L'avis des leaders syndicaux sur la reconversion

23 janvier 1969
06m 12s
Réf. 00212

Notice

Résumé :

Les principaux leaders syndicaux des mineurs donnent leurs avis sur la reconversion dans les mines. Marcel Barrois, CGT, remet en cause la thèse de la non rentabilité de l'exploitation dans le Nord-Pas-de-Calais et plaide pour le maintien de l'activité. Jean Pruvost pour CFDT est prêt à jouer la carte de la reconversion à condition d'avoir des garanties. Joseph Sauty pour la CFTC estime que la reconversion ne concerne que les plus jeunes qui ont bénéficié d'une scolarité. Pour FO l'emploi doit précéder la récession.

Type de média :
Date de diffusion :
23 janvier 1969
Source :
ORTF (Collection: Panorama )

Éclairage

L'interview des responsables des quatre principaux syndicats français illustre tout d'abord une spécificité du syndicalisme français, si on le compare à celui de nos voisins britanniques et allemands, son extrême division. A la scission entre la CGT (Confédération générale du travail) et FO (Force ouvrière) de 1947, liée à la guerre froide, s'est ajoutée celle qui a divisé la CFDT (Confédération française démocratique du travail) déconfessionnalisée, et la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) restée attachée à sa dimension chrétienne en 1964. Ce fractionnement correspond à des visions idéologiques sensiblement différentes, même si tous restent attachés au développement des politiques sociales. La CGT reste attachée à une vision marxiste qui remet en cause l'ensemble du système capitaliste. Inspirée par la tradition chrétienne, la CFTC met en avant des références humanistes, participatives et antimatérialistes qui sont aussi largement celles de la CFDT, même si cette dernière refuse toute référence chrétienne explicite. La CFDT développe par ailleurs à cette époque des revendications qui portent sur le partage du pouvoir au sein de l'entreprise, par le concept d'autogestion. Ces divisions se perçoivent dans l'analyse de la situation du bassin minier.

La CGT de Marcel Barrois se singularise par son refus de considérer le déclin charbonnier comme inéluctable. Il est pourtant bien entamé à l'époque, après le plan Jeanneney de 1960 et le plan Bettencourt de 1968. D'un maximum après-guerre de 29 millions de tonnes en 1959, la production est tombée en dessous de 20 millions de tonnes en 1969 et diminue régulièrement. La raison principale en est le coût de revient excessif du charbon français. Marcel Barrois est contre cet argument en soulignant que le charbon est livré à des tarifs trop faibles à certaines entreprises. Il cite pour cela le directeur général des Houillères qui se serait plaint des tarifs d'achat de la sidérurgie. Si l'argument de Marcel Barrois ne suffit pas à infirmer l'idée générale d'un prix trop élevé du charbon régional, il repose sur une certaine vérité même s'il manque sa cible : c'est en fait l'État qui fixe les prix du charbon, et qui les maintient à un niveau insuffisamment élevé selon certains responsables des Houillères. Pour Paul Gardent, directeur général des Charbonnages de France à l'époque, le problème résidait également dans le prix artificiellement bas du pétrole avant la crise pétrolière de 1973. Cela a encouragé une substitution accélérée du charbon par le pétrole.

Les analyses des trois autres syndicats (CFDT, CFTC, FO) ne contestent pas l'inéluctable déclin charbonnier. Joseph Sauty à la CFTC est même très direct, en mentionnant la fermeture d'une mine allemande dont le rendement par poste et par jour était de 3 tonnes, contre 1,7 en moyenne dans le Nord-Pas-de-Calais. Il est vrai que le gisement du Nord est faillé et que ses veines sont étroites. Il est plus difficile d'exploitation qu'en Lorraine, où les rendements sont supérieurs (ils atteindront 4 tonnes en 1975 et 6 tonnes dans les années 1990). Joseph Sauty mentionne également le gaz de Groningue pour montrer que la tendance générale en Europe est à la baisse de la consommation de charbon.

Ces syndicats mettent l'accent sur la nécessité de créer des emplois de substitution. La CFDT (Jean Pruvost) et la CFTC (Joseph Sauty) insistent particulièrement sur la formation. Il est vrai que la région offrait traditionnellement de très nombreux emplois non qualifiés, la mine pour les hommes, le textile pour les femmes. Or ces secteurs sont en déclin, très sévère pour la mine, plus lent pour le textile. Joseph Sauty souligne également que de nombreux jeunes ne veulent plus travailler à la mine. Deux dynamiques se combinent en fait. D'une part, de nombreux emplois moins salissants et tout aussi valorisants se développent tant dans l'industrie que dans le tertiaire. D'autre part, le niveau général de formation s'élève. Le choix de la mine n'est donc plus automatique. Pour Joseph Sauty, l'effort doit porter sur les plus jeunes car les mineurs étant restés longtemps au fond sont "pratiquement impossibles à reconvertir". De fait, les nouvelles entreprises s'installant dans le bassin minier éprouvent des réticences à employer une population susceptible de développer des maladies professionnelles. Ainsi, la CFDT et la CFTC se tournent-elles déjà, par l'intermédiaire de la formation professionnelle, vers l'enjeu de l'adaptation à de nouveaux emplois.

