Le mariage dans les Landes

22 avril 1978
04m 24s
Réf. 00422

Notice

Résumé :

Dans cette émission radiophonique Le Pont des arts, Raoul Bénesse, un ancien professeur, présente les traditions et les coutumes qui accompagnaient le mariage en Gascogne, de l'invitation aux noces à leur déroulement en passant par la cérémonie du mariage en elle-même.

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Date de diffusion :
22 avril 1978
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Éclairage

En Gascogne, comme partout ailleurs, le mariage et les rites qui lui sont associés occupent une bonne part du fonds ethnologique. Passage essentiel dans la vie d'un homme ou d'une femme, il est marqué par une série d'usages très codifiés variant quelque peu cependant d'une région à l'autre.

L'abbé Césaire Daugé (1858-1945), natif d'Aire-sur-l'Adour, érudit, historien local, écrivain, philologue, félibre et ethnographe lui consacre un ouvrage monumental intitulé Le mariage et la famille en Gascogne d'après les proverbes et les chansons, véritable bible du folklore landais. Félix Arnaudin (1844-1921), de Labouheyre, évoque lui aussi, de façon plus aléatoire, les coutumes liées à l'événement ; on apprend notamment, dans ses Grandes notes, les usages liés, en amont, à la demande en mariage.

Tout commence avec un souper chez la promise, à l'issue duquel le présumé fiancé sait rapidement si sa demande est accordée : le jeune homme s'y rend avec un pichet de terre vernissé rempli de vin sur l'épaule [1] et partage le repas avec la famille de la jeune fille ; on dit alors, en gascon, har brasa, "faire des braises", car un feu brûle dans la cheminée, hiver comme été. Quand la jeune fille ne veut pas de cette union, elle retourne les tisons, côté rougeoyant vers le haut [2], tandis qu'une autre tradition veut que le refus soit signifié par des noix servies à la fin du repas [3].

Mais en réalité, la plupart des mariages sont arrangés par les pères de famille et, au cours du repas d'accordailles, le matiuèc [4], l'entremetteur, appelé aussi maridaire ou maridador lance la conversation sur les choses sérieuses, les "arrangements" qui se concluent généralement par une soirée festive [5].

Les préparatifs du mariage, après deux mois de fiançailles environ, validées par une bénédiction, peuvent alors commencer. Là interviennent deux personnages essentiels, véritables "interfaces" entre la famille et les invités, les caça-cans. Tradition populaire propre à des populations ne maîtrisant pas l'écrit, l'invitation de vive voix constitue en effet l'une des coutumes les plus ancrées dans l'inconscient collectif si bien que cette pratique connaît un certain regain aujourd'hui.

Deux jeunes gens, représentant les familles respectives des futurs époux, sont chargés de faire les invitations. Munis d'un bâton destiné, avant tout, à écarter les chiens, lo caça can, le "chasse chien", ils cheminent de maison en maison pour annoncer la nouvelle. Chaque foyer visité leur remet un ruban coloré qu'ils accrochent à leur cannes attestant d'une part qu'ils ont bien accompli leur mission, confirmant d'autre part le nombre d'invités ayant répondu par l'affirmative.

Mais à chaque réponse positive correspondent des libations qui donnent aux invitadors un peu plus de force pour accomplir leur mission. Leur tournée achevée, baston flocat [6] à la main, ils rendent compte du nombre d'invités mais la tradition veut que, en raison du protocole respecté de génération en génération, les caça-cans aient toujours eu quelques difficultés sur le chemin du retour ; ceci est à l'origine d'une chanson malicieuse et triste à la fois, connue dans une grande partie des Landes : il y est question d'un inviteur qui s'est saoulé, qui roule sous la table et que les porcs dévorent après qu'on l'a porté sur une charrette à la soue [7]. Car - il ne faut pas l'oublier - la communauté villageoise est garante des bonnes mœurs : de l'intempérance des uns et des autres à la vertu de la mariée qui mérite juncada ou palhada [8], du remariage d'un veuf âgé avec une "jeunesse" sanctionné par un "charivari" au lendemain de ses noces aux déviances de ceux qui représentent l'autorité, tout est évalué, jugé, approuvé ou condamné dans la société traditionnelle...

[1] Que'm trobèt qu'aví ua toca de vin sus l'umba : e vas har brasa, Toène ? "Il me trouva portant un pichet de vin sur l'épaule : tu vas faire ta demande, Antoine ?" Félix Arnaudin, Œuvres complètes, tome VII, p. 579.

[2] Con hèn brasa, se la gojata vòu pas lo gojat, que met los tisons lo cap burlat de cap en haut. "Quand on fait sa cour, si la jeune-fille ne veut pas du prétendant, elle retourne les tisons." Félix Arnaudin, Œuvres complètes, tome VII, p. 582.

On peut voir dans ce geste bien spécifique le refus de fonder un "foyer".

[3] Ce rituel se traduit par l'expression Balhar los esquilhòts, "donner les noix". Félix Arnaudin, Œuvres complètes, tome VII, p. 582.

[4] Forme diminutive de Matiu, Mathieu, par métonymie.

