Gabriel Sourgens raconte... Entre Landes et océan
Notice
Après avoir dresser le portrait type du Landais, Gabriel Sourgens, 82 ans, nous livre quelques tranches de vie savoureuses comme l'histoire de l'échouage des barriques de Porto sur la plage de Contis en 1918 et celui d'une baleine à la veille de la Seconde Guerre mondiale ou encore les parties de chasse et de pêche de sa jeunesse, sans oublier la fabrication de l'armagnac.
Éclairage
Le pays de Born, sur la côte landaise, au nord du Marensin, est un rectangle de 45 km de long sur une vingtaine de large, héritier du vieux pays des Cocosates dans la cité romaine des Tarbelli. L'Océan, le massif dunaire, les étangs et la forêt constituent cet univers si bien décrit par Gabriel Sourgens, de Saint-Julien-en-Born.
Bavard, malicieux, accueillant, amoureux de son terroir où il a toujours vécu, il raconte, à 82 ans, ce que fut sa vie en communion avec le milieu naturel. Il évoque surtout, en ce début des années 1980, la pérennisation d'une certaine autarcie dans les modes de vie.
Mémoire vivante de ce coin du Born, fin psychologue, il décrit le caractère landais tout en faisant son auto portrait, évoque des tranches de vie, sur fond historique. Son discours est ponctué d'expressions gasconnes soulignant ce que le français ne peut dire.
Évoquant sa jeunesse, deux épisodes le marquent : à 16 ans, l'achat de son permis de chasse – le prix d'une semaine de travail – et "l'affaire du porto". Si la chasse et la pêche, au début du XXe siècle, représentent un complément alimentaire non négligeable pour les gens de petite condition (métayers, gemmeurs, petits propriétaires), ce qui attend les riverains, de Contis à Mimizan, en ce matin d'octobre 1918, fut longtemps considéré comme une manne, non pas tombée du ciel, mais venue de la mer. Près d'un siècle plus tard, on en parle encore.
L'affaire prend un certain relief car elle renvoie à une législation assez floue sur le "droit de naufrage" : en novembre 1626, un galion portugais, "chargé de richesses considérables", coule sur la côte landaise. Le duc d'Épernon, cadet de Gascogne, seigneur de Caumont, prétend, en tant que gouverneur, avoir part au droit de bris et naufrage. Il est soutenu par le Parlement mais Richelieu, "Grand Maître chef et surintendant de la Navigation et du Commerce en France" entend exercer sans partage ce droit régalien et envoie plusieurs commissaires chargés d'informer sur le naufrage, de veiller sur les épaves et réprimer les pillages [1].
Balayant d'un revers de la main l'idée que les Landais de la côte pussent être des naufrageurs, comme l'assure la légende, Gabriel Sourgens raconte, en insistant sur l'anecdote, le naufrage du Cazengo, un cargo portugais torpillé par les Allemands ; il coule avec des centaines de barriques de porto, madère et malaga le 8 octobre 1918 [2]. L'équipage est sauvé – à l'exception de 4 hommes morts dans l'explosion – et les centaines de barriques qui viennent s'échouer sur la plage sont bien vite récupérées par les riverains. Et le Landais d'évoquer implicitement le prétendu droit de naufrage : "Ce n'était pas interdit !"... "J'ai même le sentiment d'avoir rendu service à ces malheureuses pièces...", justifiant par ces propos la récupération de milliers de litres de "délicieux nectar". Suit un croustillant épisode de cache-cache avec un "commandant des douanes" qui fait sa ronde sur la grève, renvoyant aux mesures prises quelque trois siècles auparavant par Richelieu.
Des techniques ancestrales de pêche au flambeau, au filet, à la main ou à la foène [3], aux secrets de toutes les chasses locales en passant par la fabrication d'un "Armagnac" local, il connaît tout ; tout pour, malgré la faiblesse des revenus en numéraire, goûter les plaisirs simples de la vie distribués généreusement par la nature. En cela, il pourrait s'inscrire dans la liste des informateurs de Félix Arnaudin [4].
Mais, descendant de métayers, Gabriel Sourgens établit, encore en 1983, une dichotomie entre la société des "notables" et le petit monde auquel il appartient. Il rappelle qu'en cette fin de XXe siècle, la société landaise, si elle a globalement évolué après les événements de 1919-1920 et la révolte des métayers, si elle s'est modifiée du fait des "métissages", elle n'a toujours pas fini d'assimiler tous ces bouleversements sociaux majeurs.
[1] LOIRETTE, François, L'État et la région : l'Aquitaine au XVIIe siècle, Talence : Presses universitaires de Bordeaux, 1998, p. 31.
[2] TAILLENTOU, Jean-Jacques, Histoire des naufrages sur le littoral landais (1578-1918), Orthez : éd. Gascogne, 2008, 113 pages.
[3] Du latin fuscina, "trident". Sorte de harpon à plusieurs dents longues et flexibles avec laquelle on attrape les poissons plats.
[4] "Folkloriste », ethnologue de la Grande Lande (1844-1921), Félix Arnaudin, né et mort à Labouheyre, passe sa vie à recueillir auprès d'informateurs locaux tout ce qui touche la vie quotidienne de son "pays".