Catastrophe de Courrières : la sortie des survivants

30 mars 1906
02m 05s
Réf. 00154

Notice

Résumé :

Le 10 mars 1906 une explosion géante dévaste les galeries de mine des fosses de Méricourt de la Compagnie des mines de Courrières. On pense qu'il n'y a pas de survivants mais 20 jours plus tard, 13 survivants sortent à la fosse 2 de Billy-Montigny. Parmi eux le galibot Anselme Pruvost qui a retrouvé son père par hasard. Marcel Pruvost, le fils d'Anselme raconte la sortie. En patois du Nord on les appelait des "rescapés", un mot entré depuis dans la langue française.

Type de média :
Date de diffusion :
03 septembre 1978
Date d'événement :
30 mars 1906
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Lorsque la terre tremble au petit matin du 10 mars 1906, les mineurs, leurs familles, les représentants de la Compagnie de Courrières qui exploite le site, en un mot l'ensemble des acteurs de la mine, perçoit très vite la gravité de la catastrophe qui se déroule. Au-delà du tremblement ressenti et du bruit sourd qui parvient des puits, des cages, des débris et même des chevaux démembrés sont projetés sur le carreau à plusieurs dizaines de mètres à la ronde. Si l'on s'interroge encore sur la nature exacte de la catastrophe - coup de grisou ou coup de poussière -, chacun s'accorde à penser que les conséquences sont potentiellement dramatiques dès lors que plus de 1 600 hommes et adolescents (les plus jeunes ont 13 ans) se trouvent à 340 m sous terre. Et si les opérations de sauvetage débutent rapidement, permettant de porter secours aux blessés les plus aisément accessibles, elles sont bien vite abandonnés, après trois jours seulement de recherches : le bilan s'établit alors à 1 099 victimes, faisant de la catastrophe dite "de Courrières" la plus meurtrière d'Europe à ce jour.

Le drame est d'autant plus mal vécu que les ouvriers avaient prévenu plusieurs jours auparavant des risques liés à la forte concentration de grisou dans les galeries, sans que la direction ne prenne de disposition particulière. Pendant les recherches, il apparaît également clairement que la sauvegarde des installations prime sur toute autre considération, et la décision de condamner certains puits, officiellement pour étouffer l'incendie et préserver le gisement, sonne le glas de tout espoir de retrouver des survivants potentiels. La réaction des mineurs ne se fait pas attendre et quelques jours plus tard, ce sont 25 000 puis bientôt 60 000 d'entre eux qui entrent en grève.

Dans ces conditions, on comprend que la réapparition, vingt jours plus tard, de survivants fasse figure de miracle. Pendant près de trois semaines, ces treize mineurs de fond – ils ont entre 13 et 40 ans – ont erré dans les galeries plongées dans le noir, se heurtant aux éboulis et autres culs de sac, se nourrissant de ce qu'ils trouvent (les provisions qu'ils avaient apportées, de l'avoine et même un cheval qu'ils abattent à coup de pic), mais sortent des entrailles de la terre épuisés, déshydratés et presque désespérés. Très vite, ils deviennent les "rescapés", néologisme alors forgé d'après le patois picard par les mineurs et sauveteurs et bien vite entré dans le langage courant (on le retrouve par exemple dès le 26 mai 1906 sous la plume d'Alain-Fournier qui se fait l'écho de la catastrophe à l'un de ses correspondants).

Plus extraordinaire, un quatorzième survivant, Auguste Berthou, mineur à la fosse n° 4 de Sallaumines, fut retrouvé le 4 avril, grâce aux secouristes allemands qui étaient venu en aide. Contrairement aux compagnies minières du Nord-Pas-de-Calais, les mines allemandes disposaient d'équipements de secours comme les appareils respiratoires.

Près de trois quarts de siècle après les faits, c'est le fils et petit-fils d'un des survivants qui relatent les faits, d'après les souvenirs familiaux. La chance a souri à Charles (40 ans) et Anselme (15 ans) Pruvost, l'un et l'autre au fond au moment du drame, épargnés par l'explosion, réunis pour faire face l'épreuve et la surmontant de concert. Comme les autres rescapés, ils sont pris en charge par l'équipe du Dr Lourtier et, au terme des premiers soins d'urgence, posent fièrement autour de lui : le père se trouve à la gauche du médecin et on reconnaît son fils aux bandages qui couvrent une partie de son visage. A écouter Marcel Pruvost, c'est presque pour sa grand-mère que la situation a été la plus dure, elle qui "tombe dans les pommes" à chaque fois qu'elle est mise en présence de ses rescapés, alors même que le jeune Anselme, encore plein d'innocence, semble en profiter pour réclamer un vélo.

En mars 2006, a été inauguré un "Parcours des rescapés" qui, de Méricourt à Billy-Montigny, évoque les différents aspects de l'accident et le périple des survivants.

Matthieu de Oliveira

Transcription

Journaliste
Le 30 mars, coup de théâtre, vingt jours après la catastrophe, treize survivants sortent de la Fosse 2 à Billy-Montigny. Ils ont cheminé pendant tout ce temps d’un puits bloqué à un éboulis, écrasés de fatigue, mourant de faim et de soif. Et les voici, c’est incroyable !
(Musique)
Journaliste
Sous terre, le galibot Anselme Pruvost, 16 ans, a rencontré son père Charles par un extraordinaire hasard. Le fils d’Anselme se souvient.
Marcel Pruvost
C’était la ruée vers les grilles, parce que chacun espérait que ça soit le sien, son fils ou son père. Alors, ma grand-mère est arrivée, elle a même dit, je me souviens d’une anecdote, elle m’a dit : on aurait dit que les gens savaient que c’était mon mari et mon garçon. Parce qu’elle pensait comme ça, puis elle se frayait un chemin sans résistance, sans rien. C’est elle qui dit ça hein, voyez-vous. Alors bon bah elle est arrivée à la goutte de lait. Et puis, ils n’ont pas pu le voir tout de suite hein, parce qu’ils étaient faibles. Ils ont attendu un moment, et puis après, elle a dit : même par un tout petit coin, mais je veux le voir. Alors, on lui a permis d’y aller, mais le docteur a dit : il faudra être très sage, Madame. Alors, elle a été le voir, et puis, en arrivant, elle est d’abord tombée dans les pommes. Et puis, elle n’arrêtait pas de tomber. Le docteur a même fait une réflexion et il a dit : lui il est sauvé, mais si ça continue, c’est elle qui va rester dedans. Alors, elle s’est approchée de mon grand-père, mon grand-père lui a pris la main, il l’a embrassé et puis il dit, "j'ai bien brai pour ti". Alors après, elle est retombée dans les pommes naturellement, si je puis m’exprimer ainsi. Et elle est partie vers mon père. Et lui, mon père, elle avait reconnu tout de suite sa mère. Puis elle dit, ah maman, maintenant vous pouvez m’acheter un vélo hein.
Journaliste
C’était des rescapés comme l’on disait en patois du Nord, un mot que Courrières fait entrer dans la langue française.