Raymond Barre et François Mitterrand à propos du Programme commun de la gauche

12 mai 1977
05m 14s
Réf. 00181

Notice

Résumé :
Raymond Barre et François Mitterrand débattent. Le premier cherche à mettre en difficulté le second lorsqu’il évoque ses relations avec le Parti communiste.
Type de média :
Date de diffusion :
12 mai 1977
Source :
TF1 (Collection: L'événement )

Éclairage

Raymond Barre est chef du gouvernement depuis un an lorsqu’il débat avec François Mitterrand à la télévision, à moins d’un an des prochaines élections législatives. Celles-ci donnent l’espoir à la gauche de l’emporter, après avoir été majoritaire en nombre de voix au dernier scrutin municipal deux mois plus tôt.

Bien que mal à l’aise à la télévision encore à cette période, François Mitterrand s’attend à ce que Raymond Barre le soit davantage, comme l’explique l’historien Christian Delporte dans une anthologie des débats politiques à la télévision [1]. Mais Raymond Barre se révèle être un tacticien hors pair et ce, malgré son positionnement anti « politique politicienne ».

Dans cet extrait, Raymond Barre appui sur un point sensible : le Programme commun de l’Union de la gauche. Le Parti communiste, bien décidé à ne pas se laisser distancier par ses alliés socialistes vient de publier son chiffrage du Programme commun et se montre intransigeant sur des points de débats entre les deux partis : les nationalisations, la politique extérieure ou la politique de défense. En difficulté dans son propre camp – la majorité est divisée, à l’image des relations dégradées entre le Président et son ancien Premier ministre Jacques Chirac –, et dans une stratégie bien lisible, le Premier ministre joue sur celles qui se dessinent dans le camp adverse.

[1] Delporte Christian, 2012, Les grands débats politiques. Ces émissions qui ont fait l’opinion, Paris, Flammarion, 445 p.
Léa Pawelski

