Les grèves de 1936

juin 1936
06m 24s
Réf. 00139

Notice

Résumé :

Jean Wroblewski, ancien militant syndical raconte dans "Les Mémoires de la mine" les grèves de 1936 et le Front populaire. Avec les congés payés les mineurs se rendent sur la côte. Pour les militants syndicaux, la peur avait disparu et l'ambiance au fond était plus détendue.

Type de média :
Date de diffusion :
25 novembre 1981
Date d'événement :
juin 1936
Source :

Éclairage

Les années 1930 sont sombres pour les peuples d'Europe. En France, elles sont entrecoupées par l'espérance soulevée dans le monde du travail par le Front populaire.

A la veille de 1936, les mineurs émergent d'une période où leurs conditions de production se sont durcies. La crise économique s'est accompagnée de suppressions d'emplois, de baisses de salaires, de journées chômées. Il a fallu assumer un rythme de travail accru, avec l'introduction des techniques de chronométrage (système Bedaux) sous l'autorité d'ingénieurs et de porions intransigeants, comme le souligne à l'envi le militant syndicaliste et communiste Jean Wroblewski. Les longues tailles ont été préférées aux petits chantiers, avec des systèmes de salaire toujours davantage fondés sur le rendement individuel, malmenant la culture solidaire du fond des puits. Ce contexte et la division syndicale régnant depuis la scission de la CGT en 1921, suivie de la création de deux Fédérations de mineurs, ont compliqué la résistance à ces changements peu amènes.

Les années 1934-1936 modifient la donne. Après la violente manifestation du 6 février 1934, la dynamique du Rassemblement populaire se déploie. En février 1936, le syndicalisme minier se réunifie. Après cet événement, Le Travailleur du Sous-Sol, organe de la nouvelle Fédération, affiche sa satisfaction : si "notre action fut paralysée et réduite dans son efficacité par nos querelles intestines", en revanche, "à partir de ce jour, nous n'aurons plus à nous observer, à nous épier, à envisager quelle sera la tactique suivie par les uns et par les autres".

Dans les mines, le sursaut social du Front populaire commence dès avril 1936 dans le plus grand bassin de France. Le 13, les mineurs réunis à Lens décident que si les compagnies n'accèdent pas à leurs revendications au 1er mai, la grève sera déclenchée. Une semaine plus tard, la Fédération CGT convoque ses instances qui décident que la grève sera nationale. Le 22 avril, après une réunion tripartite (représentants syndicaux, patronaux et gouvernement), les compagnies cèdent. Des conventions collectives sont signées les 28-29 avril avec des clauses sur les salaires, la discipline et les méthodes de production.

C'est sans doute pourquoi les mineurs, s'ils rejoignent les grèves de mai-juin 1936, ne les lancent pas. Mais l'effet d'entraînement et l'application aléatoire par les compagnies de l'accord d'avril les jettent finalement dans l'action. Dans le Nord-Pas-de-Calais, l'appel à la grève est lancé le 8 juin. Les occupations sont pratiquées par une profession qui est une initiatrice historique de cette méthode, utilisée lors de la grève à l'Escarpelle en 1934.

Quand les mineurs agissent, le gouvernement Blum est en place et éteint l'incendie. Dès le 8 juin, au lendemain des accords Matignon, une réunion tenue sous l'égide du ministre des travaux publics Paul Ramadier débouche sur un accord. Même si certains mineurs ne cessent pas aussitôt la grève, les concessions obtenues finissent par convaincre : augmentations de salaire, recul du chronométrage, retour de la paye par équipe de travail d'une même taille, etc. S'y ajoutent le bénéfice des grandes lois sociales : la semaine de 40 heures, portée à 38h40 pour les ouvriers du fond ; les congés payés, voulus par les mineurs dès 1907.

Lorsque Blum se rend à Lens le 11 octobre, il reçoit un accueil enthousiaste. Il faut dire que l'ambiance a changé : les contraintes de la discipline se sont desserrées, au soulagement des mineurs qui s'entend 45 ans plus tard dans la voix de Jean Wroblewski ; les capacités de pression syndicale se sont accrues, la Fédération CGT ayant multiplié ses effectifs par six entre 1936 et 1937 ; la découverte du temps libre et, pour une minorité, des plaisirs de la mer, s'amorce.

Mais à partir de 1938 surtout, la situation se retourne. Le Front populaire se disloque, les décrets-lois Reynaud mettent à mal les 40 heures et la guerre se profile.

