Interview de Jean Matteoli au sujet de l'implantation de l'usine Renault

31 mai 1969
04m 49s
Réf. 00185

Notice

Résumé :

Jean Matteoli, Commissaire à la conversion industrielle du Nord-Pas-de-Calais, annonce l'implantation de Renault, dans le Douaisis. L'usine se situera à la sortie de Douai d'ici 1975 et emploiera 7 000 personnes dont 25% d'ouvriers hautement qualifiés.

Date de diffusion :
31 mai 1969
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Personnalité(s) :

Éclairage

Dans cet entretien, un haut-fonctionnaire au rôle central, Jean Matteoli, évoque ce qui va devenir une dynamique majeure de la reconversion du bassin minier, la transformation du Nord-Pas-de-Calais en une "région automobile".

Jean Matteoli occupe depuis 1968 le poste stratégique de commissaire à la conversion industrielle, créé en 1967 pour coordonner les différents acteurs de la reconversion industrielle de la région. Ces commissaires sont à la fois des représentants de l'État central (ils travaillent en relation avec la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale ou DATAR) et des élus d'associations de dirigeants patronaux, en l'occurrence l'APEX (Association pour l'expansion industrielle) dans laquelle les Houillères jouent un rôle majeur. C'est la DATAR qui a également la tutelle des OREAM évoqués dans l'émission. Créés en 1966 en même temps que les huit métropoles d'équilibre (dont Lille), ces "Organisations d'études et d'aménagement des aides métropolitaines" doivent définir, en coordination avec les élus locaux, des schémas directeurs de développement et d'aménagement. L'OREAM régionale publie un livre blanc en 1968 auquel Jean Matteoli fait allusion. C'est une sorte de plan régional. Le 13 mai 1968 a lieu le premier comité interministériel d'aménagement du territoire consacré exclusivement au Nord-Pas-de-Calais. Il examine le livre blanc et définit une politique de reconversion du bassin minier énergique.

C'est suite à ces initiatives que l'État encourage des usines automobiles à s'installer dans cette région. Pour Renault, l'opération est d'autant plus facile que l'entreprise est, à l'époque, une Régie publique. En parallèle, les Houillères créent en 1966 le service d'accueil des implantations industrielles pour mettre en valeur leurs terrains et les proposer à de nouvelles entreprises.

Les entreprises y trouvent leur compte car les salaires sont inférieurs à ceux de l'Île-de-France, et la localisation géographique est idéale avec l'ouverture du Marché commun. Les droits de douane entre la France et les cinq autres pays de la Communauté économique européenne (dont la Belgique, toute proche) ont disparu au premier juillet 1968, peu de temps avant l'émission. Les entreprises sont également attirées par des aides publiques et la mise à disposition de terrains par les Houillères ou par les communes. En dehors de France, de nombreuses usines automobiles se sont installées dans des bassins miniers comme Opel à Bochum, dans la Ruhr (usine terminée en 1962), Man à Penzberg, dans le bassin minier bavarois (usine terminée en 1967), et, plus tard, les constructeurs japonais en Grande-Bretagne (Nissan à Sunderland et Toyota à Burnaston, près de Derby).

Renault s'installe à Douai sur une zone mise en valeur par les collectivités locales. Comme le prévoyait Jean Matteoli, l'usine ouvre rapidement puis monte en puissance progressivement pour atteindre 7 000 employés en 1975. Son effectif plafonne cependant à un peu plus de 8 000 en 1983, assez loin des 10 000 évoqués par le commissaire à la conversion en raison de la crise économique d'une part, mais aussi d'une robotisation massive. Le recrutement local concerne peu les anciens mineurs, surtout s'ils ont passé de longues années au fond, afin de ne pas assumer les maladies professionnelles existantes ou potentielles. Leur faible niveau de scolarisation a aussi représenté un handicap pour envisager une reconversion, comme cela est évoqué de manière indirecte pendant l'interview. Cependant, le problème n'était pas dirimant à l'époque car le chômage restait très faible en 1969, dans la France des Trente Glorieuses. Enfin, le dernier enjeu est celui du réseau de sous-traitance, qui doit concrétiser l'effet d'entraînement sur le tissu local porté par l'arrivée de Renault. Matteoli se veut confiant mais le problème reste complexe. En effet, les usines automobiles sont insérées dans des réseaux de sous-traitants qui sont beaucoup plus nationaux que locaux, d'où la dépendance de Renault-Douai envers de nombreuses entreprises extérieures à la région.

Finalement, la région devient progressivement, comme le souligne Jean Matteoli, une "région automobile". Outre l'usine Renault-Douai, sont évoquées dans l'entretien l'usine de la Française de mécanique (Renault-Peugeot) de Douvrin, l'usine Simca à Hordain (près de Valenciennes, qui devient ensuite une usine Peugeot) et l'usine Chausson (un carrossier et constructeur de cars) de Maubeuge. En plus de ces exemples, il faut signaler que l'équipementier américain Firestone s'était déjà installé à Béthune en 1960, dans une des premières opérations de reconversion du bassin minier. Par la suite s'ouvrira en 2001 à Valenciennes l'usine Toyota, confortant ainsi la nouvelle vocation automobile du Nord.

