François Mitterrand défend sa politique télévisuelle

21 novembre 1985
13m 57s
Réf. 00276

Notice

Résumé :
François Mitterrand défend sa politique dans le domaine de la télévision (créations de chaînes, du choix du groupe Seydoux-Berlusconi, de la maîtrise du progrès technique, du succès de Canal+)
Date de diffusion :
21 novembre 1985

Éclairage

Le 21 novembre 1985, François Mitterrand tient une conférence de presse pour défendre sa politique dans le domaine de la télévision. Au cours ce son premier septennat, le petit écran connaît un important renouvellement qui inquiète les professionnels du secteur, notamment en ce qui concerne l'attribution de la Cinq. A droite, l'opposition annonce qu'elle annulera la concession si elle revient au pouvoir. A gauche, les milieux professionnels et artistiques sont très inquiets: ils perçoivent les faibles obligations imposées à la Cinq comme un manquement brutal à la politique de soutien à la production française. La Société des Auteurs et des Compositeurs Dramatiques (SACD), le Bureau de Liaison des Industries Cinématographiques (BLIC) et le groupe CLT (RTL) écartés par le choix discrétionnaire dans l'attribution de la chaîne déposent des recours devant le Conseil d'Etat.

Afin de dégonfler la polémique à quatre mois des élections législatives de 1986, François Mitterrand organise une conférence de presse. Il rappelle les importantes réformes entreprises dans le secteur (création de chaînes locales, de Canal+, de deux chaînes privées, d'un programme culturel européen). Il s'étend ensuite longuement sur l'attribution de la Cinq au groupe Seydoux-Berlusconi. Il rappelle que les capitaux de cette société sont à 60% français. Il prévient que le "déplorable exemple de la télévision italienne" (sic) ne peut être transposé en France car c'est, selon lui, l'absence de loi qui a provoqué le libéralisme sauvage dans l'audiovisuel italien, aujourd'hui dominé par Silvio Berlusconi. Il réaffirme l'autorité de l'État dans ce domaine et explique le cahier des charges imposé aux nouvelles chaînes (quota de diffusion des productions françaises, restrictions d'horaires de diffusion des films). Il explique sur le ton de la plaisanterie que c'est par pragmatisme économique qu'il a opté pour les capitaux de Berlusconi car la Cinq a besoin de 1,5 milliards d'euros pour être lancée. Il explique ensuite que cette alliance doit permettre une production européenne contre "l'invasion des produits américains et japonais" (sic). Mitterrand cherche absolument à empêcher l'installation du magnat australien Rupert Murdoch en France, associé au groupe luxembourgeois CLT.

Enfin, il critique la volonté du RPR de privatiser Antenne 2. Il évoque ainsi la possibilité d'une cohabitation à partir de mars 1986.
Félix Paties

