Serge July évoque Le Coup d'Etat permanent

25 juin 1993
09m 56s
Réf. 00261

Notice

Résumé :
Serge July, invité par Bernard Pivot dans son émission Bouillon de Culture, présente la réédition du Coup d'État permanent de François Mitterrand, essai à charge contre le général de Gaulle publié en 1964.
Type de média :
Date de diffusion :
25 juin 1993
Source :

Éclairage

Après avoir animé de janvier 1975 à juin 1990 Apostrophes, célèbre émission télévisée sur l'actualité littéraire, le journaliste Bernard Pivot présente Bouillon de Culture de janvier 1991 à juin 2001, émission télévisée hebdomadaire a priori plus généraliste. Dans le numéro du 25 juin 1993 de Bouillon de Culture, sur Antenne 2, Serge July, directeur du quotidien Libération, est invité par Bernard Pivot à parler de la toute récente réédition, en collection de poche 10/18, du livre de François Mitterrand Le Coup d'État permanent. Paru chez Plon (l'éditeur historique du général de Gaulle) en mai 1964 dans la collection « Les débats de notre temps », Le Coup d'État permanent, plus qu'un essai, est un pamphlet, avec ce que le genre implique de violence dans le verbe (et de mauvaise foi ?).

L'objet de cette diatribe ? Le général de Gaulle, les conditions de son retour au pouvoir en  mai 1958 et l'usage que celui-ci fait, en tant que président de la République, des institutions de la Cinquième République mises en place par ses soins. Si le général de Gaulle se faisait une certaine idée de la France, François Mitterrand se faisait une certaine idée du général de Gaulle. « J'appelle le régime gaulliste dictature parce que, tout compte fait, c'est à cela qu'il ressemble le plus » écrit François Mitterrand. « Tout compte fait » : s'agit-il là d'un règlement de compte ?

Les deux hommes, que plus d'un quart de siècle sépare, se sont trouvés quatre fois l'un en face de l'autre. Début décembre 1943 à Alger, d'où s'organise la Résistance, fin août 1944 et début juin 1945 dans un Paris libéré et convalescent, enfin le 31 mai 1958, à Paris toujours, au chevet de la Quatrième République agonisante. À chaque fois le cadet, qui brûle d'y entrer à son tour, refusera de se soumettre à l'aîné, déjà entré dans l'Histoire [1].

Mais en 1964, alors que se profile pour la fin 1965 l'élection du président de la République au suffrage universel, il s'agit pour François Mitterrand, avec Le Coup d'État permanent,  de se définir, au milieu d'une opposition irrésolue et désorganisée, comme un opposant irréductible au régime en place. Dans un style superbe et mordant, n'hésitant pas à convoquer, dès la couverture, Chateaubriand (« la liberté peut regarder la gloire en face »), l'auteur marque les esprits, notamment les esprits de la classe politique. À la fin de l'été 1965, François Mitterrand est ainsi désigné candidat unique de la gauche à l'élection présidentielle, et n'y est battu par le général de Gaulle que par 55 contre 45 %.

Le Coup d'État permanent fait alors l'objet, fin 1965, d'une première réédition, en poche 10/18. D'autres suivront par la suite, en 1984, en 1993 donc, ainsi qu'en 2010. François Mitterrand dédicaçait en 1964 son livre « Un livre de combat qui peut être aussi un acte d'espérance » … À juste titre.

[1] Est-ce en pensant à cette incompréhension que François Mitterrand écrira dans La Paille et le Grain paru en 1975, évoquant, admiratif, le général de Gaulle présidant en août 1944 l'embryon de gouvernement provisoire auquel il appartenait en tant que secrétaire général aux prisonniers de guerre : « Parfois je me demande pourquoi cette heure ne m'a pas lié davantage à celui dont je recevais pareille leçon » ?
Philippe Babé

