La politique audiovisuelle de François Mitterrand
Présentation
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le paysage audiovisuel français connaît de profondes mutations. L’accélération des innovations technologiques, l’importance croissante de la mondialisation et les nouvelles aspirations de la société française transforment profondément le monde audiovisuel dans tous ses secteurs : fin de l’hégémonie du cinéma, explosion du nombre de canaux de radiodiffusion, multiplication des canaux de diffusion de l’image et développement d’un secteur audiovisuel privé en France (Olivier Alexandre, « l’exception audiovisuelle française », Critique, 2012).
Au cours de ses deux septennats, François Mitterrand œuvre à la mise en place d’une politique audiovisuelle innovante et cohérente voire organique entre les différents médias. Sa ligne directrice peut être résumée par la recherche d’une exception audiovisuelle française, qui est le cœur de l’exception culturelle française formulée par Jack Lang.
La politique de François Mitterrand pour le cinéma
Les liens entre François Mitterrand et le cinéma sont autant personnels que politiques. Il appartient par sa proche famille au monde du cinéma : son beau-frère est l’acteur Roger Hanin, sa belle-sœur est la productrice Christine Gouze-Rénal et son neveu est le documentariste et animateur de télévision Frédéric Mitterrand. Ses liens politiques avec le cinéma sont plus distendus. En 1949, il inaugure en tant que secrétaire d’Etat à l’information le nouveau palais des festivals de Cannes.
Il faut attendre 1980 pour que François Mitterrand renoue avec les enjeux politiques du cinéma. Sensible aux questions économiques de cette industrie et intéressé par l’image prestigieuse que renvoie ce médium, François Mitterrand demande à Jack Lang d’organiser les assises du cinéma européen à Hyères. Cet événement permet d’établir des propositions innovantes afin de renforcer l’industrie du cinéma qui connaît un déclin commercial lié à la baisse des revenus de l’exploitation des films en salle. Cette politique est mise en place selon quatre axes : le renforcement du rôle de l’Etat, l’amélioration des relations entre le cinéma et la télévision, des modifications des systèmes d’aides, le contrôle du prix des places (JF Polo, « la politique cinématographique de Jack Lang », Politix, 61, 2003).
Après 1981, François Mitterrand maintient et accroit le rôle de l’Etat dans ce domaine malgré un contexte politique international de libéralisation économique. La formule « d’exception culturelle » sert alors d’étendard au président français afin de sortir les industries culturelles des accords de libres échanges du GATT. François Mitterrand dénonce la domination américaine et refuse que les « lois implacables du capitalisme multinational » s’appliquent au secteur culturel. La France obtient satisfaction devant la Cour de justice des Communautés Européennes et entreprend de diffuser ce modèle en Europe. Alors qu’en Angleterre et en l’Allemagne, l’économie de la production audiovisuelle se déplace du cinéma vers la télévision, la France emprunte un chemin inverse, consolidant le tissu industriel cinématographique au détriment de la fiction télévisuelle.
Le succès de cette politique cinématographique repose sur la création d’un lien organique entre cinéma et télévision (Olivier Alexandre, « l’exception audiovisuelle française », Critique, 2012). Sous la houlette de René Bonnell, « Monsieur Cinéma » de Canal +, de nouveaux accords de financement sont signés entre l’industrie du cinéma et la nouvelle chaine en 1984. Ils actent la diffusion de 300 films par an sur la chaine cryptée, diffusables 12 mois après leur sortie en salle afin de préserver l’économie des salles. En contrepartie, Canal+ consacre 9% de son chiffre d’affaire au seul cinéma français. Une réforme du système des aides est également mis en place : réorientation des aides vers le cinéma grand public, augmentation des sommes allouées aux premiers films, aux films « art et essai » et aux courts métrages.
La politique de François Mitterrand pour la radiodiffusion
A la fin des années 1970, la radiodiffusion connaît d’importants changements. La miniaturisation des émetteurs en modulation de fréquence (FM), la chute du monopole de la radiodiffusion en Italie et le bouillonnement intellectuel au sein de la société française d’après Mai 1968, conduit de nombreux français à tenter l’expérience de la radiodiffusion locale. Les premiers usagers de ces émetteurs sont des militants (les écologistes de Radio Verte Fessenheim, les anarchistes de Radio Trottoir) ou des passionnés (Radio Ivre, la radio du reggae à Paris). Ces expérimentations sont une violation du monopole d’Etat sur la radiodiffusion et le gouvernement réprime les contrevenants (brouillages, saisies, amendes). En 1979, François Mitterrand lance à son tour une radio libre, Radio Riposte, afin de dénoncer, avec succès, le raidissement du pouvoir giscardien.
Interruption d'une émission de Radio Riposte, radio libre du PS
Après son élection, François Mitterrand confie le dossier des radios libres au ministre de la Communication, Georges Fillioud, un ancien journaliste d’Europe 1. Le ministre est dépassé par l’ampleur du phénomène : des milliers de radios se créent dans l’euphorie de Mai 1981. Cependant, le spectre de la FM, notamment dans les grandes métropoles, est saturé. La loi du 9 novembre 1981 met fin au monopole. Mais il faut désormais organiser et rendre audible le paysage radiophonique existant. Georges Fillioud doit partager ses prérogatives avec la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle instituée par la loi du 29 juillet 1982.
