Les obsèques des victimes de Charonne
Notice
Le 13 février, cinq jours après le drame du métro Charonne (9 morts lors des manifestations anti-OAS), plusieurs centaines de milliers de personnes assistent aux obsèques des victimes.
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Éclairage
Le 8 février 1962, le PC, le PSU, les Jeunesses socialistes et les principaux syndicats appellent à une manifestation de "défense républicaine" protestant contre la vague d'attentats OAS qui secoue la France (180 plasticages en janvier-février) et contre la guerre d'Algérie. Lors de la manifestation, les heurts avec les forces de l'ordre, nombreux et violents, débouchent sur un drame. Après l'ordre de dispersion, paniqués par les charges policières, des manifestants cherchent à se réfugier au métro Charonne, boulevard Voltaire. Mais leurs corps sont écrasés contre les grilles à demi fermées de la station tandis que "les policiers tapent dans le tas à coup de "bidule". [Benjamin Stora, La Gangrène et l'oubli. La Mémoire de la guerre d'Algérie, La Découverte, 1998, p.101]
On relève 9 morts (huit manifestants et un journaliste de L'Humanité ) et plusieurs dizaines de blessés. Le choc est considérable. Charonne entre "ce soir-là dans les lieux sacrés de la mémoire collective, comme jadis la rue Transnonain ou le mur des Fédérés" [Michel Winock, "Une paix sanglante", in Patrick Eveno, Jean Planchais (dir.), La Guerre d'Algérie, La Découverte-Le Monde, 1989]. Le 13 février, tandis qu'une grève générale de protestation et de solidarité avec les familles des victimes paralyse le pays, 500 000 personnes suivent les obsèques des victimes de Charonne.
Au sujet de "Charonne", bien des questions demeurent. Ce défilé anti-OAS allait, indirectement, dans le sens du pouvoir. Alors pourquoi a-t-on fait charger une foule désarmée peu après que l'ordre de dispersion a été donné ? A l'époque, les responsabilités de l'affrontement sont aussitôt controversées. Le ministre de l'Intérieur Roger Frey reproche dans un premier temps aux "séides" du PCF d'avoir joué le jeu de l'OAS avant d'accuser cette dernière, sur la foi d'un document saisi dans ses archives, d'avoir monté une "opération provocation".
Cette séquence d'information, dont le caractère solennel est renforcé par le traitement sonore (marche funèbre), valorise le recueillement collectif et pacifique des Français ("silence", "piété populaire", "nul heurt"). Elle délivre un message : la nécessité de revenir à l'union nationale, au-delà des clivages d'opinion, pour faire front à l'OAS et au trouble causé par la guerre d'Algérie ("Il ne faut plus que la paix intérieure soit troublée"). Elle loue la "conscience d'un peuple" sachant se retrouver dans l'adversité.
Si le drame de Charonne et l'envergure de la protestation du 13 février justifient ce commentaire sur la compassion solidaire de l'opinion, un fait essentiel est gommé : c'est le peuple de gauche qui est touché dans sa chair. C'est ainsi qu'aux premiers rangs du cortège funèbre défilent les communistes (la plupart des victimes appartenaient au PCF), puis les principaux partis et leaders de gauche, à l'instar de Pierre Mendès France (de 0'26 à 0'30, au centre du cortège, tournant la tête vers la droite). On préfère donc ici un message consensuel à une approche informative critique qui nuirait à l'idée de la commémoration nationale. La responsabilité éventuelle du pouvoir dans ce drame est ainsi passée sous silence.