Transcription

Raymond Barre
Je ne voudrais pas tenir des propos discourtois à votre endroit mais j’ai l’impression qu’ils n’ont pas été gentils avec vous. Car publier un tel document comme cela, c’était, comme dit d’ailleurs un de vos communiqués, créer de l’émotion, mais une émotion particulière puisque ça a réussi à faire remonter la bourse hier.
François Mitterrand
Eh bien, il en fallait beaucoup, hein !
Raymond Barre
Oui, mais voyez-vous, ça a été une aide inespérée, une aide inespérée.
François Mitterrand
Là, votre aller-retour sur les plus-values n’avait pas suffi hein !
Raymond Barre
Une, mais non, mais, eh oui, je reconnais, c’est la preuve….
François Mitterrand
Car vous, l’homme, l’homme du courage inaltérable, votre histoire des plus-values n’est pas…
Raymond Barre
Là preuve, c’est la preuve que c’est….
François Mitterrand
Et la bourse, elle avait bien besoin de nous, je crois !
Raymond Barre
La preuve que c’est que ce n’est pas tant les plus-values, c’était l’ombre portée du programme commun. Là, cela a paru tellement extraordinaire que les gens se sont remis à espérer en une issue qui ne serait point fatale pour la bourse. Mais c’est une question sur laquelle je passe. Mais je voudrais vous dire que maintenant, il me semble que le Parti communiste a bien joué. Car de deux choses l’une, ou bien vous acceptez le chiffrage qui correspond à un certain nombre de mesures qui ont été annoncés, qui sont alléchantes : le SMIG à 2200 Francs, la revalorisation des allocations familiales de 50%, et j’en passe, je cite seulement ces deux mesures et puis, ou vous acceptez ou vous refusez. Alors, si vous refusez, vous êtes débordé, car vous avez dans les, la population, dans un bon nombre de milieux, soulevé de grands espoirs. Ou bien vous acceptez, à ce moment-là, vous avez mis le doigt dans l’engrenage, et vous y passez tout entier, c’est là le problème.
François Mitterrand
Je vous remercie de vos conseils !
Raymond Barre
Ce ne sont pas des conseils, je me pose le problème, vraiment, quand j’ai lu ce document, je me suis dit, cela va certainement gêner Monsieur Mitterrand.
François Mitterrand
Ça vous a fait de la peine !
Raymond Barre
Non, pas, j’ai dit cela comme un Français, vous savez qu’il y a un document et qui se dit : mais qu’est-ce qu’il va se passer ? Comment pourra-t-il répondre ? Est-ce qu’il dit non, ou est-ce qu’il dit oui ?
François Mitterrand
Vous savez, c’est très simple. Le chiffrage proposé par le Parti communiste, qui correspond donc au programme que propose ce parti et non pas le programme commun tel qu’il est, bien entendu que c’est et que ce sera non !
Raymond Barre
Alors, vous dites non !
François Mitterrand
Comment pouvez-vous…. Mais bien entendu ! Comment pouvez-vous imaginer une seconde que je suis prêt à m’associer à l’application d’un programme qui ne serait pas le programme commun de la Gauche, qui le déborderait de toute part, alors que le programme commun de Gauche exige déjà beaucoup, puisqu’il conviendra de non seulement, de relancer l’économie française mais de tenter de réparer vos fautes.
Raymond Barre
C’est très intéressant, c’est très intéressant !
François Mitterrand
Comment voulez-vous, comment voulez-vous que j’accepte de sortir du contrat que j’ai signé et qui m’engage ? Je n’ai absolument pas l’intention de sortir de ce contrat ! De telle sorte que lorsque vous me dites oui ou non, je répète, je n’ai pas de langage, et je dirai bien aussi mardi prochain, ce que je dis ce soir, ce jeudi soir, à Georges Marchais, ce que je vous dis à vous Premier ministre. Et si je voulais entrer dans cette discussion davantage, je vous dirais : Mais heureusement qu’il y a un grand Parti socialiste, heureusement qu’il y a un grand Parti socialiste ! Et ce grand Parti socialiste est là, d’abord, pour développer, donner toutes ses chances à l’Union de la Gauche. Parce qu’on peut disputer autour d’un chiffrage du programme commun, on peut discuter de tout ce que l’on voudra, mais ce qui est important pour nous, c’est d’arriver à rassembler ces millions et ces millions de gens, d’arriver à rassembler tous ces travailleurs opprimés depuis si longtemps, qui sont les victimes de votre plan d’austérité – on n’en a pas encore parlé et ça aurait dû être le premier sujet de conversation – qui sont à l’heure actuelle mis au chômage par votre politique. Il est donc absolument nécessaire que nous réalisions, que nous maintenions, que nous développions l’Union de la Gauche.
Raymond Barre
Ne détournez pas la conversation !
François Mitterrand
Et là-dessus, notre stratégie n’est pas près de changer. Mais voyez-vous, pour cela, il faut à la fois parler clair, montrer que les choix que l’on fait ne sont pas à la merci de n’importe quelle manoeuvre, opération ou même de n’importe quelle volonté du partenaire que l’on a choisi et que l’on respecte ; et voilà pourquoi, je n’ai aucune peine à vous répondre comme je le fais. Sinon que oui, heureusement qu’il y a un grand Parti socialiste qui peut donner aux espérances de la Gauche, à sa formidable volonté d’être enfin ce qu’elle doit être ; c’est-à-dire la majorité de la France, capable de gouverner, d’imprimer ses directions, de ne pas être simplement dominée par des groupes de privilégiés. Le Parti socialiste a besoin de répondre à cela, mais en même temps, il a besoin de dire, eh oui, il y a un certain nombre d’obligations, il y a un certain nombre de réalités qui nous sont imposées, on n’a pas le droit de les bousculer en faisant n’importe quel programme et en chiffrant n’importe quoi !
Raymond Barre
Autrement dit, non je pensais….