Laurent Warlouzet

Transcription

Jean Girardot
Monsieur le Commissaire, nous avons déjà longuement parlé ici à l’ORTF de la création prochaine d’une usine Renault à Douai. Mais aujourd’hui, vous avez des précisions supplémentaires à nous apporter. Tout d’abord, où précisément sera implantée cette usine ?
Intervenant
Cette usine se trouvera immédiatement à la sortie de Douai, sur la route d’Arras et à droite de cette route lorsqu’on va vers Arras.
Jean Girardot
En tout cas, d’ici à 1975, c’est une usine qui va employer environ 7000 personnes. Mais de quelles personnes s’agira-t-il exactement ? S’agira-t-il de personnes hautement qualifiées ou de main d’œuvre ?
Jean Matteoli
Une usine automobile comme celle va être créée à Douai emploiera de 20 à 25% de son effectif en personnel hautement qualifié. S’agissant d’une usine qui, comme vous le disiez il y a un instant, va employer 7000 personnes dans un premier stade et 10 000 dans un second stade ; eh bien au niveau de 10000 emplois, ça fait quand même de l’ordre de 2000 à 2500 ouvriers hautement qualifiés et cela à mon avis n’est pas négligeable dans une région comme Douai.
Jean Girardot
Mais justement, dans notre région, est-ce que nous possédons ces 2000 ou 2500 ouvriers hautement qualifiés ?
Intervenant
Eh bien, je ne pense pas pour l’instant puisque de très nombreuses offres d’emploi à des niveaux de qualification élevés pour l’instant ne trouvent pas preneur. Mais comme nous avons là un projet qui va se réaliser progressivement, avec un échelonnement dans le temps, nous allons avoir le temps, nous aussi, de préparer la main d’œuvre dont la future usine aura besoin et nous prendrons naturellement cette peine.
Jean Girardot
Et d’ailleurs, d’autre part, qu’est-ce que représentent 7000 emplois par rapport à l’ensemble des besoins de la région ? Est-ce que ce n’est pas un peu une goutte d’eau dans la mer ?
Intervenant
Eh bien, vous savez, lorsqu’on a examiné ces problèmes des besoins en main d’œuvre de la région il y a peu d’années ; à l’occasion de ce livre blanc que l’OREAM a publié et dont on a beaucoup parlé puisqu’il a fait l’objet d’adoption aux différents niveaux ; on avait estimé à ce moment-là qu’il fallait créer en implantation nouvelle environ 10 000, 10 à 12 ou 13 000 emplois nouveaux par an. Eh bien, depuis le début de 1969, avec l’affaire Renault, nous en sommes à 23000 qui se comparent d’ailleurs à 14000 l’an dernier, qui était vraiment une année de démarrage. Donc, je pense que nous sommes sur la bonne tendance, nous sommes sur la bonne courbe, le tout naturellement maintenant est de continuer.
Jean Girardot
Mais alors, d’ici à 1972-1975, qu’est-ce qui va se passer ?
Intervenant
Eh bien, naturellement, les emplois que nous créons ne seront réalisés de façon exacte, de façon concrète qu’aux environs des années 71-72 ; et c’est pourquoi je dis lorsqu’on me pose la question que vous venez de me poser, qu’il ne s’agit pas pour l’instant encore d’être euphorique car les emplois que nous négocions demanderons 2 ou 3 ou 4 ans avant d’être concrètement réalisés. Il faudra donc encore, hélas, savoir attendre et pouvoir attendre que ces emplois soient réellement créés.
Jean Girardot
A propos de ces emplois que vous êtes en train de négocier Monsieur le Commissaire, est-ce que vous pouvez nous donner des précisions, est-ce qu’il y a d’autres implantations d’usine actuellement en projet ?
Intervenant
Oui, il est évident que le fait que cette région du Nord soit devenue une région automobile, Renault, Peugeot à Douvrin, Simca dans la région de Bouchain, Chausson à Maubeuge, maintenant Renault à Douai ; tout cela intéresse naturellement les très nombreux industriels qui font de la sous-traitance ou qui fabriquent des fournitures pour l’industrie automobile. Et déjà, deux d’entre eux se sont décidés à s’implanter dans la région, il y a d’abord eu l’usine à Quiry, près d’Hénin Liétard et puis tout dernièrement le groupe Lucas a décidé de créer une usine à Calais pour faire des faisceaux de câbles électriques à l’intention de l’industrie automobile. Et nous sommes actuellement en négociation avec deux groupes industriels importants qui, eux aussi, envisagent de faire, de fabriquer des fournitures pour l’industrie automobile ; précisément, parce que cette industrie automobile, dorénavant, existera dans la région.