Transcription

François Mitterrand
J’ai rappelé tout à l’heure la première décision que nous avons prise, celle de créer des chaînes locales, la loi est en discussion. Une deuxième décision, Canal+. Vous avez oublié Canal+ ? Ils vont atteindre sans doute 800000 abonnés à la fin de l’année, c’est une grande réussite. C’est peut-être l’une des plus grandes réussites dans l’audiovisuel depuis très longtemps, dans le monde. Mais pourtant, au moment où Canal+ a été décidé, ce procès était moins public que celui d’aujourd’hui, nous avons entendu les mêmes exprimer les mêmes choses, les mêmes réserves. Avant de recevoir les mêmes approbations, j’en attends tout autant cette fois-ci. Bon, troisième décision, je l’ai dit à l’instant mais c’est bon à comprendre, la création d’un programme éducatif et culturel européen pour lequel une dotation de 300 Francs a déjà été accordée. Une quatrième décision, la concession des deux chaînes privées, La Cinquième et le multi ville à dominance musicale, enfin, les quatre nouveaux canaux de satellite dont nous avons parlés. Ce qui veut dire qu’il y aura dans un an et demi 7 chaînes françaises, 7 chaînes. Donc, vous voyez les difficultés qu’on a eues avec la quatrième, celles le que nous avons aujourd’hui avec la cinquième. À quoi faut-il s’attendre lorsqu’on arrivera à la sixième. Et quand on aura la septième, faudra-t-il recommencer à mettre, c’est le cas de le dire, l’expression est très juste, le même disque et pourtant c’est comme ça que les choses vont se passer. Qui va s’en plaindre, le téléspectateur ? Le téléspectateur qui, avant même l’arrivée des câbles, aura la possibilité, en 1987, de disposer de 7 chaînes au lieu de n’en avoir que 3 hier ou 4 aujourd’hui ? Voilà ce que je voulais vous dire. Mais vous avez posé des questions, à peu près vous tous, ou du moins c’était contenu, sur le groupe qui a été, disons le gagnant de ce qui n’était pas une compétition, puisque finalement, il était le seul. C’est le groupe qui s’appellerait Seydoux Berlusconi, pour bien me faire comprendre, on a compris. Peut-être, certains d’entre vous auraient-ils préféré que j’inverse le nom des deux personnes. Mais non, je n’ai pas le droit de le faire parce que c’est une société où la majorité du capital est française, à 60 %. C’est donc une société de droit français à majorité capitale française, dont le Président-Directeur Général est français et dont le Directeur Général sera français. Pourquoi s’inquiète-t-on, et on s’inquiète à juste titre. Et je le dis vraiment amicalement à ceux qui m’ont posé la question, ils ont raison de s’interroger. Ces interrogations, croyez-moi, elles ont habité mon esprit. L’exemple italien, le déplorable exemple italien, eh bien, je vous le dirais, Mesdames et Messieurs, l’exemple italien, ce n’est pas Monsieur Untel ou Monsieur Untel, c’est une situation italienne, tout simplement, par le fait de la loi italienne, ou plutôt par l’absence de loi. C’est ce qu’on appellera, sans vouloir entrer dans la politique, le libéralisme sauvage. Il semble d’ailleurs, Mesdames et Messieurs, que je réclamais un certain accord sur les plans que j’ai cités, qu’ici alors, il y ait eu une unanimité contre le libéralisme sauvage. Mais le libéralisme proprement dit ne peut qu’être sauvage. En effet, qu’est-ce qui est arrivé à partir du moment où les ondes ont été livrées à tous ceux qui souhaitaient réussir, faire des spectacles, mais aussi gagner de l’argent ? Il fallait bien que quelqu’un gagne. Est-ce que dans une société libérale, celui qui gagne, c’est le pire justement, c’est celui qu’il ne fallait pas. Moi, je ne sais pas comment vous auriez décidé à la place si vous êtes libéraux. Il se trouve que c’est cette personnalité dont nous parlons qui a gagné dans cette course, qui était une course de la jungle. C’est le plus fort qui a gagné, ce n’est pas forcement le meilleur. Enfin, là-dessus, j’arrêterais la dissertation de caractère doctrinal. Pas de loi, vient qui veut, s’empare de l’opinion italienne qui veut, ou qui peut. Talent, argent, compétences, moyens. Mais la loi française n’est pas du tout la loi italienne et c’est là que j’aimerais, Mesdames et Messieurs, que vous aidiez l’opinion publique à mieux comprendre ce problème. Et je suis sûr que beaucoup d’entre vous le feront. Bien expliquée, toute la différence, elle n’est pas dans les personnes. Vous savez, à partir du moment où une chaîne comme cela, il faut mettre une mise immédiate sur la table, qui représente en fait un milliard et demi. 500 millions pour commencer, 500 millions pour demain matin, 500 millions aussitôt après. Avant de commencer à espérer avoir le moindre gain, toute réflexion, ça ne se trouve pas n’importe où, a priori, ce ne sont pas des ennemis du commerce qui se trouvent dans cette situation. Deuxièmement, il est rare de peser des socialistes à 1 milliard 500 millions de Francs au point de départ, c’est rare. Cessons cette mauvaise plaisanterie, ce sont des capitaux qui cherchent à se placer dans un domaine commercial et culturel, c’est leur affaire, ce n’est pas la mienne. La loi française, qu’est-ce qu’elle dit ? Mais il y a une loi de 1982, reportez-vous-y. Elle vous dira qu’on a protégé la production