Incendies de 1949 : déclaration de Charles Prat

17 août 1949
02m 40s
Réf. 00421

Notice

Résumé :

Dans cette déclaration du 17 août 1949, alors que la forêt des Landes est en feu, Charles Prat, secrétaire général de la Fédération autonome des gemmeurs et métayers de la Gironde, expose les mesures nécessaires pour empêcher la progression des incendies et en appelle au gouvernement et à la solidarité de chacun pour venir en aide à "ceux qui ont tout perdu".

Type de média :
Date de diffusion :
17 août 1949
Personnalité(s) :

Éclairage

Quand Charles Prat, secrétaire général de la Fédération des Gemmeurs et Métayers du Sud-Ouest, fait cette déclaration, la forêt landaise est en feu. Trois incendies importants sont en cours ou s'achèvent. Dans le nord-est autour de Losse, dans le nord entre Sabres, Sore et Luxey et dans le sud-ouest au nord de Castets. Ces incendies ravagent des milliers d'hectares. Le lendemain de cette déclaration la forêt s'embrase à nouveau à Cestas en Gironde. Cet incendie tue 82 sauveteurs.

L'été de 1949 est particulièrement chaud et sec. La moindre imprudence ou acte de malveillance est catastrophique.

Cette forêt est une forêt de production. Les pins donnent pendant plus de vingt ans de la gemme ou résine que sécrète le pin par une blessure ou carre. Après distillation, cette gemme donne de la térébenthine et de la colophane. Avant guerre, le septième de la production mondiale vient du massif landais. La bourse internationale où sont fixés les cours de la résine et de ses dérivés, est à Dax. Elle y fonctionne jusque dans les années 1970.

Pour produire cette gemme, chaque résinier doit traiter 1500 à 3000 pins chaque été. Souvent, ces travailleurs ont, en complément, un petit lopin de terre qu'ils exploitent comme métayers. Quand la forêt brûle, ils perdent leur emploi. Il faut attendre près de vingt ans pour qu'un pin soit exploitable.

Dans les années 1920 un nouveau débouché pour la forêt se met en place, la papeterie. Les usines sont construites à Facture, Mimizan, Roquefort, Tartas, Bégles. La gemme est concurrencée par les dérivés du pétrole. Le white spirit remplace la térébenthine. Les dernières tentatives de relance du gemmage avec des expériences de mécanisation ont lieu dans les années 1980.

Le transport de la résine et des grumes ou billes de bois est assuré à l'époque par des muletiers et un réseau ferré départemental. C'est l'un des plus denses de France. Depuis ce sont les camions qui ont pris le relais avec une gestion informatisée qui en réduit les coûts.

L'ensemble de la filière forestière fait travailler 35 à 40 000 personnes.

A la sortie de la guerre, en 1945, les résiniers et les sylviculteurs travaillent ensemble pour remettre en marche l'économie forestière. Presque 300 000 hectares de forêt sont à replanter. Charles Prat avec Henri Verhille, président du syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest, proposent une organisation administrative spécifique au massif gascon pour faciliter sa remise en valeur. Projet rejeté pour inconstitutionnalité.

Les incendies de 1949 remettent en cause les directives des administrations centrales traduites dans l'ordonnance de 1945. Ordonnance combattue par tous les acteurs de la forêt landaise dès sa promulgation. Elle ne tenait pas compte des réalités du pays, selon les responsables professionnels de l'époque.

Dès l'automne 1949, une commission pour la mise en valeur des Landes de Gascogne est constituée. Des débats ont lieu dans le massif, en particulier à Labouheyre. Sont redéfinies les règles de plantation et en particulier la réalisation de grands pare-feux. Dans les années qui suivent, la forêt est replantée et des parcelles sont mises en culture. C'est la révolution car les exploitations proposées font plusieurs dizaines d'hectares. Jusque là les métairies ne faisaient rarement plus de 10 hectares. Le département des Landes devient en quelques années le premier producteur de maïs de France.

Les collectivités, les associations et les journaux se mobilisent pour venir en aide aux victimes de ces incendies, les métayers résiniers qui ont perdu travail, maison et troupeaux, les collectivités. Des souscriptions et des manifestations pour collecter des fonds sont organisées. Nous sommes à la sortie de quatre ans de guerre mais dans une période de reprise économique.

La conséquence immédiate de ces incendies, surtout celui de Cestas, est la dotation en matériel des corps de sapeurs-pompiers forestiers et des communes forestières.

Jean-Paul Saint-Marc

Transcription

(Silence)
Journaliste
Enfin, voici la déclaration de Charles Prat, secrétaire général de la Fédération autonome des gemmeurs et métayers de la Gironde.
(Silence)
Charles Prat
La forêt est en danger. Depuis 1934, la fédération des gemmeurs et métayers du Sud-Ouest groupe l'ensemble des gemmeurs dans une seule et même organisation syndicale. Il y a 15 ans, 30 000 gemmeurs vivaient avec leur famille du produit de la récolte de la résine. Aujourd'hui, il reste à peine 20 000. Demain ? On ne sait pas, demain. Pour qu'il y ait un demain, il faut intervenir avant qu'il ne soit trop tard. Depuis un mois, le dixième des surfaces forestières de Gascogne a été détruit par l'incendie. Les gemmeurs, qui viennent d'être mis à rude épreuve, demandent du secours pour terminer victorieusement cette lutte gigantesque. Trois problèmes à résoudre immédiatement. Premièrement, arrêter à tout prix les foyers d'incendie encore en activité. Faire appel pour cela aux corps de pompiers constitués des villes voisines, et suppléer ainsi à l'extrême fatigue de notre matériel et de nos hommes. Réaliser pour cela l'unité de commandement sans laquelle il n'y a pas de victoire possible. Deuxièmement, veiller les pourtours des surfaces incendiées qui restent un danger terrible jusqu'à qu'il pleuve. Faire appel pour cela à l'armée, car les populations sont exténuées. En extension de cette surveillance autour des foyers, organiser dans toutes les parties de la forêt encore boisées des patrouilles continues de jour et de nuit sous la direction des unités de gendarmerie ou de la police constituées. Les maires et présidents de syndicats de défense ainsi que des syndicats professionnels contre l'incendie coopéreront d'enthousiasme à de telles mesures de surveillance absolument indispensables. Troisièmement, reste le grand devoir de solidarité commandé par l'ampleur de la catastrophe et le nombre des sinistrés. Deux actions distinctes dans ce domaine. Premièrement, secourir immédiatement ceux qui ont tout perdu, et qui n'ont même plus de toit pour s'abriter. Deuxièmement, mettre à l'étude sans tarder les moyens nécessaires au maintien de cette population sur place, car sans cela il n'est pas possible d'envisager la reconstitution de la forêt aujourd'hui dévastée. Au nom de toutes les organisations syndicales professionnelles, nous lançons un pressant appel à tous, et plus spécialement au gouvernement. Nous lui demandons de réexaminer notamment la question de la création du commissariat aux Landes de Gascogne, trop longtemps différé. Qu'il intervienne pendant qu'il en est temps encore. Ne laissez pas gagner les populations par le désespoir, ce qui serait encore pire que les méfaits de l'incendie. Avec tous les gemmeurs, nous ne pouvons que crier au secours des amis et des véritables défenseurs de la forêt landaise.