Le rugby amateur fait ce qu'il peut

17 septembre 2007
03m 26s
Réf. 00770

Notice

Résumé :

Reportage qui illustre le fossé séparant les clubs amateurs de rugby des équipes professionnelles du Top 14. Au club d'Hagetmau, le budget de 250 000 euros ne permet plus d'accéder à l'élite alors qu'il y a une vingtaine d'années, l'équipe locale l'avait rejoint pendant quelques saisons. Les meilleures joueurs formés par le club se retrouvent également très vite recrutés par des formations au budget plus important. Commentaire sur images factuelles avec interviews de Stéphane Castaignede, entraîneur d'Hagetmau, Jean-Pierre Dumartin, co-président du club, Nicolas Pons, joueur, Jean-Charles Daudou, co-président du club, et Serge Lansaman, maire d'Hagetmau.

Date de diffusion :
17 septembre 2007
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Éclairage

En août 1995, l'International Board, l'institution suprême du rugby mondial, sous la pression de l'hémisphère Sud, gomme de ses statuts toute référence alors obligatoire à l'amateurisme. Le rugby devient un sport professionnel. Cette mutation provoque, surtout dans l'hémisphère Nord et notamment en France, la désintégration du rugby unitaire en deux camps, l'élite et la masse, et la dissolution de liens de dépendances mutuels. La fracture sociale, la césure provoquée par l'émergence du professionnalisme, exprime des discordances qui font penser à la rupture du lien social, exacerbée par des valeurs marchandes et non marchandes et qui rompt l'entraide dans l'ensemble des réseaux du système rugbystique français. Le budget moyen des clubs de l'élite pour la saison 97/98 va de 23 MF à 9 MF pour les plus modestes. Le budget moyen des clubs du groupe B est de 1 MF, de 60.000 francs pour les clubs de séries régionales. Des valeurs morales, le rugby est passé à des valeurs économiques intangibles. Certes, les passions humaines restent fertiles, mais les moyens pour l'action sont diamétralement opposés ne laissant aux modes de relation qu'une filiation abusive entre les clubs riches et les clubs pauvres. Comment les petits clubs de village, à l'image du Sport Athlétique Hagetmautien, ont ainsi souffert depuis 1995 de la professionnalisation d'un sport gagné par la fièvre de l'argent ? Désigné entraîneur du SAH en 2001, alors en Fédérale 2, Stéphane Castaignède a tout connu, l'équipe de France (7 sélections comme demi de mêlée), la Coupe du monde 1999 et désormais le rugby village : "J'apporte un petit peu la culture de la gagne, l'habitude du haut niveau, les exigences que cela apporte, explique l'ancien joueur de l'AS Montferrand. J'essaye de leur faire comprendre que le rugby est fait de mouvement, de passes, d'ambitions." Dans les années 1980, le petit club d'Hagetmau a connu la gloire avec son premier titre de champion de France de Deuxième Division remporté face à Foix et l'accession à la Première Division. Un exploit retentissant pour un groupe de joueurs issus d'Hagetmau et de ses environs et emmenés par un joueur sans équivalent : Alain Lansaman. De 1980 à 1993, le SAH évolue en Première Division avec sept saisons en Groupe A et six saisons en Groupe B. Pendant cette période, les plus grands clubs du pays, comme Montferrand, Grenoble, Béziers, le Racing, Toulon, Bègles, Perpignan ou bien sûr les voisins dacquois et montois, viennent au stade Georges-Dumartin défier les Rouge et Bleu. Parmi les innombrables morceaux de bravoure, on retiendra en 1990 la victoire face aux vedettes du SU Agen, Sella, Benazzi, Berbizier, Benetton et consorts, alors vice-champions de France, avec deux essais à la clé (12-6) ! "Ils s'en souviendront toute leur vie", déclarait un Pierre Berbizier dépité à l'issue du match.

