Un cadre des Houillères secrétaire syndical des ingénieurs des mines FO

19 novembre 1963
04m 16s
Réf. 00133

Notice

Résumé :

Les cadres et ingénieurs aux charbonnages sont aussi des militants et responsables syndicaux. Sur différentes images de mineurs et d'exploitation, un secrétaire syndical des Ingénieurs des mines Force Ouvrière parle de son père et grand père mineurs et de l'évolution des mentalités sur la possibilité qu'un cadre puisse se syndiquer tout en restant loyal avec son entreprise. Pour lui, le syndicalisme est une continuité de la solidarité exprimée pendant l'occupation.

Type de média :
Date de diffusion :
19 novembre 1963
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Éclairage

L'univers de la mine est marqué par une histoire conflictuelle entre les "gueules noires" et leur hiérarchie qui, longtemps, fait régner une discipline quasi militaire. L'éveil des ingénieurs au syndicalisme et à la grève se produit assez tard, sous l'effet de transformations de leur propre situation et d'événements sociaux majeurs.

C'est le Front populaire qui stimule leurs velléités d'organisation : certains se posent "des questions sur le rôle de l'ingénieur et sur sa condition de salarié (...). Le mouvement social qui se déclenche en 1936 (...) accélère cette prise de conscience collective" (1). Le 6 juillet naît le Syndicat des ingénieurs des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais qui fait vite des émules. En décembre sont donc déposés les statuts d'une Fédération nationale des syndicats d'ingénieurs et assimilés des mines. Ses buts sont modérés, puisque lesdits statuts insistent sur "la recherche de toutes les mesures propres à concilier les différends et à résoudre les conflits du travail".

La guerre désorganise ce syndicalisme naissant et attise les tensions entre ouvriers et ingénieurs. Il en est ainsi dans le Nord-Pas-de-Calais, où beaucoup ont livré leurs compétences à la volonté productiviste des Allemands, où quelques-uns ont collaboré et très peu se sont impliqués dans les actes de résistance. A la Libération, de jeunes ingénieurs parviennent cependant à réactiver la Fédération qui adhère à la CGC, fondée en octobre 1944. Celle-ci rassemble, jusqu'à l'extinction des mines, l'immense majorité des ingénieurs syndiqués. Quelques autres rejoignent la CFTC et la CGT, qui cherchent désormais à attirer ces personnels, ou rallient FO après la scission de 1947. Les grèves dures menées alors et l'année suivante exacerbent les rapports entre la CGT, le plus puissant syndicat de la profession, et les ingénieurs, qu'elle ne parviendra jamais à attirer en nombre.

L'année 1963, au cours de laquelle est diffusé le sujet à la télévision, est un moment clé. Pour la première fois, la hiérarchie s'implique dans la grève des mineurs. En Lorraine, la CGC appelle à un arrêt de travail de 24 heures ; dans le Nord Pas-de-Calais, les ingénieurs offrent leur soutien financier aux ouvriers. Sans doute expriment-ils ainsi leur propre malaise : leurs conditions de travail et de salaire se dégradent, leur métier se métamorphose et la politique engagée par les pouvoirs publics, qui leur semble manquer de cohérence, les fait douter de leur avenir. Bref, les conditions sont réunies pour qu'ils se rapprochent des autres salariés.

Leur syndicalisme conserve cependant ses traits modérés. Les ambiguïtés que représente pour eux la démarche militante n'ont pas disparu. Sur des images de mineurs au travail, l'entretien donné par Robert Pérussel est à cet égard éclairant. Issu d'une lignée d'ingénieurs hostiles au syndicalisme, il est secrétaire général du Syndicat national des ingénieurs des mines FO depuis le début des années 1960. Sa parole porte le fragile équilibre entre ses fonctions qui impliquent "un certain loyalisme" et la posture revendicative inhérente à un syndicaliste. Il insiste dès lors sur sa position d'intermédiaire, de conciliateur entre les contraintes de l'entreprise et les demandes légitimes des ouvriers.

Mais les années suivantes voient plutôt se poursuivre le glissement des ingénieurs vers une identification accrue à la condition salariale. Au moment de la scission de la CFTC en 1964, ils font majoritairement le choix de la CFDT, aux positions plus tranchées. Puis ils participent à la vague de grèves de 1968. Le temps a donc fini par faire d'eux une catégorie de travailleurs qui, tout restant persuadée de ses particularismes, a emprunté de façon croissante les chemins de l'organisation et de la revendication.

