Le déclin du charbon et la conversion dans le Nord-Pas-de-Calais
Notice
La fin de l'exploitation du charbon est planifiée dans le Nord-Pas-de-Calais. Dans ce dossier du journal télévisé est abordé le problème de la conversion. Le commissaire à la conversion industrielle, Roger David, estime que cette question touche l'ensemble du bassin industriel de la région. Si des plans de reconversion des mineurs sont en cours, certains comme Paul Deleville, 30 ans de fond, souhaiteraient prendre leur retraite. Si à Douai l'imprimerie nationale accueille d'anciens mineurs, ils ne sont que 300 sur les 6 000 emplois à l'usine Renault. Pierre Delmon, président des HBNPC estime qu'il faut poursuivre ce mouvement dans l'ensemble du secteur industriel de la région.
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Éclairage
La reconversion du Bassin minier vers de nouvelles activités est au cœur de ce reportage au ton assez pessimiste. L'origine du déclin charbonnier n'est pas éludée, il s'agit bien d'un problème de prix de revient : le charbon du Nord-Pas-de-Calais est plus cher que le charbon importé, et même que la houille de Lorraine. En effet, les veines plus larges de l'est facilitent une mécanisation à outrance qui permet d'obtenir des rendements de plus de 4 tonnes par poste et par jour en 1975, contre 1,8 tonne dans le bassin du Nord. La Lorraine se rapproche ainsi des rendements de la Ruhr, proches de 5 tonnes. Ce bassin dépasse en production celui du Nord-Pas-de-Calais en 1974. A cette époque, en 1976, il est encore envisagé de fermer les derniers puits de la région entre 1983 et 1985. L'enjeu principal est humain : alors que les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC) employèrent jusqu'à 220 000 mineurs dans l'immédiat après-guerre, seuls 40 000 sont encore en poste à la date de l'émission. 20 000 devront être reconvertis vers d'autres métiers.
La reconversion vers d'autres activités a été soutenue de manière vigoureuse par l'État central comme le montrent les exposés successifs de Roger David, puis de Pierre Delmon. Roger David est le commissaire à la conversion industrielle. Poste créé en 1967 auprès du préfet de région, il coordonne les différentes initiatives en matière de redynamisation du tissu économique et social. Pierre Delmon est le président des HBNPC qui exploitent les mines et possèdent de nombreux terrains, même si certaines infrastructures et habitations ont été transférées aux communes depuis la décision du comité interministériel d'aménagement du territoire du 10 février 1971. La décentralisation n'ayant pas encore eu lieu, c'est l'État central qui assume la responsabilité principale d'une politique volontariste de conversion industrielle. Elle s'appuie sur le développement d'activités nouvelles comme l'automobile, largement développé à la lisière du bassin minier, notamment à Douvrin (usine Française de mécanique) et à Douai (usine Renault). D'autres secteurs sont évoqués comme l'Imprimerie nationale, installée elle aussi à Douai ou le vapocraqueur de Dunkerque. Bien que située en dehors du bassin minier, cette usine est issue d'une décision de Charbonnages de France-Chimie prise en 1974. Cette société fonde, en 1975, la Compagnie pétrochimique du Nord avec l'appui de financements du Golfe.
Mais ces ambitions de reconversion se heurtent à la difficulté du réemploi des mineurs, une population mal formée et usée par un travail difficile. Ainsi, lorsque Renault s'installe, l'entreprise recrute peu d'anciens ouvriers ayant passé de longues années au fond de peur d'avoir à assumer des maladies professionnelles lourdes à l'avenir. La Régie préfère recruter des jeunes collaborateurs, plus flexibles et mieux formés. Un autre problème réside dans le décalage entre les emplois perdus et ceux qui sont créés. Ainsi, le vapocraqueur évoqué par Pierre Delmon n'emploie finalement que 380 salariés fin 1978, juste avant le deuxième choc pétrolier qui l'affecte bientôt. Le témoignage du mineur Paul Deleville apporte une dimension humaine et concrète aux problèmes de la reconversion. Ayant commencé à travailler à 14 ans pour exercer une tâche difficile, il aspire naturellement à une retraite après trente années de service. Sa situation familiale, grand-père à 44 ans et encore en charge de deux enfants, témoigne de la très grande natalité des mineurs. L'absence de formation initiale, liée à la traditionnelle sous-valorisation de l'institution scolaire dans le milieu de la mine, rend par ailleurs tout apprentissage d'un nouveau métier difficile.
Finalement, un ton assez pessimiste, voire misérabiliste, émane de ce reportage. Deux raisons l'expliquent. D'une part, l'image du mineur a radicalement changé. Dans les années 1940 et 1950 encore, le mineur est le héros de la "bataille du charbon", celui sur lequel repose la reconstruction du pays. La valorisation de son métier est également liée au prestige social et politique de la figure ouvrière dans l'immédiat après-guerre ; c'est la "génération singulière" décrite par Gérard Noiriel (1). Mais à partir de la fin des années 1960, la montée en puissance du tertiaire, les aspirations nouvelles nées de 1968 et le déclin des bastions ouvriers traditionnels provoquent un délitement progressif de la culture ouvrière, dont le mineur apparaît encore une fois à l'avant-garde, cette fois-ci sur une pente négative. Symbole de ces préoccupations post-68, l'écologie évoquée rapidement dans le reportage, commence à devenir un enjeu. C'est d'ailleurs le comité interministériel du 30 juillet 1974 qui impose cette thématique dans les plans de développement de la région. Plus généralement, le ton morne du commentaire s'explique aussi par le contexte général de 1976, une période où l'on prend conscience que la crise pétrolière de 1973 n'est pas un épiphénomène, mais bien une crise structurelle. L'année 1975 est marquée par la première récession depuis la guerre.
Par ailleurs, la "relance" tentée par le gouvernement de Jacques Chirac ayant échoué, les pouvoirs publics semblent manquer de ressources face à la crise. Le chômage commence à progresser régulièrement et, semble-t-il, inexorablement. Il atteindra un million de chômeurs un an plus tard, contre 400 000 avant la crise. C'est ce contexte délicat qui explique l'impression mitigée d'un reportage qui, pourtant, met en valeur la formidable capacité d'adaptation d'une région.
(1) Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, XIX° XX° siècle, Paris, Seuil, coll. « Points », 1986.