Mais depuis 1995, l'équipe vit un lent déclin avec un manque d'argent et une fuite de ses joueurs. "Tous les joueurs partent, confient Jean-Pierre Dumartin, co-président Club Hagetmau. Sur trois minimes qui étaient un peu au-dessus du lot, ils sont partis. Ils ont été recrutés par Dax. C'est malheureux de le dire mais aussitôt que vous avez des jeunes qui émergent un peu, ils s'en vont." Après l'entraînement, la fameuse troisième mi-temps demeure néanmoins le terreau social du rugby amateur. Ici, tous les joueurs ont un travail. Pour eux, rugby rime encore avec bande de copains. "A notre niveau, je pense qu'il faut qu'il y ait une ambiance, souligne Nicolas Pons, joueur du SAH. Il faut un groupe ! Il n'y a que ça qui pourra nous faire avancer." En 2007, Hagetmau avait un budget de 250.000 euros. Mais il lui en faudrait trente fois plus pour accéder au Top 14. "On est à des années lumières du niveau du Top 14, explique Jean-Charles Daudou, co-président du Club Hagetmau. Le rugby professionnel à tirer le rugby vers le haut sur un plan sportif mais il a également tiré les budgets et tout ce qui va avec. Il y avait une époque où le rêve était accessible. Ce n'est plus le cas aujourd'hui." Avec 4.500 habitants, la petite cité landaise d'Hagetmau n'a pas le poids économique pour soutenir une formation de haut niveau. "Les grosses équipes, ce sont Paris, Toulouse, de grosses agglomérations, souligne Serge Lansaman, Maire d'Hagetmau. Même des villes de 50.000 habitants, ce n'est pas suffisant pour avoir une équipe de Première Division." Peu importe, l'histoire d'amour entre la ville et ses habitants dure depuis 1910. En 1823 Webb Ellis, ballon de football sous le bras, termina sa folle course par un plongeon historique derrière les buts, tel pour s'extirper du système footballistique. Le Peuple d'Ovalie, nostalgique et à la mémoire féconde, nous rappelle que le rugby orthodoxe est né de cet artefact. Le professionnalisme dans le rugby n'est rien d'autre qu'un nouvel artefact. S'il connaît la même épopée que le précédent nul n'aura à se plaindre de cette nouvelle exclusion. Mais de cette désintégration du système du rugby unitaire due à la dissolution des liens de dépendances mutuels, qui auraient pu permettre le maintien de l'ordre socio-rugbystique, peuvent et doivent surgir de nouveaux liens entre une communauté avant-gardiste et résolument mercantile, et l'autre traditionnelle et garante d'un idéal d'amateurisme, passerelle authentique entre l'élite et la masse, la future Ligue et la Fédération. Pour que le rugby renoue avec l'utilité sociale.

Vincent Péré Lahaille

Transcription

Présentatrice
Nous vous proposons toute cette semaine une série de reportages consacrés au rugby. Voyons ce soir avec l’exemple d’Hagetmau dans les Landes ; comment les petits clubs de village souffrent depuis 1995 de la professionnalisation d’un sport de plus en plus gagné par la fièvre de l’argent. Hervé Ghesquière, Jean-Michel Mier.
musique
(musique)
Journaliste
Il a tout connu, l’équipe de France, la coupe du monde 99, et désormais le Rugby Village. Stéphane Castaignède est le nouvel entraîneur d’Hagetmau, une bourgade des Landes qui joue en Fédérale 2, l’équivalent de la quatrième division.
Stéphane Castaignède
J’apporte un petit peu la culture de la gagne, l’habitude du haut niveau, les exigences que ça apporte ; et de leur faire comprendre que le rugby, il est fait de mouvements, il est fait de passes, il est fait d’ambitions, et voilà, j’essaie d’apporter tout ça. Réfléchissez à vos courses et à vos positions.
Journaliste
Dans les années 80, le petit club d’Hagetmau a connu la gloire. La première division, c’était avant le rugby professionnel. Mais depuis 12 ans, l’équipe vit un lent déclin, manque d’argent et fuite des joueurs.
Jean-Pierre Dumartin
Tous les joueurs partent, et sur trois minimes qui étaient un peu au-dessus du lot, bon, ils sont partis, ils ont été recrutés par Dax. C’est malheureux de le dire, mais aussitôt que vous avez des jeunes qui émergent un peu, ils s’en vont.
Journaliste
Après l’entraînement, la fameuse troisième mi-temps. Ici, tous les joueurs sont amateurs, tous ont un travail. Pour eux, rugby rime encore avec bande de copains.
Nicolas Pons
A notre niveau, je pense qu’il faut qu’on ait une ambiance, il faut qu’il y ait un groupe, il n’y a que ça qui pourra nous faire avancer.
Jean-Charles Daudou
Le plus marquant dans l’histoire du club, c’est ce trophée-là.
Journaliste
Ça, c’est le coin nostalgie années 80. Des coupes, quatre saisons parmi l’élite du rugby français. Aujourd’hui, Hagetmau a un budget de 250 000 euros. Il en faudrait 30 fois plus pour accéder au Top 14.
Jean-Charles Daudou
On est à des années-lumière du niveau du Top 14. Voilà, le Top 14, le rugby professionnel a tiré le rugby par le haut sur le plan sportif, mais il a également tiré les budgets, il a également tiré tout ce qui va avec. Voilà, il y a une époque où le rêve était accessible. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Journaliste
Avec 4 500 habitants, la petite cité landaise d’Hagetmau n’a pas le poids économique pour soutenir une formation de haut niveau.
Serge Lansaman
Les grosses équipes, vous les prenez, c’est Paris, c’est Toulouse, c’est dans de grosses agglomérations comme ça. Même des villes de 50 000 habitants, ce n’est pas suffisant pour avoir une équipe de première division.
Journaliste
Mais peu importe, Hagetmau et le rugby, c’est une longue histoire d’amour depuis 1910, et cela concerne tout le monde, hommes et femmes.
Inconnue
J'ai mon père, qui est un ancien joueur du stade Montois, voilà, et mes oncles également.
Inconnu
Tout autour, c’est tout le fief du rugby, il y a Hagetmau, il y a Hortès à côté, il y a quand même les équipes. Mais Hagetmau restera Hagetmau.
Journaliste
Les soirs de match de coupe du monde, on vibre ici avec l’équipe de France, pour le meilleur et parfois pour le pire. Dehors, il n’y a pas âme qui vive.