(1) Diana Cooper-Richet, "Les ingénieurs des Houillères et des mines et leurs syndicats du Front populaire à nos jours", dans Clefs pour une histoire du syndicalisme cadre, Paris, Éditions ouvrières, 1984, p. 193.

Stéphane Sirot

Transcription

Journaliste
Monsieur Berussel, vous êtes chef du service des programmes aux houillères des Bassins de Lorraine, et vous êtes aussi syndicaliste. Quelles sont vos responsabilités syndicales ?
Intervenant
Je suis secrétaire général du syndicat national des ingénieurs des mines forces ouvrières ; et membre de la commission exécutive de la fédération des mineurs Forces Ouvrière.
Journaliste
Vos parents travaillaient-ils à la mine, enfin votre père bien sûr ?
Intervenant
Mon père était ingénieur des mines, même mon arrière-grand-père également. C’est une vieille vocation dans ma famille, oui.
Journaliste
Etait-il aussi syndicaliste ?
Intervenant
Ah non, mon père était même, en son temps, opposé à l’idée de syndicalisme. Et il considérait – car c’était l’idée à ce moment-là – qu’être cadre et être syndicaliste, c’était deux choses incompatibles. Au contraire, maintenant on a évolué. Et je crois que ça n’est pas l’une des moindres questions qui se posent ; que de savoir dans quelle entreprise et comment et dans quelle circonstance un cadre peut être syndiqué. On pourrait développer très longtemps cette idée-là, car elle est encore controversée. Mais pour mon compte, je crois que à condition de garder un certain loyalisme qu' il est évident qu’un cadre doit toujours garder vis-à-vis de lui-même, vis-à-vis de son entreprise et vis-à-vis du personnel de son entreprise ; ben, un cadre peut être syndicaliste.
Journaliste
Vous pensez en fait que la fonction d’ingénieur et la vocation de cadre sont deux aspects d'un dyptique de responsabilités ?
Intervenant
Très exactement, oui. Je pense que l’ingénieur qui a conscience de sa responsabilité se rend compte qu’il dispose d’un très grand nombre d’informations ; des informations qui viennent du haut et dont il doit laisser filtrer et passer. Une bonne partie vers le bas de telle façon que le personnel soit intéressé à la marge de l’entreprise ; que le personnel vive la vie de l’entreprise. Et de la même façon, une partie d’informations qui lui viennent du bas et qu’il doit transmettre vers le haut. Aspiration légitime de tout le personnel, difficulté qu’il éprouve et qu’il doit transmettre à la direction ; pour que la direction soit pleinement informée des décisions à prendre. Alors, dans ce sens-là, le cadre a une très grande responsabilité. Et vous voyez que ses responsabilités sont très voisines de l’idée que je me fais du syndicalisme.
Journaliste
Etiez-vous déjà dans cet état d’esprit à votre sortie de l’école centrale ? Ou au contraire, est-ce l’exercice de votre métier d’ingénieur qui vous a orienté dans une telle direction ?
Intervenant
Ben, je suis sorti de l’école centrale en 1943. Et en 1943, au plus fort de l’occupation, il n’était pas question de faire beaucoup de syndicalisme. Mais j’ai vécu avec intensité ce moment national extraordinaire ; cette révolution des esprits, ce rassemblement de tout le monde autour de l’idée de lutte contre l’envahisseur. Et au moment de la Libération, c’est l’explosion. C’est tourné tout naturellement vers la continuation de ce rassemblement. Et le syndicalisme qui m’anime, n’est ni plus ni moins que la continuation de cette belle équipe qu’on faisait juste avant la Libération ; et qui devait trouver des prolongements dans la vie de tous les jours. Voyez-vous, pendant l’occupation, il n’y avait pas de cadre, il n’y avait pas d’ouvrier, il n’y avait pas de directeur. Tout le monde était étroitement uni contre l’envahisseur, contre l’occupant. Et je pense que dans la vie moderne, qui est tellement difficile ; il n’y a pas de raison non plus pour qu’on ne continue pas à être les uns avec les autres ; et à lutter tous dans la même idée de construction. Alors, certains ont mis des idées de revendications, des idées négatives, des idées quelquefois même destructives. Moi je suis au contraire de l’avis que on a assez de difficultés pour étayer sa vie de tous les jours ; pour que on n’en trouve pas en luttant encore les uns contre les autres.