Un survivant de la catastrophe de Courrières

10 mars 1906
03m
Réf. 00153

Notice

Résumé :

C'est à la fosse 3 de la Compagnie des mines de Courrières à Méricourt que le 10 mars 1906 a lieu la plus grande catastrophe minière en Europe. Anastase Dehaye, le doyen des mineurs (95 ans), explique sur des illustrations de photographies d'époque, les raisons de l'explosion. Suite à la catastrophe, les mineurs ont fait grève pendant 51 jours. Témoignage de Aristide Jaquard qui avait alors 17 ans et qui est le dernier survivant de la catastrophe.

Type de média :
Date de diffusion :
13 octobre 1973
Date d'événement :
10 mars 1906
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Personnalité(s) :

Éclairage

Le 10 mars 1906 au petit matin, les galeries de la Compagnie des mines de Courrières à partir de la fosse 3 de Méricourt, la fosse 2 à Billy-Montigny, et 4 - 11 à Sallaumines sont successivement frappées par une double catastrophe : en premier lieu un coup de grisou, c'est-à-dire l'explosion du gaz hautement inflammable accumulé entre les veines de charbon, entraînant en second lieu l'auto-combustion de toutes les poussières de charbon soulevées par le souffle de la première déflagration, c'est le coup de poussière. Les conséquences sont immédiates : au-delà de la chaleur intense qui règne au fond, l'oxygène disponible est immédiatement consumé, l'incendie se propageant d'une fosse à l'autre sur plus de 110 km de galeries et faisant 1 099 victimes recensées, enterrées collectivement et en grande pompe.

C'est à Méricourt que le bilan est le plus lourd, avec 404 mineurs décédés, soit plus du tiers du total. La fosse 3 devient alors "tristement célèbre", même si les victimes proviennent de 29 communes différentes, à commencer par Sallaumines (304) et Billy-Montigny (114). Toutes se trouvent sur le territoire de la concession de la Compagnie des mines de Courrières, qui donne son nom à la catastrophe, mais on comprend à écouter la première intervenante que ce "détournement" n'est pas adopté partout.

C'est également l'ampleur du bilan qui justifie qu'on prenne la peine d'interviewer les derniers témoins de la catastrophe, près de 70 ans après les faits. Le premier, Anastase Dehaye, est présenté par le journaliste comme le "doyen des mineurs" de France : il compte en effet 95 ans - "et demi" précise-t-il avec un dose de coquetterie - et a travaillé 35 ans au fond avant de rejoindre le jour. Né en 1878, il a donc 26 ans au moment des faits ; le second, Aristide Jacquard, est nous dit-on le "dernier survivant" du drame qu'il a vécu à 17 ans et il ne doit la vie qu'à un concours de circonstances. L'un et l'autre nous en expliquent les causes et les conséquences : le gaz accumulé en profondeur a atteint une concentration d'autant plus dangereuse que les mineurs travaillent encore à la flamme nue (l'image fixe est ici trompeuse : la lampe présenté par le "vieux" mineur au "jeune" est une lampe de sécurité ou de sûreté, présentant une cage de verre munie de barreaux, qui isole la flamme de l'environnement extérieur tout en offrant un meilleur rendement lumineux) ; le choix d'étouffer l'incendie par "blocage" ou comblement des puits qui relient le fond à la surface réduit drastiquement les chances des éventuels survivants de s'en sortir. Malgré tout, le 30 mars, soit vingt jours après l'explosion, treize "rescapés" réussissent à sortir par leurs propres moyens.

L'obstination des ingénieurs de la Compagnie à vouloir à tout prix continuer l'exploitation où c'était possible plutôt que d'engager les secours a contribué au lourd bilan. Plus grave, pendant trois jours, on empêche les familles d'approcher les corps. Faute d'identification et en raison des graves brûlures, 272 corps furent enterrés dans une fosse commune (transformée en nécropole à Méricourt , appelée le silo).

