Les duels de François Mitterrand
Présentation
Le duel, en tant que combat politique, est caractérisé comme l’écrit Antoine de Baecque [1] par une personnalisation du pouvoir et de ses enjeux, et ce au fil des régimes politiques qui se succèdent. Avec l’avènement de la Ve République en France (et de la présidentialisation du régime) et celui de la télévision, la spectacularisation du duel politique est accentuée.
A l’assemblée nationale ou dans un magazine politique à la télévision, en tant que député ou président de la République, candidat à une élection ou représentant d’un parti, François Mitterrand affronte de multiples adversaires politiques.
Ces duels sont autant de marqueurs des prises de positions de François Mitterrand dans le débat et d’étapes dans la perspective de mener à bien un projet politique.
C’est dans ce contexte que nous présentons les duels qui ont jalonné la vie politique de François Mitterrand.
[1] Antoine de Baecque, Les duels politiques. De Danton-Robespierre à Royal-Sarkozy, Pluriel-Histoire, Hachette-Littératures, 1ère édition Grasset & Fasquelle 2002, nouvelle édition actualisée et augmentée, Paris 2007, p.12
François Mitterrand, l’opposant à gauche (1958-1968)
Dénoncer le « coup d’Etat » gaulliste
François Mitterrand se lance dans un combat acharné contre la prise de pouvoir en mai 1958 par le Général de Gaulle, en pleine guerre d’Algérie : ce qu’il nomme le « coup d’Etat ». Le chef de la SFIO Guy Mollet, en 1958, se rallie au général qui se présente devant les parlementaires et obtient les plein pouvoirs pendant six mois afin d’élaborer une nouvelle Constitution. François Mitterrand quant à lui, applaudi sur les bancs de la gauche de l’hémicycle, proteste, tout comme Pierre Mendès-France.
Convaincu que le pouvoir est désormais suffisamment solide pour durer, François Mitterrand, qui n’est pas élu député en 1958, se prépare pour le prochain scrutin et travaille à réunir ceux qui, à gauche, ont voté « non » à l’investiture du général de Gaulle. Un temps isolé, soupçonné ou accusé d’être opportuniste dans cette situation, François Mitterrand est malgré tout aux yeux des communistes un allié de circonstance. Il devient sénateur de la Nièvre en 1959 grâce à l’apport des voix communistes. Pendant ces années au Sénat, il mène son combat contre le gouvernement gaulliste en s’opposant à son premier ministre Georges Pompidou.
Lorsque le général de Gaulle annonce la tenu d’un référendum pour une nouvelle réforme de la Constitution avec l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, François Mitterrand est, toujours, aux premiers rangs du camp en faveur du « non ».
Les élections législatives, qui suivent le référendum gagné par de Gaulle, en novembre 1962 permettent à François Mitterrand de mettre en pratique le rapprochement avec les communistes : il est élu député de la Nièvre après le désistement des candidats socialiste et communiste. François Mitterrand s’accommode finalement à ce nouveau régime qui peut le porter au pouvoir, tout en continuant à le dénoncer.
En 1964, il publie son pamphlet contre la Ve République, Le Coup d’Etat permanent.
Une candidature unique de la gauche : François Mitterrand face au général de Gaulle en 1965
Malgré ses efforts pour s’imposer comme le leader de la gauche, François Mitterrand a un rival en la personne de Gaston Defferre qui a une stratégie toute différente de celle de François Mitterrand pour s’opposer à de Gaulle, en soutenant une alliance des socialistes avec les centristes du MRP.
Cependant, la candidature de Gaston Deferre échoue (Guy Mollet notamment y ayant contribué) et la voie est libre pour François Mitterrand qui après avoir tant dénoncé la nature du régime au Parlement devient l’opposant au Président de la République en 1965.
François Mitterrand sur la nature du régime de la Ve République
Cette élection le rend visible auprès de davantage de Français, puisque les candidats disposent d’un temps d’antenne à la télévision. Des Français vont voir et entendre pour la première fois les candidats à l’élection présidentielle. Au fil de la campagne, François Mitterrand progresse en intégrant les règles pour « bien passer » à la télévision et prépare avec soin ses interventions.
