Le festival punk de Mont-de-Marsan
Notice
En ce mois d'août 1977, le festival punk de Mont-de-Marsan rassemble de nombreux jeunes dont les tenues et le comportement parfois excentriques suscitent la curiosité des médias.
Éclairage
Organisé par Marc Zermati et son label Skydog, le deuxième festival punk de Mont-de-Marsan (05 et 06 août 1977) offre aux médias français une occasion d'illustrer, à grands renforts d'images pittoresques et de descriptions sensationnelles, ce qui n'était jusqu'à ces derniers mois qu'une rumeur venue de l'autre côté de la Manche : le phénomène punk. A l'affiche du festival : The Damned et The Clash, deux poids lourds de la scène punk anglaise, et plus largement un panorama de la nouvelle scène rock britannique et française. Un an après leurs homologues britanniques, les médias français braquent leurs projecteurs sur un phénomène qu'ils présentent tantôt comme une curiosité destinée à pimenter les actualités, tantôt comme un contre-modèle social sujet à railleries, ou bien le symptôme d'une jeunesse qui fait les frais de la crise économique et sociale de cette fin des années 70 [1]. En marge de la presse rock venue au festival de Mont-de-Marsan pour rendre compte des concerts [2], la presse d'actualité s'intéresse plutôt au "phénomène", se livrant à ce que certains décrivent comme un véritable safari-photo [3].
Comme la majorité des médias à l'époque, la rédaction de FR3 traite ici l'événement sur le mode du "thème de société" : le commentaire détaille les mœurs étranges de la tribu punk, et ne s'attarde pas sur la musique elle-même. Pourtant c'est une performance scénique qui sert de fil rouge au montage du sujet, celle du groupe bordelais Strychnine. Il n'en est presque jamais fait mention dans la presse nationale (fusse t-elle spécialisée dans le rock), pourtant Strychnine va représenter l'un des fleurons du rock bordelais, et l'une des principales influences de Noir Désir à ses débuts. Nous apercevons également dans ce reportage les Lou's (00'37'51) sur scène, un girl group parisien fraîchement signé chez Skydog, que la presse rock de l'époque décrit comme particulièrement influencé par le Velvet Underground.
Si l'on en croît ce reportage, les 3000 spectateurs du festival de Mont-de-Marsan sont tous "punks" par définition, bien qu'il soit "difficile de trier dans le lot" [4]. Selon Alain Pacadis, s'il y avait bien une majorité de punks, le public était également constitué de "beaucoup de hippies, de vacanciers, d'étudiants, de jeunes de la région" [5]. Autre son de cloche du côté de Francis Dordor pour le magazine Best : "[...] des punks je n'en ai vu qu'une poignée, et encore dans l'enceinte du backstage" [6]. Eric Tandy, futur membre des Olivensteins, précise : lors de la première édition du festival (en 1976) "les Damned sont les premiers punks que l'on voit vraiment", alors qu'en 1977 "on commence à voir des mecs déguisés en punks, c'est vraiment bizarre... " [7]. La contradiction des témoignages ne relève pas tant de différences d'appréciation des proportions que de définitions divergentes : qu'est-ce qu'être "punk" ? Le principe est bien connu : lorsque les codes d'une contre-culture échappent au petit cercle d'individus qui les a forgés, qu'ils sont appropriés par une frange plus vaste de la société, la question de son identité se pose. Qui sont les "vrais" punks, qui sont les "mecs déguisés en punks" ? Les premiers procès en inauthenticité semblent intentés dès 1977, alors que nous sommes encore en plein cœur du mouvement.
