délégués adoptent les principes constitutionnels menant à la création de la nouvelle entité. Il est question au départ de réunir dans la la Fédération du Mali le Sénégal, le Soudan, le Dahomey et la Haute-Volta. Pour entrer en vigueur, la constitution devait être ratifiée par les assemblées législatives des États concernés ; finalement, seuls le Sénégal et le Soudan décident de poursuivre le projet. Une Assemblée fédérale du Mali, avec Senghor comme président, voit le jour au printemps 1959. Une constitution est adoptée dans la foulée et un gouvernement fédéral paritaire formé le 4 avril, avec à sa tête Senghor. Le Soudan et le Sénégal y disposent chacun de quatre ministères. Le Soudanais Modibo Keita est nommé président de la Fédération, tandis que le Sénégalais Mamadou Dia en devient le vice-président. L'indépendance de l'ensemble est formellement reconnue par la France en avril 1960.
Le reportage se plait à insister sur la relative ignorance de « l'homme de la rue » qui, à Dakar comme à Bamako, semble un peu éloigné de cette construction politique ; mais le micro-trottoir aboutit presque à un effet inverse de celui souhaité : au-delà de l'ignorance ponctuelle de tel ou tel, on a finalement l'impression d'un réel intérêt des interviewés pour le processus en marche. Par ailleurs, les réalisateurs opposent presque pied à pied les deux pays, leurs dirigeants, leur culture et leur style politiques. D'un côté, on met en exergue le volontarisme soudanais — et de fait, l'Union Soudanaise-RDA, parti de Modibo Keita, quadrille les campagnes et encadre l'opinion sur un mode de plus en plus autoritaire. De l'autre, on souligne le pluralisme sénégalais — il est vrai que d'intenses luttes partisanes et syndicales ont cours et témoignent de la relative division de l'opinion sur l'opportunité du projet fédéral. Cette vision duale, un peu caricaturale, contient toutefois une part de vérité : celle de l'évolution rapide du Soudan de Modibo Keita vers le parti unique et vers une forme de régime autoritaire, à des années-lumière du pluralisme politique sénégalais. C'est de cette contradiction que jaillira, en 1960, la crise finale mettant fin au projet de Fédération du Mali.