L'immigration algérienne en France dans la guerre d'indépendance
Introduction
L'émigration algérienne vers la France prend une ampleur considérable pendant les huit années que dure la guerre d'indépendance. Le nombre d'immigrés algériens en métropole passe en effet de 211 000 en 1954 à 350 000 en 1962. La communauté immigrée devient un enjeu du conflit aussi bien pour les nationalistes algériens que pour les pouvoirs publics français. Sa mobilisation est décisive dans la lutte pour l'indépendance.
L'immigration mobilisée pour l'indépendance
Des travailleurs migrants aux conditions de vie précaires
Il peut sembler paradoxal qu'un flux massif d'hommes dans la force de l'âge émigrent volontairement vers la métropole qui conduit la répression contre l'insurrection nationaliste. Si l'émigration double presque pendant la durée du conflit, c'est non seulement en raison de la liberté de circulation entre les départements algériens et métropolitains (article 2 de la loi du 20 septembre 1947 qui définit un nouveau statut de l'Algérie) mais aussi parce que la situation en Algérie s'aggrave du fait même du conflit : misère, sous-emploi et injustices du système colonial sont aggravés par la répression, la politique des camps de regroupement, etc.
Suivant le même schéma que les migrations de la fin du XIXe siècle ou de l'entre-deux-guerres, il s'agit de jeunes travailleurs, venant seuls pour une durée déterminée afin de faire vivre leur famille restée en Algérie. Ils participent ainsi à la croissance des Trente Glorieuses, en particulier dans les secteurs du BTP et de l'automobile, et comblent un manque de main-d'œuvre en métropole, aggravé par l'envoi du contingent en Algérie en 1956 [1]. De nouvelles caractéristiques sont générées par la guerre : l'allongement des séjours, qui passe de deux à quatre ans, et la venue en famille. Le nombre de familles algériennes en métropole passe en effet de 7000 à 30 000 entre 1954 et 1962.
Leurs conditions de vie sont particulièrement précaires, en particulier pour ce qui est du logement, dans un contexte général de crise, et des faibles salaires. Les foyers de travailleurs, les garnis et les hôtels meublés sont donc les principaux types de logement accessibles.
[1] voir le document « Embarquement de troupe à bord du paquebot ville d'Alger » sur Ina.fr.
Centre d'hébergement nord-africain à Marseille et à Lille
La Sécurité sociale a dépensé depuis 1952 près de 2 milliards et demi à Marseille et Lille pour permettre aux immigrés nord africains, que le gouvernement fait venir en masse en France, de quitter les bidonvilles qu'ils occupent pour se loger dans des centres d'hébergement, au confort modeste mais décent. Vingt-trois autres centres de ce genre sont en cours de réalisation.
Mais ils ne conviennent pas aux familles qui n'ont d'autre choix que de construire une baraque dans un bidonville, comme à Nanterre ou à Gennevilliers.
Face à la pénurie, la Sonacotral (Société nationale de construction pour les travailleurs algériens) est fondée en 1956.
Une communauté anciennement et fortement politisée
Les Algériens émigrés en métropole accueillent avec enthousiasme la nouvelle de l'insurrection de la Toussaint Rouge le 1er novembre 1954.
La communauté est fortement politisée depuis l'entre-deux-guerres qui a vu naître en métropole le nationalisme algérien sous la houlette de Messali Hadj qui fonde le premier parti indépendantiste en 1926 : l'Etoile nord-africaine. Figure pionnière et tutélaire, Messali Hadj est incontesté au sein de la communauté immigrée qui compte de nombreux militants actifs diffusant journaux et tracts ou organisant réunions et manifestations comme le 1er mai 1955 pour demander la libération du Zaïm (guide).
Consulter la vidéo Meeting organisé le 1er mai 1955 sur Ina.fr.
La lutte des partis nationalistes pour le contrôle de la communauté
Le déclenchement de l'insurrection par le FLN, inconnu jusqu'alors et né de la scission au sein du parti messaliste à l'été 1954, constitue une nouvelle donne. La communauté émigrée en métropole devient un enjeu considérable pour les deux partis nationalistes rivaux. D'une part, cette population représente un support financier considérable. D'autre part, unanimement ralliée, elle assurerait au parti un poids politique et idéologique incontestable, au sein même de la métropole. Dès 1955, la région parisienne, qui regroupe un tiers de l'immigration, devient le théâtre d'affrontements sanglants entre le FLN et le MNA (Mouvement national algérien, nouveau nom du parti messaliste). L'élimination du parti rival ne se réalise pas seulement par la propagande, mais par les armes. Le bilan de cette guerre fratricide s'élèverait à 4000 morts et 12 000 blessés.