S'il y a bien un élément de la culture punk sur lequel se focalise le discours des médias, tant français que britanniques, c'est l'apparence physique des punks. Ce reportage ne fait pas exception à la règle : d'emblée le look est présenté comme la "carte de visite la plus répandue chez ces jeunes gens" ; il y est détaillé de la tête aux pieds, à la fois à travers les commentaires et les images. Même angle d'approche sur le plateau du Dessus du panier, un mois après le festival, lorsque Philippe Bouvard détaille du bout de ces lunettes la tenue d'un Patrick Eudeline médusé : "vous avez donc la tenue du punk ? [...] Je remarque – mais c'est peut-être une coïncidence – que c'est un peu déchiré et pas très propre tout ça : c'est voulu ? [...] Qu'est-ce que vous avez autour du cou, monsieur le punk ?" [8]. L'obsession des médias pour l'apparence punk appuie bien évidemment le sensationnalisme pittoresque du sujet ; elle apporte une touche de fantaisie à un journal ou une émission télévisée essentiellement consacrée à des sujets "sérieux". De manière plus pernicieuse, elle participe également à la construction d'un stéréotype qui résume la culture punk à un carnaval pour jeunes gens en mal de sensations. Conformément à ce que le sociologue Dick Hebdige nous apprend sur la nature des sous-cultures, le caractère subversif du punk s'exprime précisément "obliquement, au niveau profondément superficiel des apparences, à savoir au niveau des signes" [9]. A l'instar du dadaïsme ou du surréalisme, dont il s'inspire d'ailleurs, c'est à une "guérilla sémiotique" [10] que se livre le mouvement punk des années 70. La superficialité et l'apparente gratuité provocatrice de son style participent à "une parodie de l'aliénation et du vide existentiel" [11]. Comme toute guérilla, elle est affaire de terrain de bataille : sur celui des médias, soumis au cadre de pensée du sens commun, le punk est inopérant. Il y est enjoint à s'expliquer, à justifier ses provocations sur un mode pédagogique, en somme à se livrer à un exercice de dénégation de sa nature-même [12]. Sous les feux des projecteurs, le punk était donc condamné à fondre comme neige au soleil, à se réduire à une parodie de lui-même.
[1] En Grande-Bretagne, les premiers articles qui se font l'écho du mouvement punk datent de début 1976 ; le phénomène y est largement médiatisé au début de cette année 1977.
[2] D'après les articles publiés, il s'agit notamment de Best, Rock & Folk, Rock en stock, Alain Pacadis (pour Libération) du côté français ; Sounds, NME, Melody Maker, IT du côté britannique.
[3] Selon Alain Cousseau, "toutes les agences de presse dépêchent leurs photographes pour se constituer un fond de documentation sur les punks [...] les photographes ne cessent de nous mitrailler". Témoignage recueilli dans Nos Années Punk, Paris : Denoël, 2002, p.51.
[4] Si on en croît Alain Pacadis (Nightclubbing, Paris : Delanoël, 2002, p.262), le chiffre de 3000 correspondrait plutôt à la fréquentation prévue par les organisateurs et non la fréquentation effective. La plupart des comptes rendus – dont celui d'Alain Pacadis – parlent de 4000 à 5000 festivaliers.
[5] Alain Pacadis, Nightclubbing, op. cit. Il s'agit d'une chronique initialement publiée dans l'édition de Libération en date du 11 août 1977.
[6] Francis Dordor, « L'été punk », Best, octobre 1977, p.34.
[7] Témoignage recueilli dans Nos Années Punk, op. cit., p.52.
[8] Interview de Patrick Eudeline, émission Le Dessus du panier, A2, le 17/09/77, document Ina.
[9] Dick Hebdige, Sous-culture : le sens du style, Paris : La Découverte, 2008 (traduit de l'anglais), p.20.
[10] Expression d'Umberto Eco empruntée par Dick Hebdige, op. cit., p.111.
[11] Ibid, p.84.
[12] Ainsi, les questions de Philippe Bouvard adressées à Patrick Eudeline sur le plateau du Dessus du panier : "Quelle est la définition du punk ? [...] Dites-moi un petit peu d'où vient la vocation du punk, à partir de quel moment, si c'est pour protester contre quelque chose, dans quel pays on en trouve le plus... "
Bibliographie :
- DORDOR, Francis, "L'été Punk", Best, octobre 1977, p.32-37.
- EUDELINE, Christian, Nos Années Punk : 1972-1978, Paris : Denoël, 2002.
- HEBDIGE, Dick, Sous culture : le sens du style, Paris : La Découverte, 2008.
- O'HARA, Craig, La philosophie du punk : histoire d'une révolte culturelle, Rytrut, 2003.
- PACADIS, Alain, Nightclubbing / Chroniques et articles 1973-1986, Paris : Denoël, 2005.
- PACADIS, Alain, Un jeune homme chic, Paris : Denoël, 2002.
- SAVAGE, Jon, England's Dreaming, St. Martin's Griffin, 2002.