L'hôtel de l'Ermitage

02 février 2002
06m 24s
Réf. 00054

Notice

Résumé :

L'hôtel de l'Ermitage à Saint Nizier du Moucherotte a ouvert en 1959. Beaucoup d'artistes fréquentaient l'établissement, comme Brigitte Bardot, Luis Mariano ou Dalida. L'Ermitage était un hôtel de luxe, isolé de tout, avec vue sur les Alpes. Pour y accéder, une seule manière : la télécabine. Cette originalité a causé sa perte. Quand le vent souffle à plus de 60 kilomètres/heure, l'Ermitage est coupé du monde. Lassés, les clients désertent l'établissement qui ferme en 1975.

Type de média :
Date de diffusion :
02 février 2002
Source :

Éclairage

En juillet 2001, l'hôtel de l'Ermitage situé au sommet du Moucherotte dans le massif du Vercors (1901 mètres) est démoli. La destruction de l'édifice est l'occasion pour le magazine de Georges Pernoud, Faut pas rêver, de revenir sur « l'aventure » qu'a constitué cet « hôtel unique ». Après s'être attardés longuement sur la vue que l'on peut observer sur Grenoble et ses montagnes, caméras et journalistes suivent les pas des enfants et petits enfants du créateur Jean Zucchetta, ancien notaire à Aix-en-Provence, dans ce qui reste de la splendeur passée d'un hôtel fermé en 1975 et vandalisé depuis. On passe d'une pièce à l'autre au milieu des débris et des quelques meubles qui sont restés. Puis un plan sur ce qui reste du plafond nous replonge, grâce aux films de la famille, dans le passé, au Noël 1959 lorsque l'Ermitage ouvre ses portes, « après deux ans de travaux ». Multipliant clichés et films d'époque, le reportage s'attache à nous montrer le caractère luxueux d'un hôtel fort de « 26 chambres meublées chez des antiquaires (...) dotées de tout le confort moderne pour l'époque, téléphone, radio, moquette et même une salle de bain privée ». Luxueux, l'hôtel accueille des stars (Dalida, Luis Mariano, Charles Aznavour) et parfois les mêmes que celles qui font au même moment les belles heures de Saint Tropez. De multiples clichés indiquent ainsi que Brigitte Bardot et Roger Vadim sont venus tourner à l'hôtel de l'Ermitage en 1961, La bride sur le cou dont une partie de l'action se situe dans un palace aux sports d'hiver. Pour autant, d'après le fils du fondateur, Hubert Zucchetta, on viendrait ici chercher la « tranquillité », loin, semble-t-il, des lumières tropéziennes. Les photos de skieurs indiquent qu'on y pratiquait le ski – même s'il n'a jamais pu se monter une véritable station - mais d'autres clichés, plus nombreux, laissent aussi penser qu'il s'agit sans doute avant tout de privilégier « la réflexion ou la contemplation », voire le farniente sur une terrasse en s'extasiant sur la beauté du paysage. Ce luxe a été rendu possible par la construction d'une télécabine – à laquelle on donne le nom de « téléférique» (1) peut-être parce que ce moyen de transport plus ancien rassurait davantage les clients – qui financé sur des fonds personnels, s'inscrit dans un moment qui voit se faire jour les grands aménagements en montagne et dans un temps qui célèbre à l'envi l'innovation et le progrès technique. A ce titre, la réalisation d'un téléphérique et d'un hôtel n'est pas sans rappeler que le même type d'installations est réalisé en 1934 pour le Mont Veyrier dans le bassin annécien (1291 mètres d'altitude). Ce téléphérique abandonné depuis 1984 est démoli en 2001. C'est sur le compte de l'isolement provoqué par la montagne faute d'une véritable route d'accès que le reportage met l'échec de l'Ermitage. Mais s'agit-il d'une simple question de vent ? L'hôtel de l'Ermitage s'inscrit aussi dans un moment du tourisme, les années 1950-1960, qui en montagne, en hiver, est encore majoritairement le fait d'une clientèle aisée. Le plan sur la course de trail donne la mesure du changement. Dans les années 1970, le tourisme en montagne, en été comme en hiver, n'est plus un tourisme de luxe. Il s'est massifié. Il privilégie la pratique sportive et la performance, le culte du corps ou le plaisir de la découverte d'une nature qui ne serait plus « souillée » comme elle avait pu l'être dans les années 1960. Le reportage n'aborde pas cette question des changements du tourisme, pas plus qu'il n'aborde réellement la question environnementale. Sans doute s'agit-il davantage, à travers ces longs plans sur une famille qui regarde émue ces films sur son passé commun, de privilégier une perspective patrimoniale. En témoigne aussi l'insistance du commentaire comme des images pour dire que Grenoble va perdre « son phare ».

