Interview de Jean Matteoli au sujet de l'implantation de l'usine Renault
Notice
Jean Matteoli, Commissaire à la conversion industrielle du Nord-Pas-de-Calais, annonce l'implantation de Renault, dans le Douaisis. L'usine se situera à la sortie de Douai d'ici 1975 et emploiera 7 000 personnes dont 25% d'ouvriers hautement qualifiés.
- Europe > France > Nord-Pas de Calais > Nord > Douai
Éclairage
Dans cet entretien, un haut-fonctionnaire au rôle central, Jean Matteoli, évoque ce qui va devenir une dynamique majeure de la reconversion du bassin minier, la transformation du Nord-Pas-de-Calais en une "région automobile".
Jean Matteoli occupe depuis 1968 le poste stratégique de commissaire à la conversion industrielle, créé en 1967 pour coordonner les différents acteurs de la reconversion industrielle de la région. Ces commissaires sont à la fois des représentants de l'État central (ils travaillent en relation avec la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale ou DATAR) et des élus d'associations de dirigeants patronaux, en l'occurrence l'APEX (Association pour l'expansion industrielle) dans laquelle les Houillères jouent un rôle majeur. C'est la DATAR qui a également la tutelle des OREAM évoqués dans l'émission. Créés en 1966 en même temps que les huit métropoles d'équilibre (dont Lille), ces "Organisations d'études et d'aménagement des aides métropolitaines" doivent définir, en coordination avec les élus locaux, des schémas directeurs de développement et d'aménagement. L'OREAM régionale publie un livre blanc en 1968 auquel Jean Matteoli fait allusion. C'est une sorte de plan régional. Le 13 mai 1968 a lieu le premier comité interministériel d'aménagement du territoire consacré exclusivement au Nord-Pas-de-Calais. Il examine le livre blanc et définit une politique de reconversion du bassin minier énergique.
C'est suite à ces initiatives que l'État encourage des usines automobiles à s'installer dans cette région. Pour Renault, l'opération est d'autant plus facile que l'entreprise est, à l'époque, une Régie publique. En parallèle, les Houillères créent en 1966 le service d'accueil des implantations industrielles pour mettre en valeur leurs terrains et les proposer à de nouvelles entreprises.
Les entreprises y trouvent leur compte car les salaires sont inférieurs à ceux de l'Île-de-France, et la localisation géographique est idéale avec l'ouverture du Marché commun. Les droits de douane entre la France et les cinq autres pays de la Communauté économique européenne (dont la Belgique, toute proche) ont disparu au premier juillet 1968, peu de temps avant l'émission. Les entreprises sont également attirées par des aides publiques et la mise à disposition de terrains par les Houillères ou par les communes. En dehors de France, de nombreuses usines automobiles se sont installées dans des bassins miniers comme Opel à Bochum, dans la Ruhr (usine terminée en 1962), Man à Penzberg, dans le bassin minier bavarois (usine terminée en 1967), et, plus tard, les constructeurs japonais en Grande-Bretagne (Nissan à Sunderland et Toyota à Burnaston, près de Derby).
Renault s'installe à Douai sur une zone mise en valeur par les collectivités locales. Comme le prévoyait Jean Matteoli, l'usine ouvre rapidement puis monte en puissance progressivement pour atteindre 7 000 employés en 1975. Son effectif plafonne cependant à un peu plus de 8 000 en 1983, assez loin des 10 000 évoqués par le commissaire à la conversion en raison de la crise économique d'une part, mais aussi d'une robotisation massive. Le recrutement local concerne peu les anciens mineurs, surtout s'ils ont passé de longues années au fond, afin de ne pas assumer les maladies professionnelles existantes ou potentielles. Leur faible niveau de scolarisation a aussi représenté un handicap pour envisager une reconversion, comme cela est évoqué de manière indirecte pendant l'interview. Cependant, le problème n'était pas dirimant à l'époque car le chômage restait très faible en 1969, dans la France des Trente Glorieuses. Enfin, le dernier enjeu est celui du réseau de sous-traitance, qui doit concrétiser l'effet d'entraînement sur le tissu local porté par l'arrivée de Renault. Matteoli se veut confiant mais le problème reste complexe. En effet, les usines automobiles sont insérées dans des réseaux de sous-traitants qui sont beaucoup plus nationaux que locaux, d'où la dépendance de Renault-Douai envers de nombreuses entreprises extérieures à la région.
Finalement, la région devient progressivement, comme le souligne Jean Matteoli, une "région automobile". Outre l'usine Renault-Douai, sont évoquées dans l'entretien l'usine de la Française de mécanique (Renault-Peugeot) de Douvrin, l'usine Simca à Hordain (près de Valenciennes, qui devient ensuite une usine Peugeot) et l'usine Chausson (un carrossier et constructeur de cars) de Maubeuge. En plus de ces exemples, il faut signaler que l'équipementier américain Firestone s'était déjà installé à Béthune en 1960, dans une des premières opérations de reconversion du bassin minier. Par la suite s'ouvrira en 2001 à Valenciennes l'usine Toyota, confortant ainsi la nouvelle vocation automobile du Nord.