La Tunisie en 1945
Notice
La Tunisie célèbre la fin du deuxième conflit mondial. Le nouveau résident général, Charles Mast, doit s'atteler à la reconstruction d'un pays dévasté par la guerre et raffermir l'autorité ébranlée de la France.
Éclairage
La guerre a touché directement la Tunisie, au contraire du Maroc et de l'Algérie : le protectorat connaît durant six mois l'occupation germano-italienne et se transforme entre 1942 et 1943 en champ de bataille, traversé par les troupes américaines, britanniques, françaises, italiennes et allemandes. Le film s'ouvre sur des paysages dévastés, des tombes alignées : Béja et sa région, tout comme la ligne Mareth dans le sud du pays, ont été le théâtre de combats meurtriers. Si le documentaire est réalisé deux ans après la campagne de Tunisie, la guerre reste partout présente. De fait, la population paie son dû au conflit qui se poursuit en Europe et continue de souffrir de pénuries. Le défilé militaire qui célèbre l'armistice est loin de sonner la fin des difficultés.
Le relèvement du pays s'annonce laborieux. Le documentaire s'attarde sur le cas de Sfax, port industriel indispensable à l'économie tunisienne, durement touché par les destructions. Mais la reconstruction laisse également entrevoir la perspective d'une rénovation et d'une modernisation de la société et suscite d'ambitieux projets, notamment architecturaux. Ainsi, le film reproduit les discours optimistes sur la Tunisie de demain qui fleurissent dans des brochures de propagande comme Tunisie 45.
Ces rêves de modernité contrastent avec un discours orientaliste particulièrement prégnant, qu'il s'agisse de la musique supposément exotique qui accompagne la visite du général Mast dans la médina de Tunis ou encore de l'image virile et conquérante donnée du même résident général, en uniforme et à cheval. De telles images perpétuent un mode de domination qui apparaît de plus en plus anachronique à l'heure de la Charte de l'Atlantique. La France tente de se rassurer avec les représentations immuables de caïds en grand costume, de fiers cavaliers Zlass, de dromadaires au petit trot, de méharistes en sarouel et de bordj isolés dans le désert, au moment même où les avocats et médecins du Néo-Destour affutent toute leur éloquence pour combattre le statut de protectorat.
Car la répression qui frappe les nationalistes en 1943 n'a pas fait taire la contestation. Les réformes octroyées par la France en février 1945 déçoivent les Tunisiens. Le bilan moral des années de guerre ne semble, à cet égard, pas moins lourd que le bilan humain et matériel. La France impériale est ébranlée et le défilé de la victoire sur l'avenue Jules-Ferry de Tunis ne suffit pas à faire oublier l'humiliation qu'a connue le pays protecteur en 1940. Lamine Bey siège aux côtés de Charles Mast sur la tribune installée entre la résidence générale et la cathédrale. Mais le nouveau bey, qui a succédé à Moncef destitué par l'armée française, reste un personnage isolé et impopulaire. À l'écran, la foule qui acclame les troupes alliées paraît essentiellement européenne. Le voyage du général Mast dans le Sud vise donc à raffermir l'autorité de la puissance coloniale et la propagande se délecte des images rassurantes de Tunisiens agitant des drapeaux tricolores.
La rencontre avec la caravane cinématographique de l'Association nationale pour l'Indochine française, qui conclut le film, vient pourtant contredire ces vues triomphales et rappeler que la France est en difficulté en Indochine. Depuis 1944, l'association présidée par Louis Audoin-Dubreuil a développé en Tunisie une propagande active qui entre en rupture avec les discours d'avant-guerre. Il était rare alors d'évoquer les confins africains ou asiatiques de l'Empire, les autorités préférant insister sur les liens privilégiés entre l'Afrique du Nord et la France. Dans la période qui suit la Libération, la résidence générale fait évoluer sa rhétorique et commence à mettre en avant les différents territoires de l'Empire, espérant susciter un sentiment d'unité face aux revendications indépendantistes.