L'avis des leaders syndicaux sur la reconversion
Notice
Les principaux leaders syndicaux des mineurs donnent leurs avis sur la reconversion dans les mines. Marcel Barrois, CGT, remet en cause la thèse de la non rentabilité de l'exploitation dans le Nord-Pas-de-Calais et plaide pour le maintien de l'activité. Jean Pruvost pour CFDT est prêt à jouer la carte de la reconversion à condition d'avoir des garanties. Joseph Sauty pour la CFTC estime que la reconversion ne concerne que les plus jeunes qui ont bénéficié d'une scolarité. Pour FO l'emploi doit précéder la récession.
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Éclairage
L'interview des responsables des quatre principaux syndicats français illustre tout d'abord une spécificité du syndicalisme français, si on le compare à celui de nos voisins britanniques et allemands, son extrême division. A la scission entre la CGT (Confédération générale du travail) et FO (Force ouvrière) de 1947, liée à la guerre froide, s'est ajoutée celle qui a divisé la CFDT (Confédération française démocratique du travail) déconfessionnalisée, et la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) restée attachée à sa dimension chrétienne en 1964. Ce fractionnement correspond à des visions idéologiques sensiblement différentes, même si tous restent attachés au développement des politiques sociales. La CGT reste attachée à une vision marxiste qui remet en cause l'ensemble du système capitaliste. Inspirée par la tradition chrétienne, la CFTC met en avant des références humanistes, participatives et antimatérialistes qui sont aussi largement celles de la CFDT, même si cette dernière refuse toute référence chrétienne explicite. La CFDT développe par ailleurs à cette époque des revendications qui portent sur le partage du pouvoir au sein de l'entreprise, par le concept d'autogestion. Ces divisions se perçoivent dans l'analyse de la situation du bassin minier.
La CGT de Marcel Barrois se singularise par son refus de considérer le déclin charbonnier comme inéluctable. Il est pourtant bien entamé à l'époque, après le plan Jeanneney de 1960 et le plan Bettencourt de 1968. D'un maximum après-guerre de 29 millions de tonnes en 1959, la production est tombée en dessous de 20 millions de tonnes en 1969 et diminue régulièrement. La raison principale en est le coût de revient excessif du charbon français. Marcel Barrois est contre cet argument en soulignant que le charbon est livré à des tarifs trop faibles à certaines entreprises. Il cite pour cela le directeur général des Houillères qui se serait plaint des tarifs d'achat de la sidérurgie. Si l'argument de Marcel Barrois ne suffit pas à infirmer l'idée générale d'un prix trop élevé du charbon régional, il repose sur une certaine vérité même s'il manque sa cible : c'est en fait l'État qui fixe les prix du charbon, et qui les maintient à un niveau insuffisamment élevé selon certains responsables des Houillères. Pour Paul Gardent, directeur général des Charbonnages de France à l'époque, le problème résidait également dans le prix artificiellement bas du pétrole avant la crise pétrolière de 1973. Cela a encouragé une substitution accélérée du charbon par le pétrole.
Les analyses des trois autres syndicats (CFDT, CFTC, FO) ne contestent pas l'inéluctable déclin charbonnier. Joseph Sauty à la CFTC est même très direct, en mentionnant la fermeture d'une mine allemande dont le rendement par poste et par jour était de 3 tonnes, contre 1,7 en moyenne dans le Nord-Pas-de-Calais. Il est vrai que le gisement du Nord est faillé et que ses veines sont étroites. Il est plus difficile d'exploitation qu'en Lorraine, où les rendements sont supérieurs (ils atteindront 4 tonnes en 1975 et 6 tonnes dans les années 1990). Joseph Sauty mentionne également le gaz de Groningue pour montrer que la tendance générale en Europe est à la baisse de la consommation de charbon.
Ces syndicats mettent l'accent sur la nécessité de créer des emplois de substitution. La CFDT (Jean Pruvost) et la CFTC (Joseph Sauty) insistent particulièrement sur la formation. Il est vrai que la région offrait traditionnellement de très nombreux emplois non qualifiés, la mine pour les hommes, le textile pour les femmes. Or ces secteurs sont en déclin, très sévère pour la mine, plus lent pour le textile. Joseph Sauty souligne également que de nombreux jeunes ne veulent plus travailler à la mine. Deux dynamiques se combinent en fait. D'une part, de nombreux emplois moins salissants et tout aussi valorisants se développent tant dans l'industrie que dans le tertiaire. D'autre part, le niveau général de formation s'élève. Le choix de la mine n'est donc plus automatique. Pour Joseph Sauty, l'effort doit porter sur les plus jeunes car les mineurs étant restés longtemps au fond sont "pratiquement impossibles à reconvertir". De fait, les nouvelles entreprises s'installant dans le bassin minier éprouvent des réticences à employer une population susceptible de développer des maladies professionnelles. Ainsi, la CFDT et la CFTC se tournent-elles déjà, par l'intermédiaire de la formation professionnelle, vers l'enjeu de l'adaptation à de nouveaux emplois.