Les grèves de 1936
Notice
Jean Wroblewski, ancien militant syndical raconte dans "Les Mémoires de la mine" les grèves de 1936 et le Front populaire. Avec les congés payés les mineurs se rendent sur la côte. Pour les militants syndicaux, la peur avait disparu et l'ambiance au fond était plus détendue.
Éclairage
Les années 1930 sont sombres pour les peuples d'Europe. En France, elles sont entrecoupées par l'espérance soulevée dans le monde du travail par le Front populaire.
A la veille de 1936, les mineurs émergent d'une période où leurs conditions de production se sont durcies. La crise économique s'est accompagnée de suppressions d'emplois, de baisses de salaires, de journées chômées. Il a fallu assumer un rythme de travail accru, avec l'introduction des techniques de chronométrage (système Bedaux) sous l'autorité d'ingénieurs et de porions intransigeants, comme le souligne à l'envi le militant syndicaliste et communiste Jean Wroblewski. Les longues tailles ont été préférées aux petits chantiers, avec des systèmes de salaire toujours davantage fondés sur le rendement individuel, malmenant la culture solidaire du fond des puits. Ce contexte et la division syndicale régnant depuis la scission de la CGT en 1921, suivie de la création de deux Fédérations de mineurs, ont compliqué la résistance à ces changements peu amènes.
Les années 1934-1936 modifient la donne. Après la violente manifestation du 6 février 1934, la dynamique du Rassemblement populaire se déploie. En février 1936, le syndicalisme minier se réunifie. Après cet événement, Le Travailleur du Sous-Sol, organe de la nouvelle Fédération, affiche sa satisfaction : si "notre action fut paralysée et réduite dans son efficacité par nos querelles intestines", en revanche, "à partir de ce jour, nous n'aurons plus à nous observer, à nous épier, à envisager quelle sera la tactique suivie par les uns et par les autres".
Dans les mines, le sursaut social du Front populaire commence dès avril 1936 dans le plus grand bassin de France. Le 13, les mineurs réunis à Lens décident que si les compagnies n'accèdent pas à leurs revendications au 1er mai, la grève sera déclenchée. Une semaine plus tard, la Fédération CGT convoque ses instances qui décident que la grève sera nationale. Le 22 avril, après une réunion tripartite (représentants syndicaux, patronaux et gouvernement), les compagnies cèdent. Des conventions collectives sont signées les 28-29 avril avec des clauses sur les salaires, la discipline et les méthodes de production.
C'est sans doute pourquoi les mineurs, s'ils rejoignent les grèves de mai-juin 1936, ne les lancent pas. Mais l'effet d'entraînement et l'application aléatoire par les compagnies de l'accord d'avril les jettent finalement dans l'action. Dans le Nord-Pas-de-Calais, l'appel à la grève est lancé le 8 juin. Les occupations sont pratiquées par une profession qui est une initiatrice historique de cette méthode, utilisée lors de la grève à l'Escarpelle en 1934.
Quand les mineurs agissent, le gouvernement Blum est en place et éteint l'incendie. Dès le 8 juin, au lendemain des accords Matignon, une réunion tenue sous l'égide du ministre des travaux publics Paul Ramadier débouche sur un accord. Même si certains mineurs ne cessent pas aussitôt la grève, les concessions obtenues finissent par convaincre : augmentations de salaire, recul du chronométrage, retour de la paye par équipe de travail d'une même taille, etc. S'y ajoutent le bénéfice des grandes lois sociales : la semaine de 40 heures, portée à 38h40 pour les ouvriers du fond ; les congés payés, voulus par les mineurs dès 1907.
Lorsque Blum se rend à Lens le 11 octobre, il reçoit un accueil enthousiaste. Il faut dire que l'ambiance a changé : les contraintes de la discipline se sont desserrées, au soulagement des mineurs qui s'entend 45 ans plus tard dans la voix de Jean Wroblewski ; les capacités de pression syndicale se sont accrues, la Fédération CGT ayant multiplié ses effectifs par six entre 1936 et 1937 ; la découverte du temps libre et, pour une minorité, des plaisirs de la mer, s'amorce.
Mais à partir de 1938 surtout, la situation se retourne. Le Front populaire se disloque, les décrets-lois Reynaud mettent à mal les 40 heures et la guerre se profile.