Manifestation d'Algériens à Paris contre les pouvoirs spéciaux [muet]
Ce document muet rend compte de la manifestation des immigrés algériens à Paris, à l'appel du MNA, contre le vote de la loi sur les pouvoirs spéciaux, alors en discussion à l'Assemblée nationale. Il montre l'important dispositif policier qui encadre et réprime la mobilisation.
Si Messali conserve un temps influence et autorité au sein de l'immigration, comme le prouve la manifestation organisée en mars 1956 devant l'Assemblée nationale contre le vote des pouvoirs spéciaux, le FLN progresse de manière spectaculaire.
A partir de 1957, il est profondément implanté au sein de la communauté immigrée tandis que le MNA recule vers ses bastions du nord et de l'est de la France. Messali Hadj est désormais bien isolé et ne pèse plus sur le cours des événements.
La métropole, second front du FLN en France
Les attentats du FLN et la répression
Le FLN s'enracine dans la communauté immigrée en France grâce notamment à un maillage serré de cellules de militants. Cette situation fait craindre aux pouvoirs publics l'émergence d'une véritable contre-société.
En 1958, la Fédération de France prend la décision de porter le conflit sur le territoire métropolitain. Le 25 août 1958, une série d'attentats spectaculaires ont lieu, par exemple contre les dépôts de carburants du sud de la France.
La catastrophe de Mourepiane
Un attentat du FLN contre le dépôt d'hydrocarbures de Mourepiane à côté de Marseille a provoqué un gigantesque incendie. Un dispositif de surveillance a dû être mis en place - avec surveillance des égouts - pour éviter toute propagation du sinistre. On décompte 17 blessés et disparus.
Afin de soustraire les immigrés algériens à l'influence des nationalistes du FLN, les pouvoirs publics mettent en place un éventail de services sociaux spécialisés destinés uniquement aux Algériens (aide sociale et administrative, secours médical, alphabétisation, hébergement, emploi...). Si l'action sociale est réelle, elle camoufle mal un double objectif. Le premier est de nature idéologique : montrer que la France est seule à même de répondre aux difficultés des immigrés, dans la lignée de l'action psychologique menée en Algérie, en particulier dans le cadre des Sections administratives spécialisées. Le second est d'ordre opérationnel : accomplir une mission de renseignement. Celle-ci viendra bien entendu alimenter l'action répressive.
Elle est confiée, dans le département de la Seine (Paris et l'actuelle petite couronne) à la préfecture de police. C'est Maurice Papon qui est nommé à sa tête en mars 1958. Il bénéficie d'une large expérience des « questions nord-africaines », acquise au cours de ses précédentes affectations : Secrétaire général du protectorat du Maroc entre 1954 et 1956, puis Inspecteur général de l'administration en mission extraordinaire à Constantine de mai 1956 à mars 1958. A Paris, il importe la stratégie appliquée en Algérie. Est associée aux services spécialisés qui transmettent le renseignement une répression violente, avec le recours à des forces supplétives (la Force de police auxiliaire ou « harkis de Paris »).
La manifestation du 17 octobre 1961
A l'automne 1961, l'idée d'une solution négociée au conflit algérien est admise. Des négociations ont été officiellement ouvertes entre le GPRA et le gouvernement français. Mais l'été 1961 a été particulièrement tendu suite à la recrudescence d'attentats du FLN en métropole. 22 policiers ont ainsi été tués dans des attentats entre janvier et octobre 1961, dont la moitié sur la courte période allant de fin août à début octobre. Le préfet de police intensifie donc les arrestations et les perquisitions. Parallèlement, des groupes de policiers pratiquent des « ratonnades » en dehors de leur temps de service. Face à la pression de ses hommes, Maurice Papon répond sans ambiguïté lors des obsèques d'un policier le 2 octobre 1961 : « pour un coup reçu, nous en porterons dix ». Plus tard, il assure aux policiers que s'ils tirent les premiers, ils seront couverts. Le 5 octobre 1961, conformément à sa demande, un couvre-feu pour les Français musulmans d'Algérie de la région parisienne est instauré entre 20h30 et 05h30.
En réponse, le FLN organise le boycott du couvre-feu. Dans une logique de rupture avec la stratégie des attentats, l'action prend la forme d'une grande manifestation pacifique, rassemblant hommes, femmes et enfants dans les rues de la capitale au soir du 17 octobre 1961.
