Peintres mineurs, un loisir une passion

10 janvier 1965
07m 42s
Réf. 00041

Notice

Résumé :

A Douai s'est tenu le quatrième salon de peintures de mineur organisé par les Houillères. Ce salon témoigne d'un véritable phénomène social, dans le Bassin minier. Simons est allé à la rencontre de ces mineurs, peintres amateurs (dont Messieurs Guluch, Antoine Vanderveken, Jean Dasset) qui témoignent sur leur approche de la peinture. Pour eux, c' est avant tout "une évasion, une méditation, une contemplation","Une vie de couleurs et de formes".

Type de média :
Date de diffusion :
10 janvier 1965
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Si les formes de la culture minière se traduisent en majorité par des pratiques de sociabilité collective (sociétés sportives, chorales, fanfares, pratique des jeux traditionnels dans les arrières cours des bistrots, etc.), les "peintres mineurs" constituent une catégorie particulière, au-delà de l'œuvre emblématique du peintre spirite Augustin Lesage (1876-1954). La pratique de la peinture est encouragés par les Houillères qui dans le cadre des activités sociales proposées aux mineurs et leurs familles ont créé des cours de peinture et ouvert des clubs de peinture dans lesquels les peintres amateurs peuvent appréhender les différentes techniques. Les Houillères organisent dans les années 1950-1960 des salons plus ou moins réguliers. Ainsi nombreux ont été les mineurs anonymes à avoir fui la réalité en devenant des peintres du dimanche. Ces figures anonymes s'adonnent à une forme originale de "loisir ordinaire", dont les résultats sont parfois mis en scène lors d'expositions temporaires ou de salons du mineur plus ou moins réguliers organisés à Douai.

Les témoignages de ces autodidactes attestent de motivations diverses, mais renvoient toutes au rapport à la mine, à son environnement, à ses paysages : soit pour s'en échapper, soit au contraire pour en reproduire les traits les plus caractéristiques (corons, chevalets, carreaux...). Les peintres-mineurs trouvent ainsi leurs inspirations dans la vie quotidienne du bassin minier ou dans le travail au fond ou à la surface. Si le désir d'évasion, la volonté d'échapper "au fond" et à sa sombre monochromie saturent les discours de ces "peintres du dimanche". L'éclectisme des genres domine : paysages colorés, toiles figuratives ou abstraites, simple souci décoratif (pour embellir l'intérieur de la demeure) ou véritables ambitions artistiques...Généralement pratiquée "au plein-air", cet usage du "temps à soi", également pratiquée par les retraités, traduit la diversité de la palette des activités récréatives des mineurs.