Stéphane Sirot

Transcription

Jean Wrobleski
Et à ce moment-là, la répression ne jouait pas simplement pour l' immigrations polonaises, elle jouait pour l’ensemble des mineurs. La corporation minière a subi quand même des coups à cette époque-là même sur le plan des libertés syndicales. On commençait à avoir les gardes à l’entrée des salles où on se réunissait, puis désigner et inscrire les noms de ceux qui participaient ; ou bien, des orateurs qui prenaient la parole.
Antoine Wachowiak
Heureusement que 1936 arrivait, parce que ça aurait débouché sur une révolution, parce que vraiment, c’était intenable.
Jean Wrobleski
Bien sûr, très rapidement, c’était le Front Populaire. Bon, dire que je savais ce qu’était le Front Populaire à l’époque, c’était un mot pour moi, c’était le Front Populaire. Ce que je savais, c’est qu’il y avait des soirées. Sur la place publique, il y avait de la musique. On dansait, tout le monde se réjouissait. Enfin, il fallait remarquer surtout qu’à ce moment-là, il n’y avait plus de Polonais, il n’y avait plus de Français. C’était la grande camaraderie. Bon, les mineurs, un tant soit peu, bon, disons, ils ont fêté la victoire alors avec un coup de bière ou un coup de rouge. Bon, c’était vraiment l’euphorie. Et c’est seulement après, sur le plan matériel, quand tout s’est calmé, quand le travail a repris après les grèves ; c’est seulement après, qu’on a commencé à apprécier ce que c’était le Front Populaire. Bon, la première chose qu’il nous a annoncée, c'était les 12 jours de congé. Alors ça, c’était vraiment phénoménal. Qui aurait pensé un jour qu’on pouvait être 12 jours sans travailler, puis être payé ? C’était l’euphorie.
(Silence)
Jean Wrobleski
Pour la première fois, des trains spéciaux étaient organisés par les syndicats. Puis, c’est là qu’on a découvert les côtes du Nord. Je n’avais jamais vu la mer de ma vie. C’est la première fois en 1936 que j’avais été à Malo-les-Bains ; où véritablement, c’était l’invasion des mineurs du Nord-Pas-de-Calais sur la côte de Malo-les-Bains.
(Silence)
Jean Wrobleski
Sur le plan syndical, alors là, il y a eu ce qu’on appelle véritablement un vrai mouvement, un tournant qui s’est opéré. Puisqu’à ce moment-là, il y avait quand même, disons, une organisation solide sans qu’il y ait de contrainte, ni de peur d’aller dans les réunions. Véritablement, on était libéré, disons, de cette peur qui existait avant le Front Populaire. Alors, on a commencé à aller dans les réunions. Bien sûr, on écoutait attentivement les orateurs. Parce qu’au fur et à mesure des événements, on était au courant des choses qui se passaient. Ça veut dire que les grèves n’étaient pas terminées pour autant. De temps à autre, il y avait encore quelques accrochages ; parce que les patrons, bien sûr, certainement, ce n’est pas avec plaisir qu’ils avaient vu arriver le Front Populaire. Alors, il y avait quand même des revendications. De temps à autre, il y avait quand même, je ne dirais pas des grèves générales ; mais enfin quand même, des grèves dans certains quartiers pour tel et tel problème spécifique dans une taille ou bien dans une bowette. Il y a des groupes d’ouvriers qui se mettaient en grève, parce qu’on ne voulait pas discuter de leur salaire, et ainsi de suite. Disons quand même que, il y avait ce qu’on appelle véritablement un changement. Alors le plus grand, celui qui est le plus important à mon avis, c’est un peu plus de respect par rapport à l’ouvrier. Les porions ont commencé à baisser un petit peu comme on dit leur pavillon. Parce que, autant qu’on se faisait insulter avant le Front Populaire, ils prenaient un peu plus d’égards pour nous parler à l’époque. Et je me rappelle même une période où il arrivait que je ne sais pas, on peut en parler parce que ça se faisait. Etant donné que c’était le Front Populaire, il y a des mineurs qui se mettaient en tête. Bon ben maintenant, pour un oui ou pour un non, on peut débrayer. Alors, je me rappelle une fois, j’étais au pied d’un chargement comme Galibot. Alors, au matin j’arrivais, et je préparais les berlines pour charger le charbon qui sortait de la taille sur un couloir oscillant. Alors, j’avais une espèce de cordeau. Quand je tirais le moteur à piston, il se mettait en route et faisait osciller les couloirs pour charger. Alors, il y en a un qui me retirait le cordeau, puis a arrêtai la taille. Alors, je demandais, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi vous ne voulez pas que je charge ? Parce que le porion était rentré dans le quartier, alors on a arrêté. En revanche, ce sont des phases où véritablement,disons, on passait d’un extrême à l’autre. Il fallait quand même qu’il y ait un agent de maîtrise qui surveille le quartier. Mais enfin, c’est pour bien situer la période entre avant le Front Populaire et après le Front Populaire. Il y a eu tellement de choses avant, que les gens se croyaient tout permis de... ; par exemple même d’empêcher un porion de rentrer dans le quartier ; surtout lorsqu’il avait un comportement qui était pas celui qu’il aurait dû avoir avant le Front Populaire. Enfin ça, c’était pour la petite histoire. Enfin, le travail était beaucoup plus, je ne dis pas ralenti ; non mais enfin, on travaillait correctement sans qu’il y ait tout le temps quelqu’un qui crie derrière : tu n’en fais pas assez ou tu seras amendé parce que tu n’as pas fait assez de berlines. Parce qu’avant le Front Populaire, qu’est-ce que ça a dégringolait les amendes hein ? Il n’y avait pas une journée où on avait au minimum 40 sous, on disait à l’époque, c’était 2 francs. Ben, 2 francs par ci, 2 francs par là, au bout de la quinzaine ça faisait quand même une retenue importante. Et à ce moment-là, les amendes, elles commençaient vraiment à diminuer. Il fallait vraiment une faute grave pour que l’amende persiste encore. Enfin, c’était vraiment une bonne période.
Jacques Renard
Et elle a duré combien de temps cette période ?
Jean Wrobleski
Oh, on aurait aimé que ça dure longtemps. Malheureusement, il faut dire qu’elle a duré jusqu’en 1938, où il y a eu cette fameuse première mobilisation. C'était à l'époque, je suppose que ça doit être l’époque Munich. Et on commençait à parler de la guerre. Et moi-même, en ce qui me concerne, je n’étais plus concerné sur le plan local ; puisqu’à ce moment-là, j’étais parti sous les drapeaux.