Les manifestants, sans aucune arme conformément à la consigne (le service d'ordre procède à des fouilles pour s'en assurer), se rassemblent au cœur des lieux du pouvoir politique et culturel de la capitale : les Grands Boulevards, les Champs-Elysées, les boulevards St Michel et St Germain.
Immédiatement, ils font face à un déchaînement de violence policière. Des coups de feu sont tirés sur le pont de Neuilly, les charges et matraquages sont incessants sur le boulevard Bonne-Nouvelle, des hommes sont précipités dans la Seine. Les exactions se poursuivent à l'abri des regards dans les centres de détention où sont envoyés les 11 538 hommes arrêtés sur un total de 22 000 manifestants. D'après les récents travaux des historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master, le bilan s'élèverait à au moins une centaine de morts pour cette nuit du 17 octobre. Il complète le sombre tableau des nombreuses autres victimes de la répression policière. Mais le drame sombre rapidement dans l'oubli.
Manifestation du 17 octobre 1961 [muet]
[Document muet] Le 17 octobre 1961, la manifestation organisée par le FLN pour protester contre le couvre-feu imposé aux seuls Algériens et pour l'indépendance de l'Algérie, est violemment réprimée par les forces de police dirigées par le préfet de police Maurice Papon.
La France et les Français dans la guerre
Des Français contre la guerre
Si les premiers mois les Français suivent de loin les « événements en Algérie », l'envoi du contingent en 1956 provoque une prise de conscience des réalités du conflit. Progressivement, l'opinion évolue, sous la conduite de De Gaulle, vers l'idée d'une solution négociée avec le FLN. Une véritable lassitude s'installe, si bien qu'à mesure que le conflit s'éternise on voit se multiplier, en particulier dans les milieux de gauche et estudiantins, les actions contre la guerre et pour la paix en Algérie.
Les plus engagés soutiennent concrètement la lutte indépendantiste algérienne. Ce sont le plus souvent des militants situés à l'extrême gauche, imprégnés d'internationalisme, et appartenant aux milieux professionnels de l'Université, de l'édition, du spectacle. L'attitude de la gauche et le vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet ont précipité la création de ces réseaux. Les plus connus sont le réseau Jeanson et le réseau Curiel. Les militants mènent diverses actions comme l'hébergement ou le déplacement de membres et cadres du FLN, et le transport de fortes sommes d'argent – le plus souvent issues des cotisations de l'immigration algérienne – destinées à l'achat d'armes et de munitions ; d'où le surnom de « porteurs de valises ». En février 1960, la police arrête une vingtaine de membres du réseau Jeanson. Le 1er octobre, les quinze principaux accusés sont condamnés à dix ans de réclusion (dont Francis Jeanson, jugé par contumace). Ils seront amnistiés par la loi du 17 juin 1966.
Le drame de Charonne
Le 8 février 1962, le PCF organise une manifestation pour exiger que soit mis fin à la guerre d'Algérie et pour dénoncer l'OAS. L'opinion publique est en effet bouleversée par un attentat, visant initialement le ministre André Malraux et qui a défiguré une petite fille, Delphine Renard. Alors que se déploient de nombreux manifestants, notamment dans le quartier de la Bastille, les policiers chargent violemment et huit personnes sont tuées à la station de métro Charonne. L'émotion est considérable. Leurs obsèques au Père Lachaise rassemblent environ 500 000 personnes. Le drame de Charonne restera dans les mémoires comme le symbole de la violence d'Etat pendant la guerre d'Algérie.
Bibliographie
- Linda Amiri, La bataille de France : la guerre d'Algérie en métropole, Paris, Robert Laffont, 2004.
- Raphaëlle Branche, Sylvie Thénault (sous dir.), La France en guerre 1954-1962. Expériences métropolitaines de la guerre d'indépendance algérienne, Paris, Autrement, 2008.
- Peggy Derder, L'immigration algérienne et les pouvoirs publics dans le département de la Seine 1954-1962, Paris, L'Harmattan, 2001.
- Peggy Derder, Immigration algérienne et guerre d'indépendance, Paris, La Documentation française – Cité nationale de l'histoire de l'immigration, 2012.
- Jim House, Neil Mac Master, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d'Etat et la mémoire, Paris, Tallandier, 2008.
- Benjamin Stora, Ils venaient d'Algérie. L'immigration algérienne en France 1912-1992, Paris, Fayard, 1992.
- Benjamin Stora, Les immigrés algériens en France. Une histoire politique 1912-1962, Hachette Littératures, collection « Pluriel », 2009.