[5] A mei repaish, pas davant, començavan a parlar d'ahars, o sus la fin...De tira, tot que vinè hret, calè desbàter...se sajavan...Qu'èra lo matiuec que metè la causa en trin. Un còp tot arranjat, tot que sanjava, tot que s'esclariva...los amusaments que començavan. "À moitié repas, pas avant, on commençait à parler affaires, ou vers la fin... Aussitôt, l'ambiance se refroidissait, il fallait débattre...on se jaugeait. C'était l'entremetteur qui lançait le sujet. Une fois les arrangements faits, tout changeait, tout s'éclairait...les amusements commençaient." Félix Arnaudin, Œuvres complètes, tome VII, p. 583.

[6] "Bâton fleuri", c'est-à-dire ici "enrubanné de toutes les couleurs".

[7]

Lo caça can s'es ibronhat

Lo praube, lo praube,

Lo caça can s'es ibronhat

Lo praube gojat.

Devath la taula l'an trobat

Lo praube, lo praube,

Devath la taula l'an trobat

Lo praube gojat.

Sus un carriu que l'an hicat,

Lo praube, lo praube,

Sus un carriu que l'an hicat

Lo praube gojat.

Au sot deus pòrcs que l'an portat

Lo praube, lo praube,

Au sot deus pòrcs que l'an portat

Lo praube gojat.

Los pòrcs que se l'an tot chapat

Lo praube, lo praube

Los pòrcs que se l'an tot chapat

Lo praube gojat !

[8] La jonchée traditionnelle jalonnant le cortège était parfois remplacée, nuitamment, par un chemin de paille laissant planer le doute sur le passé de l'épouse.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Journaliste
Monsieur Raoul Benes connaît bien le folklore de ce pays. Monsieur Raoul Benes, que nous avons entendu déjà au début de ce reportage, est un ancien enseignant. C'est le conteur des traditions de ce pays.
Raoul [Benes]
Pour inviter au mariage, nous avions ce que nous appellons le [zembitedos], c'est-à-dire celui qui va faire les invitations. Mais celui-là, nous l'appelions le [cassecan], c'est-à-dire le "chasse-chien". Et il avait une grande canne, n'est ce pas, pour pouvoir chasser les chiens quand il arrivait dans les endroits où il devait inviter les gens, et il devait prononcer la formule suivante... Je vais vous le dire en gascon, non ... oui ? [Gascon]. Alors : "Nous venons avec Marie de tel endroit et Pierre de tel autre endroit pour vous inviter à la noce de leur fils et de leur fille, pour venir de la table à l'église (parce qu'on mangeait avant d'aller à l'église), de la table à l'église, de l'église à la table, pour partager avec eux tout ce que le bon Dieu leur a donné". Alors, ceux qui étaient invités, les... on appelait ça les contre-époux - on les appelait autrefois les donzelles et les donzellons - et bien alors ceux qui étaient les contre-époux, ceux-là mettaient un ruban à la canne du [cassecan], mettaient un ruban pour indiquer que oui, qu'ils acceptaient l'invitation. Et on comptait le nombre de rubans pour savoir combien on avait d'invités, n'est-ce pas, ensuite, au mariage. La veille du mariage, on bénissait le lit nuptial. Les donzelles et les donzellons se donnent le bras pour aller à l'église, et le ménétrier devant, le ménétrier c'est-à-dire un violoniste et un clarinettiste quelquefois, jouaient, faisaient, jouaient un petit air, n'est-ce pas, pour les accompagner, soit à l'église, et les ramener de l'église, n'est-ce pas, à la maison. Et alors là, il y avait deux ménétriers, un jour, qui se trouvaient dans un petit village pas très loin d'ici. Et alors le violoniste jouait cet air-là : [chanson]. Alors vous aviez le clarinettiste qui faisait [son]. Bon. Alors, à ce moment-là, vous aviez un vieux bonhomme qui lui traduisait ainsi l'air que jouait et le violoneux et le clarinettiste. [Chanson]. Alors le clarinettiste [son]. C'est-à-dire : "Nous l'amenons vierge, quoi, nous l'amenons vierge à l'église". Alors le clarinettiste qui lui doute, en faisant "peut-être, peut-être, peut-être [incompris]". Maintenant, quand la cérémonie du mariage était terminée, il fallait inviter le curé. Et savez-vous ce qu'on lui disait en gascon ? [Gascon]. "Nous avons des poulets et des ortolans, ça tenez, ils l'aiment les curés - les caperans on les appelait, n'est-ce pas. Et puis le soir, après la noce, après avoir chanté, après avoir célébré n'est-ce pas tout, les vieilles chansons d'autrefois n'est-ce pas, à ce moment-là, il y avait ce qu'on appelait la "roste". La "roste", les amis de l'époux se rendent - les amis, et tous les contre-époux - se rendent dans la chambre des époux et leur offrent une rôtie de pain trempée dans du vin sucré. C'est la roste, ça. Alors naturellement, on plaisantait, les époux, etc, on plaisantait, mais on les obligeait à manger un peu de cette rôtie de pain trempée dans le vin sucré. Et l'on disait [gascon] : alors " Portons la roste aux époux, nous allons voir s'ils sont joyeux, ouvrez, ouvrez, ouvrez les mariés, ou nous ouvrirons si ça nous plaît".