Olivier Chovaux

Transcription

(Musique)
Journaliste
Au cours du mois de décembre, l’hôtel de ville de Douai a abrité le quatrième salon du mineur organisé par les Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais.
(Musique)
Journaliste
Manifestation artistique intéressante à plus d’un titre, d’abord par le nombre et la qualité des œuvres exposées, qui sont venues des différents groupes d'Auchel-Bruay, de Béthune, de Douai, d’Hénin-Liétard, de Lens-Lievin, d’Oignies et de Valenciennes.
(Musique)
Journaliste
Et surtout parce qu’elle permettait de prendre conscience d’un véritable phénomène social, ce goût pour la peinture dont témoignent tant de mineurs.
(Musique)
Journaliste
Sans doute, les efforts entrepris au sein des clubs de loisirs pour encourager et coordonner cette tendance, pour aider les mineurs à peindre ou à mieux peindre ; ces efforts comptent, certes, pour beaucoup dans la réussite d’un tel salon ; mais ils ne suffisent pas à tout expliquer et notamment pourquoi et comment des mineurs peignent, pourquoi et comment des mineurs aiment la peinture.
(Musique)
Simons
Et dites-moi, qu’est-ce qui vous a incité à faire de la peinture ? D’abord combien de temps, depuis combien de temps faites-vous de la peinture ?
Guluch
Oh, une quinzaine d’années, quoi.
Simons
Une quinzaine d’années ? Quel âge avez-vous ?
Guluch
34 ans.
Simons
Et vous ne savez pas ce qui vous a incité à en faire ?
Guluch
Non, j’ai débuté par le dessin, des croquis et puis c’est venu de moi-même de faire de la peinture à l’huile.
Simons
Et sans conseil, sans professeur, sans rien !
Guluch
Non, sans rien du tout.
Simons
Vous avez appris le métier tout seul ?
Guluch
Oui.
Intervenant 2
Depuis que je suis tout enfant, tout petit, quoi. Depuis que je sais tenir un crayon dans la main, j’ai toujours eu la passion du dessin. Je copiais les livres d’histoires, géographie, enfin toutes les cartes postales que je…
Intervenant 3
Je peins par amour de la nature d’abord, et ensuite, ayant fait toute ma promotion depuis galibot jusqu’au technicien que je suis actuellement au fond de la mine, et j’ai eu un besoin, après mes journées de travail terminées, de m’évader un peu.
Intervenant 4
Par besoin d'évasion le dimanche pour changer d’atmosphère. Puisqu’on est enfermé toute la semaine dans un atelier, on change, on s’évade dans la campagne, dans la nature.
Intervenant 5
Je passais mes loisirs en pratiquant le football, alors une fois, ma femme m’a proposé d’acheter des tableaux.
Simons
De la peinture pour chez vous ?
Intervenant 5
Pour décorer la maison. Les tableaux coûtant assez chèr, alors, je me suis décidé de faire moi-même. Et alors, j’ai peint et j’ai réussi avec le concours de certains camarades, qui m’ont conseillé.
Intervenant 6
Je peins, Monsieur, parce que justement je suis retraité des mines depuis quelques années et je trouve que la peinture est un délassement idéal. La peinture, la musique, si vous voulez. En somme, ce sont deux délassements qui permettent d’être un retraité, si vous voulez, qui ne s’ennuie pas.
Intervenant 7
Je faisais des dessins.
Simons
Ah, du dessin ?
Intervenant 7
Des dessins, rien que du crayon et de la plume.
Simons
Et qu’est-ce qui vous a décidé de…
Intervenant 7
Monsieur [Genisson], quand il a vu mes dessins, m’a décidé de faire de la peinture.
Simons
Oh, et alors, il m’a dit, Monsieur Genisson que vous en faisiez passionnément, joyeusement…
Intervenant 7
Ah oui, 3 à 4 heures par jour.
Simons
Oh, c’est magnifique.
Intervenant 7
Oui, c’est une détente formidable pour moi, ça.
Intervenant 8
Pour moi, la peinture, c’est avant tout une évasion ; lorsqu’on se trouve devant une toile, c’est une méditation pour moi.
Simons
Une contemplation ?
Intervenant 8
Une contemplation, oui, si vous voulez. Et pour moi, voyez-vous, un tableau, je le comparerais à un miroir. Un miroir dans lequel se reflèterait les intentions du peintre.
Intervenant 9
J’y éprouve une satisfaction à le faire, oui en effet, parce que je suis certain que, enfin comment est-ce que je vous dirais ça. J’ai l’impression que je vais refaire le monde entier.
Intervenant 10
Je veux représenter la nature telle qu’elle est, toutes les couleurs que je vois vont être représentées sur le tableau. Comme si ça serait une photo, quoi.
Simons
Monsieur Lucas, comment choisissez-vous vos sujets ?
Lucas
Et bien voilà, c’est une idée qui m’est passée par la tête, ou alors un objet que j’aperçois et qui me fait réellement plaisir. Alors à ce moment-là, je le pose sur mon tableau. Il représente le château d’eau de Courrières en construction. Alors, ce qui m’avait surtout impressionné par le paysage, c’était l’échafaudage du château d’eau même. Et ensuite, étant donné que c’était le soir, alors il y avait pas mal de variations, alors c’est ce qui m’avait impressionné.
Intervenant 12
J’aime bien les oiseaux.
Simons
Vous êtes coulonneux ?
Intervenant 12
Non.
Simons
Alors les oiseaux sauf les coulons ?
Intervenant 12
Sauf les coulons, oui, mais à l’occasion je peindrais un coulon.
Simons
Oui, et pourquoi des oiseaux ?
Intervenant 12
Je retrouve dans les oiseaux beaucoup de couleurs qu’on ne trouve pas sur nos lieux de travail. Sur nos lieux de travail, tout est noir, sale, laid même. Et la peinture nous donne une évasion, une vie nouvelle, une vie de couleurs, une autre forme.
Simons
Vous ne peignez pas des puits de mines et des terrils et des…
Intervenant 13
Non. C’est un sujet qu’on a trop souvent sous les yeux et on s’en évade.
Simons
Votre coron qui est là à côté de vous n’est pas précisément triste.
Guluch
Oui, mais on peut s’apercevoir par les arbres morts par exemple, et puis la neige, enfin, c’est la cité. Dans la cité, c’est gai quand c’est en plein été, enfin, quand tout fleurit. Mais par exemple, l’hiver ou bien l’automne, alors c’est triste, c’est mort, enfin.
Lucas
Cette usine-là justement, m’environnait pendant mon travail, et alors, l’idée m’est venue de la copier. Et en la copiant, j’ai voulu en faire ensuite un tableau. C’est-à-dire, cela me représentait un peu l’atmosphère où je travaillais et je l’ai adapté sur un tableau. Et évidemment, il y avait la question de nuages. La question de nuages, je l’ai fait de moi-même, c’est-à-dire, j’ai placé les nuages pour dire que l’emplacement de l’usine ressorte un peu plus de…
Interviewer :
Vous habitez de, vous ne regrettez pas de ne pas habiter le Midi par exemple ?
Lucas
Ah, il est en fait certain que je préfèrerais habiter le Midi, ça, l’atmosphère y est certainement plus joyeuse que par ici. Mais de façon, du fait que nous sommes ici en pays minier, il faut faire ce qui se présente autour de nous. C’est-à-dire, les paysages, bien que aux alentours, d’ici une dizaine de kilomètres, nous avons quand même des paysages assez beaux, et l’air est assez pur alors on y passe d’agréables journées.
Simons
Et puis, vous pouvez augmenter la couleur, c’est ça ?
Lucas
Oui, la couleur justement. Ce qui fait en somme le tableau, c’est parce que la réalité, en somme, est plutôt mauvaise, étant donné l’atmosphère des usines et puis, comment dirais-je, la poussière et tout. Alors on peut essayer de tricher un peu en améliorant la couleur, si on peut dire.
Simons
De faire plus beau que nature ?
Lucas
Plus beau que nature, c’est ça, de façon que à l’œil, ça soit quand même agréable à voir.
Alain Vanderveken
Ben non, il vaut mieux laisser la nature comme elle est, et puis la faire exactement comme on la voit. Ce n’est pas la peine d’améliorer ce qui est déjà fait, pas la peine. Déjà, la nature est déjà belle comme ça pourquoi faire l’embellir davantage, ça serait la vexer.