Grèves des mineurs à Valenciennes : intervention de l'armée
Notice
Suite aux grèves dans les mines, Jules Moch, ministre socialiste du gouvernement Queuille fait intervenir l'armée pour protéger les puits de mine, considérant qu'il s'agit d'une grève insurrectionnelle. Images d'une intervention près de Valenciennes.
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Éclairage
Le mouvement des mineurs du 4 octobre au 29 novembre 1948 "est l'une des plus dures (sinon la plus dure), des plus longues (56 jours), des plus violentes des grèves soutenues par la corporation minière sous la République" (1).
La riposte du ministre socialiste de l'Intérieur Jules Moch est immédiate. Ayant tiré les enseignements des grèves et événements de 1947 en France et dans le Nord-Pas-de-Calais, il a suscité en avril-mai 1948 la création des Inspecteurs généraux de l'administration en mission extraordinaire, des super-préfets en charge de l'action des forces civiles et militaires dans leur circonscription. L'initiative paye puisqu'elle permet, lors de l'épreuve de force avec les "gueules noires", de mettre rapidement en œuvre un dispositif de maintien de l'ordre très efficace. Dès les 3-4 octobre, le bassin lorrain est occupé par l'armée. Le 7, le personnel des cokeries est réquisitionné. A partir du 18, les CRS et la troupe déferlent dans l'ensemble des bassins. C'est l'état de siège. Le préfet du Pas-de-Calais résume la situation le 5 décembre : "Au fur et à mesure de l'arrivée des renforts de CRS et d'escadrons de la garde, j'ai pu prendre pour certaines localités puis pour l'ensemble du bassin minier, des arrêtés d'interdiction que j'ai d'abord limités à tous les rassemblements sur la voie publique, puis étendus à toutes les réunions (...). Grâce à ces arrêtés, appuyés par des interventions incessantes des forces de l'ordre (...) toutes les réunions et manifestations subversives ont été pratiquement suspendues dès le début de novembre et les mineurs communistes ont été ainsi privés de tous moyens de remonter le moral de leurs troupes ou de leur passer des consignes en vue de contre-attaques vers les installations minières gardées militairement".
Partout en France, la force est utilisée pour faire cesser les occupations, ce qui donne parfois lieu à des affrontements d'une grande violence : 4 mineurs y laissent la vie. Dans le Nord-Pas-de-Calais, le dégagement des puits est moins tragique. Le préfet du Pas-de-Calais en fait la description suivante :
"Pour chaque fosse ou chaque établissement minier, un commissaire de police se présentait devant le piquet de grève et essayait d'abord de parlementer. A défaut il ceignait alors son écharpe et faisait les sommations d'usage. C'est seulement dans des cas exceptionnels où les grévistes s'obstinaient à ne pas prendre de leur plein gré le chemin de la sortie, qu'ils y étaient aidés, sans brutalité d'ailleurs, par des forces 10 ou 20 fois supérieures, préalablement massées à proximité".
Le nombre impressionne : entre 25 000 et 35 000 hommes sont dépêchés dans la région, lourdement équipés. Justifier un tel déploiement aux yeux de l'opinion nécessite, pour le gouvernement, de discréditer la mobilisation : qualifiée d' "insurrectionnelle", elle est présentée comme une entreprise communiste de déstabilisation. Ces Actualités françaises diffusées après trois semaines de conflit paraissent s'inscrire dans ce dispositif. Sur un fond musical à la dramaturgie assumée, le commentaire fait de l'acheminement de renforts militaires une mesure incontournable face aux violences exercées à l'encontre des forces de police et pour empêcher la paralysie économique du pays.
En dépit de soutiens (collectes d'argent, accueil d'enfants de mineurs par des familles en région parisienne...), le mouvement échoue face à la détermination du gouvernement. Et les mesures coercitives, voire punitives, ne s'arrêtent pas avec la grève. Dans les semaines suivantes, près de 3 000 mineurs sont condamnés à des peines allant de l'amende à la prison ferme. Quelque 6 000 sont licenciés, dont des délégués-mineurs. De surcroît, les Comités d'entreprise sont supprimés dans les Houillères.
Le coup est rude : les travailleurs du sous-sol ne se lancent plus dans un tel mouvement jusqu'à la grève de 1963.
(1) Rolande Trempé, "La répression", Les Cahiers de l'Institut d'Histoire Sociale Minière, n° 15, septembre 1998, p. 30.