Intervention télévisée lors de la campagne présidentielle
La stratégie autour de François Mitterrand, soutenu par le Parti communiste, la SFIO et les radicaux, l’amène au second tour de l’élection présidentielle de 1965 avec 31,7% des suffrages exprimés, contre 44,6% pour le président (le score de Jean Lecanuet a largement contribué à la mise en ballotage du général avec 15,6%) au premier tour. François Mitterrand mène une campagne axée sur le clivage droite/gauche.
Intervention télévisée lors de la campagne présidentielle
François Mitterrand est battu au second tour (44,8%) mais il a réussi son pari : être le leader d’un mouvement de gauche, la FGDS. Il lui reste cependant des rivaux à gauche sur la stratégie à bâtir pour prendre le pouvoir et notamment le PSU.
La marche vers l’union de la gauche
François Mitterrand parvient à conclure des accords électoraux avec les communistes (décembre 1966) et avec le PSU (janvier 1967) pour les élections législatives de mars 1967. Fort de cela, il affronte le premier ministre Georges Pompidou à Nevers le 22 février.
Réunion électorale à Nevers avec Georges Pompidou
Pour les élections législatives de 1967, les accords électoraux à gauche fonctionnent en grande majorité : les candidats de gauche qualifiés pour le second tour se retirent et soutiennent celui d’entre eux qui a obtenu le plus de suffrages.
Réélu pour sa part au premier tour, le député François Mitterrand combat à différentes reprises Georges Pompidou à l’assemblée nationale.
A côté de son rôle parlementaire, il s’attache à la formation d’un grand parti de la gauche. La décision de laisser Gaston Defferre se présenter à l’élection présidentielle de 1969 après le décès du général de Gaulle est une stratégie dont on ne peut, après coup, que reconnaître la perspicacité. L’échec est cinglant pour le candidat Defferre. Face à ce constat, la refondation du Parti socialiste est désormais possible et François Mitterrand agit pour imposer sa stratégie (contre les alliances avec les centristes). Il parvient, malgré les difficultés, lors du congrès d’Epinay en juin 1971 à se faire nommer premier secrétaire du nouveau Parti socialiste.
Du Congrès d’Epinay à l’entrée à l’Elysée : des adversaires à droite et à gauche (1971-1981)
La droite au pouvoir agite l’épouvantail communiste
Juin 1971, François Mitterrand est à la tête du Parti socialiste qui a plusieurs objectifs : en faire un grand parti de gauche - les centristes sont mis de côté - et négocier avec les communistes un accord d’union.
A droite, ses adversaires l’attaquent sur ces objectifs, à l’image de Michel Debré et d’Alexandre Sanguinetti, face à qui François Mitterrand débat à la télévision dans le célèbre magazine A armes égales en 1972 et 1973. En effet, le 27 juin 1972 un Programme commun est signé entre le Parti socialiste, le Parti communiste français et le Mouvement des radicaux de gauche.
C’est donc en leader de la gauche que François Mitterrand affronte les deux débatteurs à la télévision. Fort de son expérience à la télévision depuis 1965, on le juge bien meilleur.
François Mitterrand et Alexandre Sanguinetti à propos du Parti socialiste
Un leader actif mais en difficulté dans son propre camp
Le décès du président Georges Pompidou entraîne une élection présidentielle anticipée en 1974.
Pour la première fois, un débat à la télévision est organisé entre les candidats du second tour du scrutin, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand.
Pour s’y préparer, François Mitterrand a d’ailleurs visionné le premier débat d’entre deux tours en 1960 aux Etats-Unis entre Kennedy et Nixon [2].
Ce débat, en 1974, est donc le premier du genre en France :
Débat d’entre-deux tours entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand
Valéry Giscard d’Estaing devient président de la République en 1974 avec une courte avance sur son adversaire (50,8% des suffrages exprimés). Cependant, François Mitterrand continue de s’imposer comme leader de l’opposition après avoir été le candidat unique de la gauche. La dynamique électorale de la gauche se confirme aux scrutins suivants.