Transcription

Bernard Pivot
Serge July, Le Coup d’État permanent de François Mitterrand est paru en 1964 chez Plon et puis, donc juste avant la première élection présidentielle, puis, il a été réédité en 84, alors qu’il était Président de la République parce qu’il y avait eu une édition pirate, chez Julliard, il a été réédité dans la collection 10-18. Puis, ça a été épuisé en quelques mois,
Serge July
On a eu du mal à le trouver, oui.
Bernard Pivot
On a eu du mal à le trouver et puis maintenant donc, François Mitterrand a donné l’autorisation de le rééditer
Serge July
Et il est paru, c’est un hasard, il est paru le 18 juin.
Bernard Pivot
Il est paru le 18 juin.
Serge July
De cette année.
Bernard Pivot
Oui, et dans la collection 10-18.
Serge July
Le hasard fait bien les choses.
Bernard Pivot
Oui, d’abord, est-ce que vous pensez qu’il avait raison de…
Serge July
Ah non, c’est un pamphlet outrancier, il dit des choses terribles sur Mitterrand…
Bernard Pivot
Sur De Gaulle !
Serge July
Sur De Gaulle, d’ailleurs le lapsus est étonnant !
Bernard Pivot
Quel lapsus !
Serge July
Non, il n’est pas étonnant, parce que c’est un miroir. Mitterrand, on peut le lire en miroir, on peut le lire en miroir.
Jean Dutourd
C’est d’ailleurs l’impression qu’il fait maintenant.
Serge July
On croit lire des choses sur Mitterrand, je vais vous dire. "Le génie du Général de Gaulle est essentiellement empirique, parfois il précède l’événement, juin 40, il fallait une belle sûreté de jugement pour prédire la défaite allemande, le plus souvent, il le rattrape. La passion de gouverner lui tient lieu d’intuition politique. Ce qu’il a mis quinze ans à ne pas comprendre, la décolonisation, le fait chinois, l’Europe, obstiné qu’il était à porter des coups à la Quatrième République, le pouvoir le lui a vite enseigné. Et si de Gaulle exploite l’événement, il ne le crée pas. Voilà une évidence qui devrait convaincre ses adversaires que le sort des batailles ne dépendait pas de lui, il saute dans les trains qui partent". Beaucoup de détracteurs de Mitterrand disent absolument ça de lui aujourd’hui.
Jean Dutourd
Oui, sauf que les trains dans lesquels il saute ne partent pas.
(Bruit)
Serge July
En l’occurrence, ils ont pris des trains qui étaient parallèles. Ce qui est intéressant, il faut le resituer dans son contexte. Son contexte, c’est la relation, ce qui est passionnant dans, il y a une relation entre les deux hommes, ou une non-relation qui est passionnante entre De Gaulle et Mitterrand. Ça ne marche pas d’emblée. Non, Mitterrand est chef d’un mouvement de la résistance, il va à Alger. À Alger, on lui demande d’adhérer immédiatement à la France Libre, il dit non tout de suite et au bout de quinze jours on lui conseille quand même, c’est mieux si il veut pouvoir rencontrer le Général, bon, donc il adhère. Il part à Alger et le 2 décembre 43, il rencontre de Gaulle. Et ça se passe horriblement mal d’emblée. Parce que de Gaulle lui dit, il faut fusionner ces mouvements de prisonniers là, ça, ça fait désordre, et puis, on va mettre ça sous la houlette d’un des leaders de la résistance, enfin voilà, il faut vous soumettre. Et si vous ne le faites pas là, on va vous faire beaucoup de difficultés. Donc Mitterrand, d’une certaine manière, l’envoie balader de manière assez insolente, une sorte de Julien Sorel insolent et mal élevé. Donc ça se passe mal et d’ailleurs, ça se passe mal après, c’est-à-dire, il a énormément de mal à quitter Alger pour rentrer à Londres, et que finalement, il passe chez Joséphine Baker d’ailleurs qui était à Rama à ce moment-là. Il repart à Londres, il revient en France, il fait l’unification des mouvements de