Les élections présidentielles
Présentation
La carrière politique de François Mitterrand qui s’étend sur un demi-siècle de 1946 à 1995 permet un véritable parcours de l’histoire du second XXe siècle français dont il est incontestablement, aux côtés de Charles de Gaulle (dont il fut l’adversaire), l’un des principaux acteurs.
Après une riche carrière ministérielle sous la IVe République, il fait figure durant vingt années de principal opposant au pouvoir du général de Gaulle et de ses successeurs de droite, avant d’exercer la fonction suprême de Chef de l’Etat durant deux septennats. Et, cas unique dans l’histoire politique des Républiques françaises, il fut à quatre reprises candidat à l’élection présidentielle au suffrage universel.
1965, Le coup d’audace : Mitterrand contre de Gaulle
En 1965, le général de Gaulle apparaît à l’apogée de son pouvoir. Il gouverne une France qui bénéficie d’une forte croissance économique, qui a mis fin à la guerre d’Algérie, effectué l’essentiel de la décolonisation de ses territoires d’outre-mer et qui bénéficie d’une audience internationale du fait de la politique du Chef de l’Etat.
En revanche, François Mitterrand, président d’une nébuleuse de clubs rassemblée dans la Convention des Institutions républicaines, ne bénéficie que d’une audience limitée dans les milieux de la gauche intellectuelle, à l’écart des grandes formations que sont le parti communiste, la SFIO, voire les radicaux.
Or la première élection d’un président de la République au suffrage universel depuis 1848, instaurée par le référendum constitutionnel de 1962 auquel ils se sont opposés, embarrasse ces formations qui répugnent à proposer un candidat. Le socialiste Gaston Defferre a bien tenté de se présenter à la tête d’une coalition unissant socialistes et centristes, mais son parti ne l’a guère soutenu. Devant ce vide, François Mitterrand prend l’initiative de présenter sa candidature le 9 septembre 1965.
Les partis de gauche y sont d’autant plus favorables qu’ils estiment ne pas avoir à craindre de concurrence de la part d’un homme assez isolé, d’autant que celui-ci entend représenter la gauche tout entière, communistes compris. De surcroît, la certitude que les Français rééliront Charles de Gaulle les pousse à préférer que le vaincu ne soit pas issu de leurs rangs.
Or, contre toute attente, l’apparition à la télévision d’un homme jeune, éloquent, convaincant (alors que seuls les hommes du pouvoir y avaient droit de cité) provoque un choc dans l’opinion qui voit en lui le principal adversaire du général.
Intervention télévisée lors de la campagne présidentielle
De fait, alors que tous (à commencer par lui-même) attendaient l’élection du général dès le premier tour, celui-ci est mis en ballotage, François Mitterrand rassemblant près de 32% des suffrages. Aussi peut-il se présenter au second tour, non comme le candidat de la seule gauche, mais celui des « Républicains », décidés à lutter contre le pouvoir personnel imputé à de Gaulle.
Intervention télévisée lors de la campagne présidentielle
La victoire de ce dernier au second tour par 55% des suffrages fait cependant de François Mitterrand le chef de file de l’opposition de gauche, position qu’il va tenter de faire fructifier dans les mois qui suivent.
1974 : L’occasion manquée
La mort de Georges Pompidou, successeur du général de Gaulle, en avril 1974, trouve François Mitterrand en position beaucoup plus solide pour affronter les candidats de la droite, Jacques Chaban-Delmas, désigné par les gaullistes de l’UDR, et surtout le centriste Valéry Giscard d’Estaing.
François Mitterrand est en effet devenu en juin 1971 Premier secrétaire d’un parti socialiste rénové, il a conclu en juin 1972 un accord sur un programme de gouvernement avec le parti communiste, réussi aux élections législatives de 1973 à faire jeu égal avec les communistes en termes de suffrages et fait élire 102 députés qui constituent le groupe le plus important de l’opposition. Il apparaît ainsi sans contestation possible comme le chef de file de cette dernière.
Au demeurant, le premier tour de l’élection le 5 mai 1974 le place largement en tête du scrutin, avec 43,3% des suffrages exprimés, devançant très largement son futur adversaire du second tour, Valéry Giscard d’Estaing (32,9%) et, de ce fait, pouvant envisager une possible victoire, d’autant que l’appui d’une partie de l’UDR à Valéry Giscard d’Estaing a provoqué une profonde crise du parti gaulliste.
