Les grèves et événements en France et dans le Nord-Pas-de-Calais
Notice
Trois sujets extraits du journal du 11 décembre 1947 traitant des mouvements de grève à la fin de l'année 1947. Entre le sujet sur les mines du Nord-Pas-de-Calais et le meeting de Thorez est interposé un sujet sur le déraillement à Arras le 3 décembre 1947 du train Express Paris-Tourcoing : la catastrophe fait 16 morts et une trentaine de blessés. Ce montage des Actualités françaises laisse entendre un lien de cause à effet, allant dans la thèse du gouvernement qui accuse les communistes d'en être à l'origine alors que les causes réelle de ce déraillement n'ont jamais été élucidées.
Éclairage
La première vague de grèves de l'après-guerre s'achève quand sont diffusées ces "Actualités françaises" du 11 décembre 1947. L'intensité, voire la violence de l'épreuve de force est au cœur des images et du commentaire à la tonalité de Guerre froide.
Depuis le printemps, les arrêts de travail se multiplient. Le contexte est à la radicalisation. D'une part, la hausse du coût de la vie attise les revendications salariales. D'autre part, les ministres communistes ne sont plus au gouvernement depuis le 5 mai, ce qui rend leur parti et la CGT plus libres d'organiser la contestation, sur fond de Guerre froide entre les États-Unis et l'URSS.
Le mouvement débute le 12 novembre à Marseille et trois jours plus tard dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, l'un des épicentres du conflit. Le climat s'y est récemment dégradé. En octobre a été publié un arrêté prévoyant des sanctions salariales contre les ouvriers absents, suivi d'un autre en novembre augmentant le prix du charbon et supprimant la subvention gouvernementale aux Houillères. Pour la CGT, ces décisions menacent le Statut du mineur et la nationalisation de 1946. La révocation, le 14 novembre, du leader CGT et militant communiste Léon Delfosse de ses fonctions d'administrateur des Charbonnages de France met le feu aux poudres. Le lendemain, plus de 1 500 mineurs du Pas-de-Calais cessent la production, vite suivis par l'ensemble du bassin.
Nationalement, la situation se tend. Le gouvernement et le Président Auriol considèrent ces grèves comme "insurrectionnelles", thèse qu'un bilan du ministère de l'Intérieur contredit l'année suivante. La rhétorique du pouvoir met l'accent sur l'instrumentalisation du mouvement par le PCF. Ces Actualités rappellent du reste l'implication de son secrétaire général, Maurice Thorez, qui tient meeting à Hénin-Liétard après son retour de Moscou le 29 novembre, sur lequel insiste le propos comme pour bien marquer sa proximité avec l'URSS.
Le socialiste Jules Moch, ministre de l'Intérieur depuis le 24 novembre, préconise une riposte énergique et demande aux préfets "de prendre toutes les mesures de police utiles pour faire procéder à l'évacuation des locaux illégalement occupés... ". Puis le 29 novembre commence à l'Assemblée nationale une discussion sur les projets de loi "pour la Défense de la République et la liberté du travail", permettant le rappel des réservistes et l'aggravation provisoire des peines en cas d'entraves à ladite liberté. Dans le Nord-Pas-de-Calais, l'intervention des forces de l'ordre doit dégager les puits occupés. Si ces Actualités en donnent une allure plutôt pacifique, les affrontements sont parfois violents début décembre, comme à la fosse Renard (Denain), reprise aux CRS par les manifestants.
Pour empêcher le retour au travail, des dégradations se produisent (câbles entaillés, berlines basculées dans la cage des puits...). Les faits de sabotage sont mis en avant par les pouvoirs publics pour discréditer le mouvement et accréditer en retour l'idée d'un climat de quasi guerre civile justifiant l'emploi de la force. L'évocation du déraillement du Paris-Tourcoing, dans la nuit du 2 au 3 décembre, l'illustre bien. Le lien est fait entre la grève et cet événement dont les circonstances n'ont jamais été clairement établies. L'étude la plus sérieuse reprend l'hypothèse selon laquelle il serait dû à l'initiative de militants, anciens de la Résistance, qui pensaient s'en prendre à un train de CRS ou de gardes mobiles (1).
Dans le Bassin minier, la consigne de reprise du travail donnée sans avoir obtenu de concessions est mal admise. Les 9-10 décembre, tandis que cesse le conflit, des mineurs rechignent à retourner au fond. Le mécontentement demeure donc intense, rendant peu surprenante la nouvelle mobilisation de l'automne 1948.
(1) Robert Mencherini, Guerre froide, grèves rouges. Parti communiste, stalinisme et luttes sociales en France : les grèves "insurrectionnelles" de 1947-1948, Paris, Syllepse, 1998, p. 44.