Commémoration de la catastrophe de Courrières à Méricourt
Notice
La journée du souvenir de la catastrophe de Courrières en 1906, a commencé tôt au petit matin, 100 ans, jour pour jour après la mort de 1 099 mineurs, dans ce qui restera la plus grande catastrophe minière jamais connue en Europe. Un siècle a passé mais la foule rassemblée a toujours autant d'émotion. Interviews de Luigi Avellino (ancien mineur) et Raymonde Lazny (petite-nièce d'une victime). De nombreuses personnalités dont François Hollande, Jack Lang et Marie George Buffet, ont inaugurés le "chemin des rescapés" rappelant les 14 mineurs qui sont ressortis par leurs propres moyens. Témoignage de Monique Danglos, petite fille d'un rescapé. Bernard Baude, maire de Méricourt, explique que les nouvelles générations savent ce qu'elles doivent aux mineurs.
Éclairage
L'écho de ce qui fut la plus grande catastrophe minière française s'est prolongé durant tout le siècle (1). Pendant longtemps, la commémoration du souvenir des 1 099 victimes de Courrières s'opère en s'inscrivant dans les cadres territoriaux, sociaux et politiques qui structurent le groupe minier. Les stèles commémoratives sont bâties concurremment par la Compagnie des mines de Courrières et par les municipalités issues du mouvement ouvrier à Méricourt, Sallaumines, Billy-Montigny, (2) etc. Les grands anniversaires (1956 par exemple) donnent lieu à des interprétations affrontées : tandis que les représentants des Houillères mettent en avant une tragédie humaine apolitique et consensuelle, les représentants ouvriers, ceux du Parti communiste en particulier, évoquent un crime patronal, qui doit inciter les mineurs à la vigilance et à la mobilisation.
La commémoration du centième anniversaire de la catastrophe se déroule dans un contexte radicalement nouveau. Plus de 15 ans après la fermeture du dernier puits dans la région, les cadres qui portaient la société minière achèvent de se disloquer. Le rapport immédiat avec la catastrophe se fait de plus en plus ténu : les mineurs vivants en 2006 ont connu des conditions de travail radicalement différentes de celles de leurs prédécesseurs de 1906 ; les 14 rescapés bien entendus sont morts et seule survit la génération de leurs petits-enfants. Dans ces conditions, la signification de la commémoration change sensiblement. Elle n'est plus définie en fonction des cadres et des enjeux propres à la société minière ; c'est elle au contraire qui est convoquée pour redonner, pour un moment au moins, une unité à une société "post-minière" caractérisée par de vives tensions et une très forte fragmentation.
La commémoration de 2006 paraît bien relever, dans ces conditions, du "présentisme" (suivant le terme de l'historien François Hartog (3) ) : ce qui compte n'est pas ce qu'elle dit du passé ou l'avenir qu'elle permet d'imaginer ; elle est un produit plastique, reformulé en fonction des besoins du présent. Le centième anniversaire donne lieu ainsi aux manifestations les plus variées, au stade Bollaert avant un match de football aussi bien que dans un spectacle de danse contemporaine créé par Marie-Claude Pietragalla. Le rappel de la catastrophe s'insère également dans le tournant patrimonial qu'opèrent alors les élus du bassin. En témoigne notamment l'inauguration en mars 2006 d'un "Parcours des rescapés" qui, de Méricourt à Billy-Montigny, évoque les différents aspects de l'accident et le périple des survivants, tout en offrant aux visiteurs un contact avec le paysage minier. Un an avant l'élection présidentielle de 2007, cette inauguration rassemble les représentants nationaux de la gauche (le socialiste François Hollande, la communiste Marie-George Buffet qui coupe le ruban), au nom de leur ancrage passé dans le monde et le mouvement ouvriers. La commémoration conserve donc bel et bien une dimension politique, plus sensible sans doute à l'échelle locale qu'à l'échelle nationale, mais cela tient de la survivance. Comme la Première Guerre mondiale, dont elle est très proche chronologiquement, la mémoire de Courrières se fait de plus en plus consensuelle, émotionnelle, patrimoniale, en même temps que se dilue la spécificité qu'elle tirait de son enracinement dans une société minière vivante.
(1) Annick Bonnet et Marion Fontaine, ""Courrières-les-morts". L'événement et la mémoire", dans 10 mars 1906. La catastrophe des mines de Courrières... Et après ?, Lewarde, Centre Historique Minier, 2007, p. 241-247.
(2) La catastrophe a eu lieu dans les fosses situées sur ces trois communes, "Courrières" faisant référence à la Compagnie des mines de Courrières.
(3) François Hartog, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil - La librairie du XXème siècle, 2003
Pour Hartog, "Le présent est devenu l'horizon sans futur et sans passé, il génère, au jour le jour, le passé et le futur, dont il a, jour après jour, besoin et valorise l'immédiat". Le passé est envisagé, non pour lui-même, mais comme un objet consommé au présent et analysé exclusivement en fonction des cadres du présent.