prisonniers, mouvements de résistance de prisonniers, dont il devient le patron de telle sorte d’ailleurs qu’en 44, de Gaulle le nomme parmi les quinze qui sont commissaires du gouvernement provisoire, sous la houlette de Parodi. De Gaulle arrive fin du mois d’août, fin du mois d’août, se passe ce qui s’est passé d’habitude entre Mitterrand et de Gaulle, de Gaulle le congédie. Donc il n’est pas ministre, il n’est pas gardé comme ministre, il y en a trois qui sont gardés dans le gouvernement provisoire, pas lui. Or après, ça continue comme ça. On pourrait raconter ça, on ne finit pas, quand Henri Fresnay lui soumet la liste pour les Compagnons de la Libération, le premier nom que radie de Gaulle : Mitterrand.
Bernard Pivot
Bref, c’était toujours comme ça !
Serge July
Ça n’a pas arrêté. Oui, mais tout ça gonfle d’une certaine manière, je vais très vite. 58, au mois d’avril 58, Mitterrand est quelqu’un qui attend d’être nommé Président du conseil. Son tour arrive, ça venait à tout le monde, son tour arrive.
Jean Dutourd
Il était Garde des Sceaux et c’était la dernière étape.
Serge July
Et on attendait, il allait être évidemment Président du conseil. De Gaulle lui vole évidemment la présidence du conseil, ça se passe mai 58. Mai 58, il y a une réunion, je crois, qui a lieu je crois le 31 mai 58 à l’Assemblée, je crois que c’était à l’Assemblée, où de Gaulle a réuni tous les chefs politiques sauf les communistes. Eh bien, ça se passe comme ça s’est passé en 43, le seul évidemment qui dit non, non, non à de Gaulle et qui parle de pronunciamiento, c’est Mitterrand, voilà, d’emblée ! Alors après, eh bien, arrive, arrive ce qui arrive, 59, l’Observatoire, la petite manipulation de l’Observatoire. Les Gaullistes se déchaînent absolument contre lui, Debré demande la levée de l’immunité parlementaire, il l’obtient. À ce moment-là, Mitterrand est Sénateur de la Nièvre, la levée de l’immunité parlementaire est votée, donc par l’ensemble des Gaullistes et une partie des centristes et une partie des socialistes. Et puis, je veux dire, il se retrouve donc... c’est un homme mort. Mauriac dira, le grand cerf est aux abois. Et c’est cet homme donc qui est, levée de l’immunité parlementaire dans une époque, celle du début des années 60, on n’a pas accès aux médias. Mitterrand, personne ne l’avait jamais vu à la télévision, ça n’existe pas. La télévision, il n’y a que les Gaullistes, donc c’est entièrement contrôlé, je veux dire, c’est impensable même vu d’aujourd’hui. Donc, c’est dans cette atmosphère-là, en plus avec l’OAS, etc. , dans cette atmosphère que de Gaulle prend l’initiative, donc 62, de l’élection au suffrage universel et il y en a un seul, d’une certaine manière qui, sur l’échiquier politique, a l’intuition que c’est évidemment l’élément central, l’élément décisif et futur, y compris pour l’avenir, c’est sans doute Mitterrand. En tous cas, à Gauche, personne n’a compris. Il a cette intuition, dès 62, il dit, on a plein de témoignages sur le fait qu’il sera candidat, dès 63, il le dit à ses amis de club. Le club des jacobins et puis la ligue du Mouvement Républicain pour la défense de la République, de petits clubs tous petits, etc. Il leur dit, il sera candidat, et en 63, il se met à écrire ça. Et il écrit un livre qui est un pamphlet d’une violence incroyable et le meilleur livre de Mitterrand.
Bernard Pivot
Parlons du style !
Serge July