Le caractère très serré du second tour donne par conséquent une importance capitale au débat qui doit opposer au second tour les deux candidats qualifiés le 10 mai 1974. S’il est évident que Valéry Giscard d’Estaing est plus à l’aise que François Mitterrand à la télévision, les arguments des deux candidats sont attendus. Aux doutes de Valéry Giscard d’Estaing que François Mitterrand puisse gouverner avec les communistes, ce dernier oppose la difficulté pour gaullistes et giscardiens de s’entendre véritablement. Toutefois, les formules de l’ancien ministre des Finances présentant le candidat de gauche comme un homme du passé, le renvoyant à sa carrière sous la IVe République et sa réplique aux arguments de François Mitterrand évoquant la nécessité d’une politique sociale « Monsieur Mitterrand, vous n’avez pas le monopole du cœur » font mouche.
Débat d’entre-deux tours entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand
Toutefois, il n’est guère évident que ce débat ait été déterminant dans le résultat du 19 mai qui permet à Valéry Giscard d’Estaing de l’emporter par 50, 80% des suffrages contre François Mitterrand (49, 20%).
1981 : La revanche de François Mitterrand
L’étroitesse de la victoire de Valéry Giscard d’Estaing agit comme un stimulant sur l’électorat de gauche.
Déclaration de François Mitterrand après sa défaite à la présidentielle
Face à un président dont la majorité repose sur les gaullistes de l’UDR, qui se reconnaissent davantage dans le Premier ministre Jacques Chirac que dans le Chef de l’Etat, François Mitterrand, à la tête d’un parti solidement uni derrière lui fait plus que jamais figure de chef de l’opposition et de possible futur président. La démission fracassante du Premier ministre Jacques Chirac en 1976, la transformation de l’UDR en Rassemblement pour la République (RPR), induit une rivalité entre gaullistes et giscardiens qui fissure la majorité présidentielle.
Dans ces conditions, la gauche du Programme commun a le vent en poupe. Ses victoires aux élections partielles et aux élections municipales et cantonales semblent annoncer une future conquête du pouvoir lors des élections législatives prévues au printemps 1978.
Réaction de François Mitterrand après les municipales
Cet espoir de la gauche va tourner court. Le parti communiste, conscient que la dynamique de la gauche tourne clairement à l’avantage des socialistes et qui redoute d’être marginalisé, prend le risque assumé de briser l’union de la gauche en exigeant une révision du Programme commun de gouvernement sur les questions-clés des nationalisations, de la politique étrangère et de la défense. Le refus de François Mitterrand acte une période de tension avec les communistes qui permet à la droite de conserver sa majorité.
Dans ces conditions, l’élection présidentielle de 1981 pour laquelle François Mitterrand est une troisième fois candidat contre le président sortant Valéry Giscard d’Estaing paraît devoir rééditer l’issue de 1974. Or le premier tour le 26 avril 1981 révèle une certaine démobilisation de l’électorat de droite puisque le président sortant, s’il arrive en tête avec 27,8% des suffrages, fait moins bien que ses 32% de 1974. Arrivé en seconde position avec 26% des suffrages, François Mitterrand peut compter sur les reports de voix, au moins partiels, des autres candidats de gauche qui, communistes, écologistes, radicaux et extrême-gauche confondus rassemblent près de 22%, alors que Jacques Chirac qui a bénéficié de 18% des voix se désiste « à titre personnel » pour le président sortant, laissant d’abord ses électeurs libres de leur choix avant de lancer in extremis et de mauvais gré un appel à barrer la route à François Mitterrand.
Dans ces conditions, le débat de l’entre-deux-tours entre les deux candidats apparaît déterminant. Or, il tourne plutôt à l’avantage de François Mitterrand que Valéry Giscard d’Estaing ne parvient pas à mettre en difficulté et qui va, lorsqu’il tente de revenir sur le long passé de son adversaire se trouver cloué par la réplique de François Mitterrand qui le qualifie d’« homme du passif ».
Débat d’entre-deux tours entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing
Le « Ministère de la parole » contre « l'homme du passif »
Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République par 52,2% des suffrages exprimés.