La réaction des mineurs est à la mesure de la tragédie : une grève sauvage débute, mobilisant 25 000 puis 60 000 ouvriers du fond et du jour, imposant en retour l'envoi de 30 000 gendarmes et soldats pour contenir le mouvement. Au terme de 51 jours de conflit et d'affrontements, la Compagnie exploitante verse des dédommagements aux victimes et à leurs ayant-droits, accorde des augmentations de salaire, adopte le principe du congé hebdomadaire et surtout entame une large réflexion sur la sécurité des installations. C'est au lendemain de la "catastrophe de Courrières" que l'on envisage de procéder à l'arrosage des poussières, qu'on aménage des barrages mobiles composés de récipients remplis d'eau, de plâtre et de poussières ininflammables installés en équilibre instable sur la paroi supérieure des galeries et que le souffle des explosions doit logiquement renverser avant la propagation des flammes (également dits "taffanels" du nom de leur concepteur, l'ingénieur des mines Jacques Taffanel), enfin et surtout qu'on fonde (dès 1907) à Liévin le premier poste central de secours du bassin du Nord-Pas-de-Calais, chargé de former des équipes spécialisées de sauveteurs.

La catastrophe de "Courrières" a fait l'objet de nombreux colloques, commémorations et de diverses manifestations mémorielles.

Matthieu de Oliveira

Transcription

Journaliste
Là, nos sommes devant…
Mlle Langlot Lemaitre
Devant le numéro 3.
Journaliste
Le 3 de Courrières.
Mlle Langlot Lemaitre
Oui, si nous allons un petit peu vers la droite, vous trouvez le 4. Puis, en prolongeant un peu vers Noyelles, vous aurez le puits numéro 5, et nous pourrions continuer les numérations de tous ces puits.
Journaliste
Celui-ci est tristement célèbre.
Mlle Langlot Lemaitre
Oui, celui-ci est le plus tristement célèbre, puisque c’est là que le 10 Mars 1906, s’est produite la catastrophe, qu’on appelle ici la catastrophe de 1906.
Journaliste
A Méricourt, nous avons rencontré monsieur Anastase Dehaye. Monsieur Dehaye, vous êtes le doyen des mineurs. Vous êtes le plus âgé des mineurs de fond.
Anastase Dehaye
Ah ben, le plus âgé de la région, c’est moi, le plus âgé.
Journaliste
Quel âge avez-vous ?
Anastase Dehaye
J’ai 95 ans et demi, 95 ans et six mois.
Journaliste
Toute la région a été meurtrie par la catastrophe de Courrières hein, vous vous souvenez de Courrières ?
Anastase Dehaye
Ah oui,je l'ai connue je connaissais tout. Vous savez, la catastrophe de Courrières est due…, l’explosion, cependant ce n'était pas grisouteux ici à Courrières. Mais l’explosion est due à un feu qui dormait, à des vieux bois. Les ingénieurs alors ont décidé de bloquer toute cette partie-là pour éteindre le feu par blocage, mais ça n’a pas réussi.
Journaliste
Et il y a eu combien de morts en tout ?
Anastase Dehaye
1099.
Journaliste
Et il y a des survivants qui sont remontés longtemps après ?
Anastase Dehaie
Oui, il y a des survivants qui sont remontés vingt jours après.
Journaliste
Et au jour en haut, sur le carreau du puits, qu’est-ce qui se passait ?
Anastase Dehaie
Tous les gens de la région y venaient pour savoir si ils allaient avoir leurs gens qui étaient dedans.
Journaliste
Et il y a eu une grève générale des mineurs à ce moment-là ?
Anastase Dehaie
Il y avait une grève de 51 jours après.
Journaliste
Monsieur Aristide Jacquard, vous étiez à cette époque-là bien jeune.
Aristide Jaquard
Oui, j’avais 17 ans. Les ouvriers, ils sont morts eux.
Journaliste
Et vous étiez au fond, je dois même dire que, aujourd’hui, vous êtes le dernier survivant de ceux qui sont remontés.
Aristide Jaquard
Oh oui, maintenant il n’y a plus personne, plus personne mais surtout, j’avais 17 ans. Il était six heures du matin, certains des ouvriers, les ouvriers, vous comprenez ? ..., ou qu'j'allais charger le charbon quoi. Ils me disent de rester, tu monteras en haut et tu dis au galibot. Le galibot, c’est celui qui conduisait la machine, vous savez, qu' il mette deux berlines vides. Bon, la berline au milieu du plan incliné, boom, me voilà culbuté.
Journaliste
L’explosion ?
Aristide Jaquard
L’explosion.
Journaliste
Pendant combien d’années vous avez travaillé au fond ?
Anastase Dehaie
Exactement, j’ai travaillé au front pendant 35 ans. Et le reste, j’ai travaillé dans des travaux du jour, vous savez.
Journaliste
C’était un beau métier d’être mineur ?
Anastase Dehaie
Un beau métier, hein, vous savez il est tellement beau qu'il ny a plus personne qui veut y aller.