Le bornage des dunes sur le littoral aquitain
Notice
Depuis 1990, l'Office National des Forêts établit tous les deux ans des profils du littoral aquitain en perpétuel mouvement sous l'effet du vent et de la mer. D'ici quelques années, ces résultats croisés avec d'autres données permettront de mesurer l'érosion du cordon dunaire.
Éclairage
La gestion des 200 km de côte en Aquitaine a toujours été une préoccupation majeure pour les populations littorales et les administrateurs en raison de l'instabilité des dunes. De Soulac à Bayonne, la tradition rapporte ainsi de nombreuses anecdotes liées à l'ensevelissement de chapelles, quartiers et bourgs.
Si les grands travaux menés par Nicolas Brémontier (1738-1809) au XVIIIe siècle sont bien connus, on ignore généralement que des précurseurs se sont engagés plus tôt dans cette lutte contre les éléments. Ainsi, dès 1713, Jean-Baptiste Amanieu de Ruat, captal de Buch, ensemence les dunes en pins, du côté de La Teste, pour les fixer. Son fils, et son petit-fils aidé de son homme d'affaire Peyjehan Jeune, poursuivent son œuvre qui inspire d'ailleurs Brémontier.
Plus au sud, dans le futur département des Landes, l'abbé Matthieu Desbiey et son frère Guillaume, réussissent, de leur côté, à stabiliser en 1769 une dune mobile à Saint-Julien-en-Born. Il s'agit d'initiatives ponctuelles qui se heurtent déjà à l'hostilité des populations locales attachées, pour des raisons économiques évidentes, à la vaine pâture [1].
Les projets de creusement d'un canal entre Arcachon et l'Adour, à des fins militaires, en 1778, exigent, un peu plus tard, de juguler au préalable le déplacement des dunes. Des travaux à grande échelle sont alors engagés sous la direction de Nicolas Brémontier, ingénieur des Ponts et Chaussées, et de Peyjehan Jeune. Ils adoptent le principe d'ériger, à 70 mètres du trait de côte, une palissade de madriers contre laquelle le sable, en venant s'accumuler, constitue une dune littorale d'une douzaine de mètres, formant ainsi une barrière fixée par des gourbets, appelés aussi oyats ou roseaux des sables (Ammophila arenaria). Par ailleurs, la dune intérieure est maintenue par un semis de pins, d'ajoncs et de genêts parfaitement adaptés au biotope.
Entre 1817 et 1876, les Ponts et Chaussées puis les Eaux et Forêts réussissent à maîtriser 88 000 ha de terrains côtiers tandis que, grâce au système Goury [2], on édifie une dune stabilisée sur la bande littorale pour protéger la forêt des lettes.
Malheureusement, le premier conflit mondial, en 1914, entraîne le désengagement de l'État qui rétrocède aux communes des zones fragiles dont l'entretien est coûteux ; s'ouvrent alors, face à la mer, des "fenêtres océanes", autrement dit les stations balnéaires qui forment des doublons toponymiques avec les communes dont elles dépendent. Le long de la "Côte d'Argent" [3], désormais rectiligne, apparaissent les villas de Mimizan "plage" ou de Biscarrosse "plage", lieux de villégiature des Landais de l'arrière-pays.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, l'État ne possède plus que 36 % des forêts dunaires et conserve les dunes non boisées. En 1958, les Eaux et Forêts profilent au bulldozer les dunes blanches du domaine public alors que l'Office National des Forêts (ONF) revient, de nos jours, à des méthodes plus écologiques pour essayer d'enrayer l'inexorable phénomène d'érosion.
Malgré tous les efforts fournis depuis trois siècles, le recul de la dune sous l'effet de la mer est en effet incessant, le courant littoral nord-sud entraînant l'alternance de phases d'engraissement des plages par apport de matériau, et de phases d'affouillement.
Face à ce phénomène toujours recommencé, les ingénieurs de l'ONF veillent et comptent, grâce à des mesures croisées, établir à moyen terme un bilan de la dégradation du cordon dunaire de façon à définir de nouvelles normes concernant l'implantation de l'habitat. "Il ne faut plus construire à moins de 500 mètres du littoral" souligne Jean Favennec, chargé de ces questions : une évidence qu'approuvent les Anciens dont les pères, aux premiers temps des "bains de mer", ont manqué de prudence. Mais ils ne pouvaient prévoir - il est vrai - les problèmes liés à la surfréquentation des petites stations, alors familiales, où l'on était alors "entre soi"...
[1] Au temps de la civilisation agro-pastorale précédant l'implantation systématique du pin, les bergers bénéficient du droit de pacage sur les communaux. La loi de 1857 et la privatisation de ces terres destinées à la forestation mettent fin, de facto, à cette tolérance et menacent cet usage ancestral.
[2] En 1822, l'ingénieur des Ponts et Chaussées J.S. Goury a l'idée d'ériger une palissade entre la plage et les semis de pins pour diminuer les effets du vent. Le sable, s'accumulant contre cette palissade que l'on relève progressivement, constitue bientôt une dune protectrice que l'on fixe avec des oyats.
[3] Nom attribué en 1905 par Maurice Martin au littoral gascon, de Bayonne à la Pointe de Grave.