10 mai 1981 : Première déclaration de François Mitterrand
1988 : François Mitterrand, symbole de la France unie
La victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981 s’est opérée sur le mot d’ordre de « Changer la vie » et son investiture le 21 mai 1981 soulève un enthousiasme considérable.
De fait, François Mitterrand considère que son élection s’inscrit dans une vision de la société française marquée par la lutte des classes puisqu’il observe (en contradiction avec toutes les analyses qui attestent du caractère interclassiste des grandes forces politiques) que la « majorité politique des Français vient de s’identifier à sa majorité sociale ». L’écrasante victoire des socialistes aux élections législatives de juin 1981 lui donne les moyens de modifier en profondeur la société française.
En quelques mois, la France devient un immense chantier destiné à mettre en œuvre les réformes inspirées des conceptions idéologiques du parti socialiste. A commencer par le vaste programme de nationalisation destiné à mettre entre les mains de l’Etat les principaux leviers de l’économie et qui touche les groupes industriels les plus performants, des compagnies financières, les grandes banques d’affaires. Sur le plan administratif sont votées en 1982 les lois de décentralisation. La planification est remise à l’ordre du jour. Dans le domaine de la justice, la peine de mort est abolie et les lois pénales humanisées. Les droits des travailleurs dans l’entreprise sont accrus, la politique de la santé profondément transformée, comme celle du logement. L’enseignement est l’objet de nombreuses réformes.
François Mitterrand défend les nationalisations
Toutefois, cette ardeur réformatrice lèse des intérêts et des situations acquises et provoque un retournement de l’opinion, marqué par une chute de la popularité du président dans les sondages et des échecs de la gauche aux élections partielles. Dès 1982, le gouvernement doit freiner les réformes économiques et, en 1983, opérer un choix décisif pour le maintien de la France dans l’union européenne dans le cadre de l’économie de marché. La mobilisation de l’opinion catholique contre les projets de grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale contraint le chef de l’Etat à reculer en juin 1984. A ce moment son impopularité est telle que tous les sondages prévoient une écrasante victoire de la droite aux élections législatives prévues en 1986 qui pourrait le contraindre à la démission.
La reconquête de l’opinion débute dès juillet 1984 par le changement de Premier ministre. Pierre Mauroy ayant démissionné est remplacé par le jeune Laurent Fabius (qui a 38 ans). Celui-ci annonce d’emblée l’objectif de son gouvernement, « moderniser la France et rassembler les Français », en d’autres termes, apaiser les conflits nés des premières années du septennat et développer le pays. Si le Premier ministre démontre ses compétences et ses qualités de gestionnaire, sa mission consiste également à permettre au Chef de l’Etat de reconquérir l’opinion et de gagner le scrutin de 1986, ou au moins de ne pas subir une écrasante défaite. Si son action ne peut empêcher la droite de remporter les élections législatives, du moins l’étroitesse de sa victoire permet à François Mitterrand de demeurer à l’Elysée, mais dans le cadre d’une cohabitation avec Jacques Chirac nommé Premier ministre.
Jacques Chirac et François Mitterrand sur la cohabitation et la montée du Front national
Dans une situation où ce dernier tente de le réduire à un rôle purement honorifique, François Mitterrand va déployer toutes les facettes de sa remarquable habileté politique. D’abord en imposant sa suprématie, au nom de sa désignation par le suffrage universel comme incarnation de la nation, dans le domaine de la politique étrangère et de la défense.
La cohabitation au sommet de Tokyo
Ensuite en se posant, au nom de la défense de l’intérêt national, en critique vigilant des actes du Premier ministre. Jouant à la fois le rôle de « père de la nation » et de chef de l’opposition, il reconquiert une popularité considérable, à mesure que fond celle de son Premier ministre.
Les voeux de François Mitterrand pour l'année 1987
Aussi, à mesure que se rapproche l’élection présidentielle de 1988 où il devra affronter la concurrence de Jacques Chirac se présente-t-il comme le chantre de la « France unie », faisant connaître sa candidature par une Lettre à tous les Français.
Déclaration de candidature à la présidentielle
Lettre à tous les Français
Aussi sa réélection apparaît-elle fort probable. En tête au premier tour avec 34% des suffrages (contre 19% à Jacques Chirac), il l’emporte au second le 8 mai 1988, battant largement son rival (54,02% contre moins de 46%), après un débat où il a largement joué de son image et de son expérience présidentielle.