française pour développer la création. On a imposé des conditions, j’ai là toute une liste, je ne suis pas venu sans bagage. Je vous l’épargne quand même mais ce sont des munitions, à tout hasard. Pour comparer, les quotas de diffusion cinéma, puisque le cinéma est en cause, sur les chaînes publiques, à Canal+, et ce qui est prévu pour la cinquième chaîne. La seule différence, c’est-à-dire 60%, communauté européenne, 50% françaises. Même obligation dans les 5 ans qui viennent pour la cinquième chaîne et je suppose que ces obligations seront perpétuées sur les autres chaînes, je suppose. Auparavant, la moyenne est de 25%. Si aujourd’hui, une chaîne nouvelle voulait se munir de 50% de films français, il ne les trouverait pas. Les films français, comptons une moyenne de trois ans, ils sont déjà achetés. Ou si ce sont des coproductions, ils appartiennent aux coproducteurs, ils ne sont pas libres. Ce serait donc une chaîne sans programme français possible. On aurait dit, voici l’autorisation, mais vous ne pouvez pas vous en servir. Il faut qu’il ait le temps de monter en régime avant de se trouver un régime de croisière. C’est dans certains cas 3 ans, c’est dans certains cas 5 ans. De toute façon, ces 25% là, c’est un plus pour le marché du cinéma, ce n’est pas un moins. Ça s’ajoute à Canal+, ça s’ajoute aux trois chaînes du service public. Pour la diffusion dont je parle pour l’instant, cela doit être de 30% au bout de 3 ans, de 50% au bout de 5 ans, je tiens à le répéter pour être bien compris. Pour la production, les achats, je compte objectif 500 heures de programmes français par an à partir de la quatrième année, 250 heures de programmes français la troisième année, 50% du budget que cette chaîne consacré à des programmes français sur 5 ans. Et on retrouve des obligations qui ne sont même pas imposées aux chaînes précédentes. Quant au délai de passage à l’antenne des films, ce à quoi tient tant la profession du cinéma et je le comprends, elle est pour les chaînes publiques de 36 mois, vous le savez. Canal+, c’est 12 mois avec dérogation possible. Cette discussion a déjà eu lieu. Pendant ses premières années, ce sera 24 mois et le 1er mars 1990, ce sera 36 mois. Mêmes explications que précédemment dans la période initiale, il n’y a pas de piste d’envol s’il n’y a pas de marché disponible. Reste une dernière question qui est celle des grilles horaires, cette chaîne n’a pas reçu l’autorisation de diffuser des films autrement que les services publics, mercredi, vendredi, samedi, dimanche matin. C’est-à-dire que c’est la même législation que pour le service public et c’est plus sévère, beaucoup plus rigide que pour Canal+, voilà la réalité, Mesdames et Messieurs. Alors, pourquoi imaginerait-on que la culture française va sombrer ? Est-ce que vous avez vu des émissions dans le monde et en Europe, et même en France autres que celles du service public et y avez-vous constaté un formidable progrès culturel, l’absence de jeux, de distractions ? C’est vrai que la télévision commerciale incite à ne pas avoir la même qualité que les chaînes du service public, c’est ce qui fera la force de ces dernières, car elles sont bonnes et elles tiendront. Et le Gouvernement les aidera. Voilà, je n’ai rien d’autre à ajouter sur ce plan sinon que j’avais noté toujours que des questions m’ont été posées, je ne voudrais pas avoir l’inélégance de n’y ne pas répondre. C’est donc la question sur Monsieur Dumont, au moment de la dénationalisation, je n’ai pas très, très bien compris le sens de sa question, 40% dans une chaîne européenne, car si elle est française en tant que cinquième chaîne, elle est européenne sur le satellite. Et moi, je ne crois pas qu’il soit possible de résister à l’invasion des produits américains et japonais si l’on n’a pas dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, une production et une technologie européenne. C’est un choix européen, et là se trouve la ligne de barrage contre l’invasion extérieure. Bon, ce n’est pas une dénationalisation ça. C’est vrai que c’est une extension du domaine privé. Êtes-vous contre, Monsieur Dumont. Irréversible, vous qui vous exprimiez au nom de RMC, moi, je n’en sais rien, je suppose que si la majorité actuelle continue d’être majoritaire, comme cela est naturellement possible au-delà du mois de mars 1986, ce serait irréversible. Une autre majorité peut, en effet, s’offrir d’autres luxes, pas tout les luxes, mais d’autres luxes. Par exemple, comme cela est annoncé dans le programme d’un grand parti, la privatisation d’Antenne 2, c’est-à-dire, la vente généralement et prévisiblement à bas prix d’Antenne 2 à je ne sais qui, sans doute, sans doute un maître de la culture, un scrupuleux de l’information. Sans doute quelqu’un qui saura oublier à Antenne 2 qu’il s’agit de gagner des sous, ce serait pour moi une révélation. Mais enfin, c’est très bien comme ça. Voulez-vous que je vous dise ce que je pense, qui que ce soit qui sera candidat dans le domaine privé, c’est-à-dire commercial, procèdera de la même façon. Et la seule manière de l’empêcher, c’est d’avoir des contraintes légales, la liberté oui, mais la liberté dans le cadre d’une loi qui convient à l’intérêt de la Nation.