Meeting à Lens lors de la grève des mineurs
Notice
Après un mois de grève, l'intersyndicale des mineurs a réuni près de 70 000 manifestants à Lens, délégués syndicaux et parlementaires en tête. Des délégations d'autres bassins miniers, d'ouvriers et d'étudiants, étaient présentes. Philippe (Émile) Menu, délégué syndical Force Ouvrière, a dénoncé le gouvernement. Léon Delfosse pour la CGT a indiqué qu'il était prêt à aller avec les autres syndicats à une table ronde. Joseph Sauty pour la CFTC a abondé dans le même sens.
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Éclairage
La grève des mineurs de France dure depuis près d'un mois lorsqu'à lieu la manifestation du 29 mars 1963 à Lens, accompagnée d'un meeting place du Cantin. La mobilisation, commencée le 1er mars, donne quelques signes d'essoufflement. La période est périlleuse, particulièrement pour des raisons d'ordre pécuniaire. Les mineurs sont en effet payés les 11-12 et 25-26 de chaque mois. Or, si la dernière paye a permis de tenir la première quinzaine de mars, il n'en va plus de même ensuite, malgré l'ampleur des secours. Il est donc indispensable, dans le cadre du rapport de forces entre le pouvoir et les syndicats, de démontrer une nouvelle fois que le monde de la mine n'est pas prêt à déserter la lutte.
Le meeting et la manifestation s'inscrivent dans la panoplie coutumière de la pratique gréviste, d'autant plus si un mouvement dure et rassemble un grand nombre de travailleurs. Il s'agit pour les syndicats de faire voir la détermination des salariés en mouvement, de maintenir ou de renforcer leur cohésion, de médiatiser leur cause et de mettre en avant la solidarité de la population. La grève de 1963 n'échappe pas au rituel : une série de défilés la ponctuent dans tous les bassins.
L'initiative organisée à Lens le 29 mars constitue un moment fort de ces démonstrations. Achille Blondeau, alors secrétaire de la Fédération du Sous-Sol CGT, en parle comme de “la plus puissante des manifestations” et évoque “le flot humain venu de tous les coins du Bassin, déferlant dans les rues de Lens, musiques et drapeaux rouges en tête, avec des centaines de banderoles et de pancartes réclamant les 11 %”, revendication centrale de la grève (1). Le reportage diffusé le jour même rend bien l'impression du nombre, le commentaire parlant d'un ”immense cortège” et d'une “marée humaine” : entre 70 000 et 80 000 personnes se dirigent vers la place du Cantin, lieu des prises de parole.
Les images font également ressortir la cohésion entourant les mineurs : les élus ceints de leurs écharpes sont de toute évidence présents en nombre, suivis d'ouvriers et d'étudiants venus exprimer leur solidarité, offrant l'image d'un pays et d'une région unis autour de leurs “gueules noires”.
Le caractère unitaire de la mobilisation est mis en évidence et les syndicats ont dépêché des orateurs de premier plan. Pour la CGT, c'est Léon Delfosse, secrétaire général de la Fédération du Sous-Sol, qui s'exprime. A ses côtés, Joseph Sauty, président de la Fédération CFTC des mineurs depuis l'année précédente, ainsi que le délégué mineur FO Philippe Menu. Si les deux premiers sont des dirigeants d'envergure nationale, tous trois sont de la région : Delfosse est né à Libercourt, Sauty à Amettes, Menu a pour sa part successivement représenté les mineurs d'Harnes et de Courrières.
Les orateurs, qui tout en soulignant la volonté des mineurs de lutter jusqu'à l'obtention de leurs revendications sont demandeurs d'une reprise des négociations, interpellent les responsables politiques. Une réplique est apportée au ministre de l'Information, Alain Peyreffite, qui vient de s'employer à déconsidérer les griefs salariaux des mineurs. C'est pourquoi, nous dit Blondeau, “Léon Delfosse, s'en prenant avec force à Peyrefitte, appelle les mineurs à faire une opération fiche de paie : “Envoyez-là à vos élus, maires, députés, envoyez-là à vos amis pour qu'ils puissent juger sur pièces combien vous gagnez réellement” (2). Mais c'est surtout l'appel à des discussions lancé par Delfosse et approuvé par Sauty que souligne le reportage. Deux jours plus tard, le 31 mars, la Fédération CGT du Sous-Sol, fer de lance du conflit, publie un communiqué réclamant “une réunion immédiate avec la direction des Houillères” qui se tient les 2-3 avril, pour aboutir à un protocole d'accord donnant partiellement satisfaction aux mineurs et conduisant à la fin de la grève.
(1) A. Blondeau, 1963. Quand toute la mine se lève, Paris, Messidor, 1991, p. 107.
(2) Ibid., p. 105.