Il a du style, il a un style, c’est un style de grand pamphlétaire, on en a un avec nous, mais c’est un grand pamphlet. Permettez, c'est écrit, ce qui est drôle dans le jeu de miroir entre les deux, c’est que d’une certaine manière, c’est écrit en pensant à Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe vis-à-vis de Bonaparte et Hugo écrivant sur Napoléon le petit. Voilà il a les deux références en tête, on est en plein XIXe au niveau du style, et il dénonce qui ? Un homme qu’il juge être un homme du XIXe et donc, il y a un effet de miroir qui est, je trouve, assez étonnant dans…
Bernard Pivot
Est-ce que vous êtes d’accord, Jean Dutourd pour…
Jean Dutourd
Oui, ce n’est pas mal écrit, mais je trouve que ça manque de mouvement. C’est un style qui me…
Bernard Pivot
Aller regardez moi un peu dans les yeux, c’est bien écrit quand même !
Jean Dutourd
Oui, ce n’est pas mal écrit, bien sûr, il n’y a pas de faute de français, d’accord.
Bernard Pivot
Non, non, je ne parle pas de ça !
Serge July
Et sur les imparfaits du subjonctif, là, vous êtes servi.
Jean Dutourd
Non, non, non, c’était bien, c’est bien
Bernard Pivot
Vous ne trouvez pas quand même qu’il y a de la méchanceté, qu’il y a de la virulence…
Jean Dutourd
Je vais vous dire, j’ai re-parcouru un peu, je l’avais lu il y a un moment ce bouquin. Je l’ai re-parcouru et j’ai eu une impression extrêmement bizarre. J’ai eu l’impression d’une autobiographie où il s’appellerait de Gaulle.
Bernard Pivot
Bernard Brochand, vous l’avez lu aussi ?
Bernard Brochand
Oui je l’ai lu et je l’ai relu d’ailleurs,
Jean Dutourd
Il parle de lui en s’appelant de Gaulle.
Bernard Brochand
Je l’ai relu et j’ai trouvé d’abord un style formidable, un polémiste extraordinaire, et il n’y a pas de faute de français, mais il y a plus que ça je crois quand même. Et en plus, c’est vrai que plus il parle, plus il ressemble à de Gaulle et plus on sent qu’il va prendre cette constitution et il va se la faire sienne, quoi. Il la critique mais c’est tellement bien pour lui qu’après, ça tombe tout naturellement et il devient le de Gaulle, en effet, du Coup d’Etat permanent .
Serge July
Alors si vous permettez, on voit bien évidemment l’outrance qui est faite,
Bernard Pivot
Il l’appelle le dictateur, de Gaulle.
Serge July
Il l’appelle le dictateur tout le temps et il dit, je vous fais une concession, si vous voulez, c’est un podestat. Mais je vous dis, vous me contestez. Si jamais il y a les gens, ça ne supporte pas le mot dictature,
Bernard Brochand
Pachalik, pachalik !
Serge July
Pachalik, donc, vous savez qu’il y a une phrase que cite souvent Mitterrand, il dit souvent en gros d’une certaine manière, c’est l’usage de la constitution qui est en question. Or, il y a une phrase dans ce livre qui dit le contraire, "l’abus ne réside pas dans l’usage qu’il fait de son pouvoir, mais dans la nature même de ce pouvoir". Et d’une certaine manière, c’est ça le changement évidemment fondamental.
Bernard Pivot
Eh bien non, mais c’est un ouvrage tout à fait intéressant, mais je pense qu’il va avoir beaucoup de succès aujourd’hui, parce qu’à la fois les gens qui aiment Mitterrand, les gens qui ne l’aiment pas vont se jeter sur ce livre.
Serge July
Et les gens qui aiment de Gaulle !
Bernard Brochand
Oui, c’est ça, moi je l’ai relu en aimant beaucoup de Gaulle, je l’ai trouvé formidable.
Serge July
Là où c’est le plus pertinent, pour finir, c’est évidemment sur tout ce qui concerne les libertés publiques. Mais il y a même chose, une chose qu’on pourrait dire un peu dans le même esprit de ce que nous avons dit, c’est quand il parle du cabinet noir de De Gaulle. Donc la police parallèle, le contrôle de toutes les polices, etc. Ca fait quand même beaucoup penser à la cellule élyséenne. Même là-dessus, alors même si ça n’a pas pris sans doute la même ampleur, mais enfin, en tout cas, il y a des éléments de ressemblance qui sont troublants.
Bernard Pivot
Oui, alors Jean Dutourd,