Un nouveau duel à la télévision l’oppose à Raymond Barre qui est Premier ministre depuis 1976. Dans un contexte de défiance d’une partie de l’opinion et des parlementaires de la majorité vis-à-vis du gouvernement, François Mitterrand attaque le Premier ministre sur son action.
Mais la fin des années 70 est aussi marquée, pour François Mitterrand, par des duels qui l’opposent à des hommes de gauche. Les communistes réclament une actualisation du Programme commun alors que le Parti socialiste le devance dans les urnes. Les discussions aboutissent à une rupture du Programme commun en septembre 1977. Quelques mois avant l’officialisation de cette rupture, Raymond Barre prend sa revanche sur François Mitterrand et le provoque sur les difficultés supposées au sein de la gauche.
La rupture avec les communistes est durable. Deux ans plus tard, en 1979, à l’occasion d’un débat organisé à la télévision dans le cadre des élections au Parlement européen entre François Mitterrand (PS), Simone Veil (UDF), Jacques Chirac (RPR) et Georges Marchais (PCF), plusieurs passes d’armes entre les deux anciens alliés se déroulent sur le plateau.
François Mitterrand, Simone Veil et Georges Marchais débattent sur l'Europe
[2] Christian Delporte, La France dans les yeux, Une histoire de la communication politique de 1930 à aujourd’hui. Paris : Flammarion, 2007, p. 144.
La candidature et la victoire de 1981
Pour l’élection présidentielle de 1981, François Mitterrand doit également composer, un temps, avec la rivalité qui l’oppose à un autre socialiste : Michel Rocard. Les deux hommes s’affrontent notamment à l’occasion du congrès du Parti socialiste de Metz en 1979.
Congrès de Metz
Michel Rocard y déclare qu’il ne sera pas candidat à l’élection présidentielle si François Mitterrand l’est. Dans ce contexte de critique à gauche - par le PCF - et dans son propre parti, François Mitterrand annonce le 8 novembre 1980 qu’il est candidat à l’élection présidentielle de 1981.
François Mitterrand accède au second tour, pour affronter à nouveau Valéry Giscard d’Estaing. Aux portes du pouvoir (tous les candidats de gauche au premier tour appellent à voter pour François Mitterrand, à droite Jacques Chirac ne donne pas de consigne de vote) François Mitterrand doit faire face, à l’occasion du débat d’entre deux tours, aux tentatives faites par son adversaire d’effrayer les électeurs tentés par le vote Mitterrand. Mais ce sont les formules de François Mitterrand, que les commentateurs retiennent du débat cette fois-ci : « l’homme du passé (...) l’homme du passif », « je ne suis pas votre élève, vous n’êtes pas le président de la République, ici, vous êtes mon contradicteur ».
Débat d’entre-deux tours entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing
François Mitterrand Président (1981-1995)
Le Président face à Jacques Chirac Premier ministre : la première cohabitation
Elu président de la République avec 51,36% des suffrages exprimés en 1981, François Mitterrand doit affronter, plus tôt que prévu, ses adversaires de droite. En effet, la gauche perd les élections législatives de 1986, ce qui provoque une cohabitation, la première de l’histoire de la cinquième République, entre un président de la République de gauche et un Premier ministre, Jacques Chirac, de droite.
Premier Conseil des ministres de la première cohabitation
Le président de la République et le Premier ministre ne s’affrontent pas publiquement, et François Mitterrand raréfie ses prises de paroles. Il n’empêche que les deux hommes s’affrontent indirectement à diverses reprises pendant ces deux années.
La stratégie de François Mitterrand pour sacraliser son statut lui est particulièrement utile pendant la cohabitation : par opposition à un gouvernement et son chef très médiatique et clivant, le président de la République se positionne en rassembleur représentant l’ensemble des Français. Comme l’écrit l’historien Pierre-Emmanuel Guigo, « ce qui deviendra la "France unie" , slogan pour la campagne de 1988, « se trouve déjà dans l’intervention du président à l’émission de Christine Okcrent en septembre 1987 dans laquelle il affirme être le défenseur de l’unité nationale, de la solidarité et de la tolérance.
