François Mitterrand, Simone Veil et Georges Marchais débattent sur l'Europe

04 mai 1979
07m 12s
Réf. 00265

Notice

Résumé :
Dans le cadre des élections européennes de 1979, François Mitterrand débat avec les trois autres principales têtes de liste en France. Cela donne notamment lieu à une passe d'armes avec Georges Marchais, partenaire du PS dans le cadre du Programme commun.
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04 mai 1979
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Éclairage

Dans le cadre des élections au Parlement européen, Europe 1 et Antenne 2 convient François Mitterrand, Simone Veil, Georges Marchais et Jacques Chirac, représentants des quatre principaux partis politiques français à un grand débat radiodiffusé et télévisé sur l'Europe. Organisées du 9 au 12 juin 1979 dans les neuf pays membres de la Communauté européenne, ces élections au Parlement européen sont les premières au suffrage universel direct.

Les listes sur lesquelles sont élus les députés européens demeurant néanmoins nationales, le débat tourne assez largement autour de questions de politique intérieure. C'est ainsi en pourfendant le bilan du président de la République Valéry Giscard d'Estaing et de son premier ministre Raymond Barre (inflation, hausse du chômage) que François Mitterrand, qui conduit la liste présentée par le Parti socialiste, entend lutter contre la liste menée par Simone Veil au nom de l'UDF.

Le débat donne néanmoins lieu à plusieurs passes d'armes, notamment entre François Mitterrand et le Secrétaire général du Parti communiste français Georges Marchais. En réponse à Georges Marchais qui assure que l'Europe ne permet pas d'améliorer les conditions des travailleurs, François Mitterrand accuse les députés communistes de l'Assemblée européenne d'avoir refusé de voter une directive sur la réduction du temps de travail hebdomadaire à 35 heures par semaine dans la sidérurgie. Cette accusation sera vivement critiquée par le PCF, qui estime que ce refus était motivé par le rejet du plan de restructuration du secteur présenté par le Belge Etienne Davignon, qui comprenait de nombreux licenciements.
Vincent Duchaussoy