La relation houleuse entre les deux institutions complique la gestion du dossier face à des radio-libristes très organisés et certains de la leur légitimité économique (NRJ) ou politique (Radio Libertaire). L’attribution opaque des dérogations par la Haute Autorité conduise à la saisie de radios militantes incapables de faire du lobbying (Radio Vo-Ka, Radio Mouvance). Seule Radio Libertaire survit à sa saisie. Les radios commerciales se développent à toute vitesse malgré l’interdiction de la publicité sur les ondes. Cette interdiction était le résultat du lobbying de la presse quotidien régionale, soucieuse de préserver la manne publicitaire locale. Cependant, en avril 1984, François Mitterrand prend unilatéralement la décision d’autoriser la publicité sur les radios libres.
Les radios qui refusent la publicité bénéficient en échange, d’un fond d’aide (FSER). C’est la « ruée vers l’hertz » pour les annonceurs publicitaires. Les radios commerciales se dotent alors d’émetteurs surpuissants qui brouillent les autres radios libres et mêmes les radios publiques. La Haute Autorité suspend plusieurs radios, dont NRJ, qui organise alors une manifestation à Paris, réunissant de nombreuses célébrités et plusieurs centaines de milliers de jeunes. François Mitterrand demande alors la suspension des sanctions et brise définitivement la crédibilité de la Haute Autorité, dont la mission était pourtant de préserver les médias de toute intervention du pouvoir exécutif. Les radios commerciales poursuivent alors leur développement et se constituent en réseau grâce aux rachats en dehors de toute législation de fréquences locales en province.
Le long chantier de régulation du foisonnement des radios libres par le pouvoir socialiste laisse un sentiment d’amertume chez de nombreux acteurs des négociations. Cependant, l’apparition de radios capitalistes en FM n’a pas complètement empêché le maintien et la structuration d’un paysage radiophonique associatif et militant unique en Europe. Le mécanisme du fond de soutien permet encore aujourd’hui à plus de 600 radios de diffuser leurs émissions et d’assurer une communication de proximité. Enfin, cet épisode des radios libres a eu pour effet de préparer les Français à la fin du monopole d’Etat sur la télévision.
La politique de François Mitterrand pour la télévision
Dans la seconde moitié du XXe siècle, la télévision devient le principal média de masse en France. François Mitterrand participe à son installation en France en tant que secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil chargé de l’information entre 1948 à 1949 : il fait le choix d’un format d’image à 819 lignes.
Un pari technique et industriel: la haute définition pour la télévision française naissante
La télévision devient un objet de consommation courant et s’implante dans tous les ménages. Elle connaît d’importants changements sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (démantèlement de l’ORTF, passage en couleur de la première chaine en 1975). Lors de ses deux septennats, François Mitterrand poursuit le développement de la télévision notamment grâce à la constitution d’un secteur privé.
François Mitterrand donne le feu vert à la télévision privée
Après avoir tenté d’organiser le divorce entre le pouvoir exécutif et les médias avec la création d’une Haute Autorité (qui avait le pouvoir de nommer les directeurs de chaines), François Mitterrand garde pour lui seul la capacité de créer des chaines de télévision privées. Il confie à son ami André Rousselet, directeur d’HAVAS, le soin de préparer le projet d’une chaine cryptée à péage : Canal+. Fort de ce succès commercial et à la veille des législatives de 1986, François Mitterrand cherche à gagner en popularité grâce à la mise en place à marche forcée de deux nouvelles chaines privées : la Cinq et TV6. Après plusieurs mois de polémiques, François Mitterrand maintient l’attribution de la Cinq au groupe Seydoux-Berlusconi. TV6 est confiée au groupe Publicis/Gaumont/NRJ/Gilbert Gross. Dans le même temps, conscient du besoin d’une « contreprogrammation » face à la course à l’audience que se livre les nouvelles chaines privées, le gouvernement Fabius crée la Société d’Edition de Programme de Télévision (la SEPT).
Cependant, François Mitterrand ne parvient pas à éviter l’échec des législatives. C’est le début de la cohabitation. Jacques Chirac et la nouvelle majorité de droite annulent les attributions des deux chaines. La Cinq est reprise par un nouveau groupe Hersant-Berlusconi et TV6 est confiée à la Compagnie Luxembourgeoise de Télévision. Le gouvernement de Jacques Chirac organise la privatisation surprise de TF1 et instaure la Commission Nationale de la Communication et des Libertés (CNCL) en lieu et place de la Haute Autorité.
Après 1988, François Mitterrand réforme de nouveau le monde de l’audiovisuel. Il enterre la CNCL, en pleine tourmente judiciaire, et crée le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Il étend les prérogatives de la SEPT qui devient ARTE en 1992. Cette même année, une loi confie à l’Ina le dépôt légal des productions audiovisuelles et l’Inathèque ouvre ses portes aux chercheurs au sein de la BNF-François Mitterrand.