La stratégie de François Mitterrand pour sacraliser son statut lui est particulièrement utile pendant la cohabitation : par opposition à un gouvernement et son chef très médiatique et clivant, le président de la République se positionne en rassembleur représentant l’ensemble des Français. Comme l’écrit l’historien Pierre-Emmanuel Guigo, « ce qui deviendra la "France unie", slogan pour la campagne de 1988, se trouve déjà dans l’intervention du président à l’émission de Christine Okcrent en septembre 1987 dans laquelle il affirme être le défenseur de l’unité nationale, de la solidarité et de la tolérance ». [3]
[3] Pierre-Emmanuel Guigo, « François Mitterrand et la communication : vocation ou conversion », Lettre de l'Institut François Mitterrand n°43, 2013.
Le duel d’entre deux tours de 1988 : face à Jacques Chirac
En 1988, les deux hommes sont adversaires pour le second tour de l’élection présidentielle. Le président sortant est en bonne position, fort des scores de la gauche au premier tour et de la division de la droite (Raymond Barre obtient 16,5% de suffrages exprimés, derrière Jacques Chirac qui est à 20%, tandis que le Front national perce avec 14,4%). Lors du débat c’est François Mitterrand qui, selon les commentateurs, domine le duel.
Débat d’entre-deux tours
Un Président combattif : du traité de Maastricht à la deuxième cohabitation
L’union économique et monétaire en Europe est portée en France par son président de la République. Celui-ci fait le choix de passer par un référendum pour ratifier le traité de Maastricht sur l’Union européenne. Refusant une neutralité, face à une droite divisée sur le sujet, le Président débat face à un des partisans du « non », représentant du RPR, Philippe Seguin. Ce débat entre les deux hommes s’apparente davantage à un dialogue qu’à un duel.
François Mitterrand doit affronter une nouvelle cohabitation en 1993, la droite venant de remporter les élections législatives du mois de mars. Il choisit Edouard Balladur comme Premier ministre après la débâcle de la gauche. L’occasion pour le président de conforter son rôle de chef de l’Etat dans un contexte où une partie des électeurs ont désavoué la gauche.
Premier Conseil des ministres de la deuxième cohabitation
Conclusion
Des bancs de l’Assemblée nationale à l’Elysée, François Mitterrand provoque ou assume des combats avec des figures du paysage politique français, de droite comme de gauche. A l’origine tribun, plus à l’aise dans les hémicycles qu’à la télévision, François Mitterrand sait, quand il le souhaite, s’adapter aux exigences en matière de communication politique.
Des années pour la conquête du pouvoir à son accession à la présidence de la République, François Mitterrand affronte ses adversaires politiques différemment. A l’exception, notable, des débats d’entre-deux tours de l’élection présidentielle, et du débat à la télévision à l’occasion du référendum sur le traité de Maastricht, François Mitterrand président de la République cherche à se situer en dehors et au-dessus de l’arène politique. Le genre du duel télévisé reste rare après les années 80 en dehors du rituel d’entre-deux-tours. Dans ce paysage, François Mitterrand est à l’aise et en cohérence avec la sacralisation de sa fonction.
Pistes bibliographiques
- Antoine de Baecque, Les duels politiques. De Danton-Robespierre à Royal-Sarkozy, Pluriel-Histoire, Hachette-Littératures, 1ère édition Grasset & Fasquelle 2002, nouvelle édition actualisée et augmentée, Paris 2007.
- Christian Delporte, « Corps à corps ou tête-à-tête ? Le duel politique à la télévision (des années 1960 à nos jours) », Mots. Les langages du politique, n°67, décembre 2001 (Consultable en ligne sur le site Persée).
- Christian Delporte, La France dans les yeux, Une histoire de la communication politique de 1930 à aujourd’hui, Paris, Flammarion, 2007.
- Noel Nel, A fleurets mouchetés. 25 ans de débats télévisés, Ina/La Documentation Française, Paris, 1988.