Le bornage des dunes sur le littoral aquitain

19 août 1995
01m 39s
Réf. 00045

Notice

Résumé :

Depuis 1990, l'Office National des Forêts établit tous les deux ans des profils du littoral aquitain en perpétuel mouvement sous l'effet du vent et de la mer. D'ici quelques années, ces résultats croisés avec d'autres données permettront de mesurer l'érosion du cordon dunaire.

Date de diffusion :
19 août 1995
Source :
France 3 (Collection: Soir 3 )

Éclairage

La gestion des 200 km de côte en Aquitaine a toujours été une préoccupation majeure pour les populations littorales et les administrateurs en raison de l'instabilité des dunes. De Soulac à Bayonne, la tradition rapporte ainsi de nombreuses anecdotes liées à l'ensevelissement de chapelles, quartiers et bourgs.

Si les grands travaux menés par Nicolas Brémontier (1738-1809) au XVIIIe siècle sont bien connus, on ignore généralement que des précurseurs se sont engagés plus tôt dans cette lutte contre les éléments. Ainsi, dès 1713, Jean-Baptiste Amanieu de Ruat, captal de Buch, ensemence les dunes en pins, du côté de La Teste, pour les fixer. Son fils, et son petit-fils aidé de son homme d'affaire Peyjehan Jeune, poursuivent son œuvre qui inspire d'ailleurs Brémontier.

Plus au sud, dans le futur département des Landes, l'abbé Matthieu Desbiey et son frère Guillaume, réussissent, de leur côté, à stabiliser en 1769 une dune mobile à Saint-Julien-en-Born. Il s'agit d'initiatives ponctuelles qui se heurtent déjà à l'hostilité des populations locales attachées, pour des raisons économiques évidentes, à la vaine pâture [1].

Les projets de creusement d'un canal entre Arcachon et l'Adour, à des fins militaires, en 1778, exigent, un peu plus tard, de juguler au préalable le déplacement des dunes. Des travaux à grande échelle sont alors engagés sous la direction de Nicolas Brémontier, ingénieur des Ponts et Chaussées, et de Peyjehan Jeune. Ils adoptent le principe d'ériger, à 70 mètres du trait de côte, une palissade de madriers contre laquelle le sable, en venant s'accumuler, constitue une dune littorale d'une douzaine de mètres, formant ainsi une barrière fixée par des gourbets, appelés aussi oyats ou roseaux des sables (Ammophila arenaria). Par ailleurs, la dune intérieure est maintenue par un semis de pins, d'ajoncs et de genêts parfaitement adaptés au biotope.

Entre 1817 et 1876, les Ponts et Chaussées puis les Eaux et Forêts réussissent à maîtriser 88 000 ha de terrains côtiers tandis que, grâce au système Goury [2], on édifie une dune stabilisée sur la bande littorale pour protéger la forêt des lettes.

Malheureusement, le premier conflit mondial, en 1914, entraîne le désengagement de l'État qui rétrocède aux communes des zones fragiles dont l'entretien est coûteux ; s'ouvrent alors, face à la mer, des "fenêtres océanes", autrement dit les stations balnéaires qui forment des doublons toponymiques avec les communes dont elles dépendent. Le long de la "Côte d'Argent" [3], désormais rectiligne, apparaissent les villas de Mimizan "plage" ou de Biscarrosse "plage", lieux de villégiature des Landais de l'arrière-pays.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, l'État ne possède plus que 36 % des forêts dunaires et conserve les dunes non boisées. En 1958, les Eaux et Forêts profilent au bulldozer les dunes blanches du domaine public alors que l'Office National des Forêts (ONF) revient, de nos jours, à des méthodes plus écologiques pour essayer d'enrayer l'inexorable phénomène d'érosion.

Malgré tous les efforts fournis depuis trois siècles, le recul de la dune sous l'effet de la mer est en effet incessant, le courant littoral nord-sud entraînant l'alternance de phases d'engraissement des plages par apport de matériau, et de phases d'affouillement.

Face à ce phénomène toujours recommencé, les ingénieurs de l'ONF veillent et comptent, grâce à des mesures croisées, établir à moyen terme un bilan de la dégradation du cordon dunaire de façon à définir de nouvelles normes concernant l'implantation de l'habitat. "Il ne faut plus construire à moins de 500 mètres du littoral" souligne Jean Favennec, chargé de ces questions : une évidence qu'approuvent les Anciens dont les pères, aux premiers temps des "bains de mer", ont manqué de prudence. Mais ils ne pouvaient prévoir - il est vrai - les problèmes liés à la surfréquentation des petites stations, alors familiales, où l'on était alors "entre soi"...

[1] Au temps de la civilisation agro-pastorale précédant l'implantation systématique du pin, les bergers bénéficient du droit de pacage sur les communaux. La loi de 1857 et la privatisation de ces terres destinées à la forestation mettent fin, de facto, à cette tolérance et menacent cet usage ancestral.

[2] En 1822, l'ingénieur des Ponts et Chaussées J.S. Goury a l'idée d'ériger une palissade entre la plage et les semis de pins pour diminuer les effets du vent. Le sable, s'accumulant contre cette palissade que l'on relève progressivement, constitue bientôt une dune protectrice que l'on fixe avec des oyats.

[3] Nom attribué en 1905 par Maurice Martin au littoral gascon, de Bayonne à la Pointe de Grave.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Journaliste
De la Gironde à l’Adour, 200 km de côte sableuse. Un milieu naturel où se succèdent l’océan, la plage et l’ensemble dunaire. Un milieu vivant en perpétuel mouvement sous le double effet du vent et de la mer. Au siècle dernier, les hommes ont ensemencé les dunes et reboisé ce qui est devenu aujourd’hui le premier massif forestier d’Europe.
Jean Favennec
L’ensemble de cette forêt dunaire a été implanté au siècle dernier, de façon à contrôler les mouvements de sable. Vous pouvez très bien ici voir que cette forêt est d’implantation humaine. Vous voyez ces alignements.
Journaliste
Mais chaque année sur le littoral, la houle grignote 1 ou 2 m de plage. C’est l’érosion marine encore relativement mal connue. Alors depuis 1990, l’Office National des Forêts a installé 40 points fixes en Gironde et dans les Landes. Tous les 2 ans les techniciens de l’ONF mesurent des profils à partir de ces bornes. Les résultats seront exploités dans 5 à 10 ans et recoupés avec d’autres données, photos satellitaires, mesures des mouvements du sable mais déjà une règle de base s’impose.
Jean Favennec
On peut dire qu’en Aquitaine, la sagesse élémentaire serait de ne plus construire sur au moins 500 m le long du littoral, de façon à ne pas se mettre en position de risque.
Journaliste
A ce programme de mesure, mené par l’ONF, participent des chercheurs de l’Université de Bordeaux et le BRGM, et nos voisins européens le suivent avec attention. Demain peut-être, les hommes sauront mieux gérer ce phénomène naturel qu'est la vie du littoral et le concilier avec leurs propres activités. Dès aujourd’hui, en de nombreux points de la côte, on a aménagé accueil du public, sécurité plage incendie et informations des vacanciers sur le milieu naturel. Sur la côte d’Aquitaine, tourisme et environnement peuvent encore se conjuguer.