La grève de 1963
Notice
Après une évocation des grèves des mineurs de 1963 à travers la presse de l'époque et d'images d'archives de la marche des mineurs de Lorraine sur Paris, puis du meeting de Lens avec 40 000 personnes, d'anciens mineurs témoignent sur leur métier. Marcel Barrois (CGT), explique que la grève a été retardée à cause d'un hiver rigoureux et que l'unité syndicale a permis d'obtenir des avancées conséquentes. Le commentaire évoque la fin de la mine sur des images couleur de la destruction d'un chevalement.
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Éclairage
La grève des mineurs du 1er mars au 8 avril 1963 est la première de cette intensité depuis leurs échecs de 1947-1948.
En plein cœur des Trente Glorieuses, les "gueules noires" ne se voient plus comme des travailleurs au sort socialement enviable, ce qu'ils avaient pu entrevoir à partir de 1946, quand le Statut et la Sécurité sociale minière leur avaient offert des acquis considérables pour l'époque. Leurs rémunérations sont désormais inférieures à la moyenne du privé et du public. La fin des années 1950 a été marquée par une recrudescence des accidents mortels. De surcroît, le plan Jeanneney de 1960 planifie la récession et les premiers puits commencent à fermer.
Mécontentement et inquiétude se mêlent donc pour créer le terreau favorable à une combativité renouvelée des travailleurs des bassins. Comme le rappelle Marcel Barrois, leur chef de file dans le Pas-de-Calais qu'il représente alors au bureau de la Fédération CGT du Sous-Sol, le conflit aurait pu être déclenché plus tôt et ne l'a pas été sans avertissements. Dès janvier, les abatteurs ont mené une grève du rendement, puis dans la seconde quinzaine de février, les syndicats ont été conviés à une réunion avec les Charbonnages de France et reçus par le ministre de l'Industrie Bokanowski. Sans succès.
Face à cette situation bloquée, un arrêt de travail est décidé par les syndicats CGT, FO et CFTC à partir du 1er mars. La division, marquante en 1947-1948, s'est estompée. L'ordre de réquisition dans les mines, signé par de Gaulle le 2 mars et auquel les mineurs n'obéissent pas, met le feu aux poudres. Au lieu d'éteindre la combativité, il la décuple. D'ailleurs, de façon exceptionnelle tant l'histoire de la mine est parcourue de tensions entre eux et les "gueules noires", des ingénieurs et la CGC s'associent ponctuellement à la mobilisation.
Une augmentation de salaire de 11 % est au cœur des revendications. Comme de coutume lors de tels mouvements, la lutte est émaillée de manifestations, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais, où Lens est un haut lieu des rassemblements. L'une des initiatives les plus originales est rappelée par la rétrospective : le 13 mars, 2 000 mineurs lorrains se rendent à Paris dans quelque 400 voitures formant une file de 8 kilomètres ; ils reçoivent la sympathie de la population (1). Cette solidarité est l'une des grandes caractéristiques du conflit.
En cette mi-mars, le gouvernement cherche à calmer le jeu en nommant un Comité des Sages composé de syndicalistes et de représentants du pouvoir, chargé d'une étude comparative entre les salaires du privé et ceux du secteur nationalisé, donc des mineurs. Ses conclusions sont rejetées par les syndicats, mais le fil des discussions avec les Charbonnages n'est pas rompu. Elles reprennent les 2-3 avril et accouchent d'un compromis : une augmentation par étape des salaires est prévue ; les autres sujets - congés payés et avenir de la profession - sont renvoyés à une "table ronde". En matière de droit au repos, un accord signé le 5 juillet donne une 5e semaine aux moins de 18 ans et l'équivalent d'une 4e aux autres mineurs.
Après plus d'un mois d'une âpre lutte, la reprise est difficile, surtout que les 11 % ne sont pas immédiatement obtenus. Les assemblées réunies pour voter le retour au travail "furent animées, surtout dans le Nord-Pas-de-Calais" (2). L'avenir est en outre peu rassurant : "le gouvernement a montré que la houille n'est plus indispensable au pays. Les mineurs comprennent alors que leur profession est véritablement destinée à disparaître et qu'il leur faut maintenant défendre leurs acquis et se battre pour la meilleure reconversion possible... " (3).
(1) Hélène Coulonjou, "1963 : la grève des mineurs", L'Histoire, n° 102, juillet-août 1987, p. 80-81.
(2) Achille Blondeau, 1963. Quand toute la mine se lève, Paris, Messidor, 1991, p. 129.
(3) Diana Cooper-Richet, Le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Perrin, 2002, p. 317.