Laurent Warlouzet

Transcription

(Bruit)
Marcel Barrois
Nous jugeons que la récession minière est absolument évitable ; et que l’intérêt de la France serait de maintenir un niveau de production charbonnier, qui correspond au besoin du pays et aux possibilités, disons, du gisement. A l’heure actuelle, il faut dire d’ailleurs qu’on manque de charbon, tant de charbon domestique que de charbon industriel pour la fabrication du coke.
Journaliste
Et pourtant le prix du charbon qui sort ici des bassins n’est pas compétitif, alors ?
Marcel Barrois
Nous avons déjà demandé à plusieurs reprises. Et notre fédération nationale, tout récemment encore, a demandé qu’il y ait un débat à la télévision pour faire la vérité sur le prix de l’énergie. Nous attendons la réponse. Mais quoiqu’il faut dire, en ce qui concerne ce problème, disons, de compétitivité que la thèse est très discutable à notre avis ; d’une part, parce que la récession de l’industrie charbonnière met en cause la gestion même de l’entreprise, et entraîne, disons, un certain déficit. Et d’autre part, il faut dire que toute une partie de la production des houillères est livrée à des tarifs de faveur, disons, aux grandes sociétés privées. Ainsi, tout dernièrement encore, c’est le Directeur général des houillères du Bassin qui a pu dénoncer le fait ; qu’actuellement, les houillères du Bassin sont dans l’obligation de livrer leur coke à la sidérurgie à des tarifs de 1200 francs inférieurs de ce qu’ils devraient être réellement.
Jean Pruvost
Je pense que souvent, nous avons déclaré nous à la CFDT que nous ne défendions pas le charbon pour le charbon, que nous ne voulions pas être mineurs ou mourir. Le problème pour nous se pose plus dans le sens de la défense de l’emploi. Si vous voulez, nous sommes prêts à jouer si vous voulez la carte de la reconversion ; mais nous pensons que pour jouer cette carte, il faut évidemment avoir beaucoup de garanties.
Joseph Sauty
Il ne faut pas oublier que dans un bassin comme le nôtre, le rendement est à environ 1 700 kg. En Allemagne, on a fermé l’année dernière des puits dans lesquels le rendement par ouvrier fond était de plus de 3 000 kg, voilà une évidence. Dans cette région actuellement, une autre évidence, c’est que le gaz de Groningue, le gaz de Hollande commence à arriver. Il y a une autre évidence, et là aussi il faut dire la vérité, c’est que les populations de cette région, comme de toutes les entreprises minières, refusent le travail à la mine.
Jean Pruvost
Que la réduction de la production charbonnière du bassin Nord-Pas-de-Calais est de 50 % d’ici 1975 ; va en fait faire perdre à la région minière plus de 60 000 emplois, environ 40 à 45 000 pour les mineurs ; et une vingtaine de milles pour toutes les industries et multiples industries et entreprises qui travaillent chaque jour pour les Houillères.
Intervenant Force Ouvrière
Pour obtenir un repli de l’industrie charbonnière, qui ne lèse en rien les travailleurs et l’avenir économique de la région ; nous réaffirmons notre position à savoir que la création d’emplois doit précéder la récession minière. S’il n’en est pas ainsi dans l’immédiat, nous allons inévitablement vers de graves et insurmontables problèmes économiques est sociaux.
Jean Pruvost
Il y a aussi à mon avis, un problème très important qui est celui de la formation professionnelle. Je pense qu’il est indispensable, là aussi, de diversifier la formation professionnelle ; de façon que les emplois qui seront créés par les industries nouvelles qui viendront s’implanter soient vraiment adaptés.
Joseph Sauty
Il faut voir si vous voulez, cette reconversion sous ces deux volets en quelque sorte. La grosse majorité des mineurs est aujourd’hui au-delà de la quarantaine. En supposant que le bassin va continuer son exploitation pendant quinze à vingt ans ; par conséquent, il n’y a pas là de gros problème de reconversion de personnel pratiquement, qu’il est pratiquement impossible de reconvertir. Le problème de la reconversion, ce sont les plus jeunes. Mais ces plus jeunes ont déjà une formation ; ils ont bénéficié d’une scolarité qui leur permettra, pour ceux qui sont encore aux Houillères en dessous de la quarantaine, il y aura pour eux certaines possibilités de reconversion. Le deuxième volet alors, il faut bien l’appeler comme il faut l’appeler, c’est la reconversion générale de cette région : création d’emplois ,d’activités nouvelles, et par un nombre d’emplois qui permettrait et qui doit permettre d’absorber la population d’origine minière ; mais qui n’est plus destinée à la mine, ce sont les fils de mineurs. Voilà à notre avis le vrai problème.