Transcription

Simone Veil
Tout d’abord, avant de parler de ce thème, je voudrais, je m’étonne un peu de ce qu’a dit Monsieur Chirac, "l’Europe miracle est une fumisterie", et je me demande si ce n’est pas ce qu’il aurait dit il y a 25 ans; exactement dans les mêmes conditions par rapport au projet de Traité de Rome. Et cette Europe n’a pas été une fumisterie. Personne ne croit actuellement que l’Europe résoudra tout. Mais en même temps, les gens de bon sens, les gens sérieux savent qu’un certain nombre de problèmes, et c’est déjà le cas actuellement, ne peuvent être réglés qu’au niveau de l’Europe. Les problèmes de protection sociale, nous le savons tous, on ne peut pas aggraver la compétitivité des entreprises françaises si les autres entreprises européennes n’ont pas les mêmes charges. Et on pourrait donner comme ça quantité d’exemples qui montrent bien que les Européens sont intéressés à ce qu’il y ait des solutions au niveau européen. C’est le cas de l’environnement, c’est le cas de l’énergie, il faut absolument avoir un plan européen en matière d’énergie. C’est le cas de certaines entreprises industrielles, on sait déjà ce que l’Airbus a pu produire et les exemples pourraient être multiples. Mais sur le plan français, bien sûr, l’élection du 10 juin ne peut pas se séparer totalement de ce que l’on pense de la politique intérieure. Il est certain que la société que nous voulons défendre, la conception de société pour laquelle nous irons représenter la France à Strasbourg, elle est aussi celle que nous souhaitons ici en France. Et ce que je voudrais dire, c’est que le Gouvernement actuel, dont nous soutenons la politique européenne puisque nous soutenons celle du Président de la République, eh bien, est tout à fait conscient des problèmes qui se posent et que ce qui est important, c’est que la sécurité, la protection qui est due aux Français puisse être à la fois, être étudiée au plan national et en même temps sur ce plan européen. Vous avez évoqué un problème particulier, celui des montants compensatoires, et je voudrais en reparler parce que c'est justement, ça prouve à quel point nous sommes conscients de la nécessité de chercher des solutions. Ces montants compensatoires, ils ont été mis en place il y a longtemps, et c’est seulement le Gouvernement actuel qui se préoccupe de démanteler et de rechercher des solutions pour y parvenir justement, ce qui doit être fait prochainement en ce qui concerne certains ont été déjà supprimés d’autres sont en cours de démantèlement. Et donc, c’est là une prise de conscience qui montre la prise de conscience de la nécessité d’adapter notre politique européenne en défendant les intérêts français pour les intérêts des agriculteurs notamment.
Jean-Pierre Elkabbach
Vous êtes maintenant tous à égalité, vous avez eu le même temps de parole, nous arrivons, si vous voulez bien, à la conclusion et vous savez que par tirage au sort, c’est Monsieur Marchais qui a une minute pour conclure.
Georges Marchais
Il est un proverbe qui dit, si tu es trompé une fois c’est la faute à celui qui t’a trompé. Si tu es trompé deux fois, c’est de ta faute à toi. Moi, je suis sûr que les Françaises et les Français ne se laisseront pas abuser une nouvelle fois par l’Europe dont vous avez parlé les uns et les autres. Je prendrais un seul exemple. On a évoqué tout à l’heure la semaine de trente-cinq heures. Monsieur Helmut Schmidt a fait un discours récemment pour dire, il faut les trente-cinq heures. Tout le monde veut les trente-cinq heures, mais on cache aux Français que le représentant des syndicats allemands au récent colloque du Parti Socialiste a fait la déclaration suivante : Cette question des trente-cinq heures, nous devons y renoncer expressément pour les cinq années à venir. Et ce représentant allemand a ajouté : N’oublions pas qu’il y a quand même une marge entre l’adoption de résolutions verbales et leur concrétisation sur le tas. Au fond, vous abusez les Françaises et les Français une nouvelle fois, alors que l’enjeu du 10, je le répète, est extrêmement grave, parce qu’il y va de la vie et de l’avenir de nos travailleurs, de nos ouvriers, de nos paysans, de nos intellectuels. Il y va de notre souveraineté, de notre indépendance, de la liberté d’action de la France, c’est ça l’enjeu du vote le 10 juin. Et il y a un parti qui lutte fermement sur des positions que j’ai essayé d’exprimer le plus clairement possible, c’est le Parti Communiste Français. Et nous ne sommes pas négatifs, nous voulons l’Europe du progrès social, nous voulons l’Europe de la coopération, nous voulons l’Europe de l’indépendance, nous voulons l’Europe de la paix et nous soumettons aux électeurs vingt propositions concrètes. Par conséquent, nous sommes fermement opposés à la liquidation de ce qui nous est le plus cher, de ce pourquoi des générations ont lutté pendant des siècles et des siècles ; et nous proposons des mesures constructives allant dans le sens des intérêts du peuple et de la Nation. C’était ma conclusion.
Jean-Pierre Elkabbach
François Mitterrand.
François Mitterrand
Quand Jean Lorrain, député socialiste de Moselle, a présenté et soutenu devant la Commission de l’Assemblée Européenne le projet de réduction du temps de travail hebdomadaire à trente-cinq heures, les représentants communistes ont voté contre. Politique intérieure, comment les Français…
Georges Marchais
Parce que vous avez approuvé le plan d’Avignon, c’est pour ça que nous avons voté contre les trente-cinq…
Jean-Pierre Elkabbach
Georges Marchais, le débat est terminé, nous passons aux conclusions.
Georges Marchais
Oui, mais cette accusation n’est pas…
Jean-Pierre Elkabbach
Nous en sommes aux conclusions, Georges Marchais.
François Mitterrand
Comment les Français…
Georges Marchais
Vous, vous avez approuvé le plan d’Avignon et nous, nous avons voté contre et c’est pourquoi nous nous sommes opposés aux trente cinq heures comme mesure, vous ne pouvez pas empêcher la liquidation de la sidérurgie.
Jean-Pierre Elkabbach
Ne recommençons pas, Monsieur Marchais, laissez conclure Monsieur Mitterrand.
Georges Marchais
C’était une mise au point, je ne le coupais pas !
Jean-Pierre Elkabbach
Vous ne coupez plus maintenant. Monsieur Mitterrand, s’il vous plaît.
François Mitterrand
Deuxième observation, comment les Français pourraient-ils voter pour les candidats de Monsieur Barre, je veux dire les candidats figurant sur la liste de Madame Veil, et leur confier le soin de faire en Europe la politique dont l’échec est si grave en France, chômage, inflation, insécurité, inégalité. Politique extérieure, le lien est évident. Et puisqu’il s’agit de faire l’Europe, que personne ne veut la quitter, alors, cherchons à mieux comprendre les réalités historiques, géographiques, culturelles, ce qui a fait tant de siècles et ces peuples en commun qui se sont déchirés, comment vont-ils vivre maintenant ensemble, c’est le problème. Un socialiste répondra à cette question en disant : Il faut d’abord un nouveau modèle de civilisation et cela commence par la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, par le changement des structures de l’économie, par le changement des modes de production. À partir de là, un homme nouveau pourra vivre en liberté dans l’Europe, mais une autre Europe.