(1) Le mot est orthographié ainsi dans les images d'archives du reportage.

Isabelle Gaillard

Transcription

(Musique)
Journaliste
Il y a 50 ans, le parapente n’existait pas. Et si un notaire d’Aix-en-Provence s’est intéressé alors au Moucherotte, c’est pour une toute autre raison, construire sous cet emplacement unique, un hôtel, lui aussi unique, l’Ermitage.
(Bruit)
Journaliste
Aujourd’hui, le panorama n’a pas changé mais la sentinelle muette, à laquelle Hubert Zucchetta rend visite, ne ressemble plus que de loin au rêve de son père.
(Bruit)
Hubert Zucchetta
Le temps a passé, mais les vandales aussi. Il aimait le goût du risque, et il avait relevé le défi de l’hôtel, parce que pour lui, c’était, ça devait être une chose qui était…, que devaient apprécier les gens. Parce que quand même, construire un hôtel comme ça à 2000 mètres d’altitude, c’était un exploit, et pour lui, il était fier de cet exploit.
Chantal Zucchetta
Là c’était la….
Hubert Zucchetta
C’était la réception.
Chantal Zucchetta
La réception,
Hubert Zucchetta
La réception avec Henri Desvignes et…,
Chantal Zucchetta
Je me rappelle qu’Henri avait un superbe aquarium, là, oui, tout à fait. Les vues sur le Vercors, la salle à manger, bien sûr.
(Musique)
Journaliste
Noël 59, après deux ans de travaux, l’Ermitage ouvre ses portes. Le plafond, peint par le célèbre décorateur Wakhévitch, fait sensation.
(Musique)
Hubert Zucchetta
Beaucoup de gens se disaient mais qu’est-ce qu’il peut y avoir là haut ? Et par curiosité on venait. On venait et on faisait une rentrée à l’Ermitage pour savoir comment c’était, qu’est-ce que c’était, qu’est-ce que c’était, comment c’était beau, pourquoi c’était, ça existait ?
(Musique)
Journaliste
Les 26 chambres de grand luxe, meublées chez les antiquaires, sont dotées de tout le confort moderne pour l’époque : téléphone, radio, moquette et même salle de bain privée.
(Musique)
Journaliste
Dans cette bulle, placée au-dessus d’un monde réel, se presse une clientèle privilégiée, surprise de trouver un tel équipement si loin et si près de Grenoble.
(Musique)
Journaliste
Ainsi naît la légende de l’Ermitage, ce lieu hors du temps, de réflexion et de contemplation, comme le voyait le père d’Hubert.
(Bruit)
Hubert Zucchetta
On arrivait là, on n’était pas suivi par personne, un homme d’Etat a dû monter, ou fait monter sa famille, mais disons qu’ils étaient là pour trouver une tranquillité ; et ils savaient qu’on n’était pas sur, on ne les dérangerait pas. Les artistes, c’était pareil, ils venaient là pour ne pas avoir de paparazzis qui leur demandent des autographes, et disons qu’on avait fait une concession, un peu fermée, pour que ce soit réservé aux clients, que de l’hôtel.
(Musique)
Journaliste
Ces artistes, ce sont Dalida, Mariano, Aznavour, et surtout Brigitte Bardot.
(Musique)
Journaliste
Le tournage de La bride sur le cou élève l’Ermitage au rang de mythe, surtout que la star y reste bloquée à cause du vent ; un détail qui aura plus tard son importance.
(Musique)
Journaliste
Si l’hôtel est aussi isolé, c’est qu’il n’y a qu’un seul moyen pour y accéder, la télécabine. Un ascenseur de luxe construit uniquement et spécialement pour ce nid d’aigle, sans aucune aide publique, par le père d’Hubert et de Chantal.
(Bruit)
Chantal Zucchetta
Les cabines avaient été faites sur des petits modèles de calèches en fait, anciennes.
(Bruit)
Chantal Zucchetta
On mettait 13 minutes exactement pour monter.
(Bruit)
Chantal Zucchetta
Il ne fallait pas que le vent aille plus que 12 mètres secondes. Alors, tu vois, quand il y avait du vent et que la cabine bougeait, elle sortait complètement, c’est rigolo ! Mais en fait, ce n’était pas dangereux, du reste, il n’y a jamais eu d’accident.
(Bruit)
Chantal Zucchetta
Tous les meubles ont été montés par le téléphérique, des choses importantes comme les moteurs, quand même ! Rien, simplement que les congélateurs, c’est énorme hein, un congélateur ; les frigidaires, la cuisinière, tout, tout, tous les matériaux de l’hôtel ont été montés par le téléphérique. Le téléphérique marchait pendant deux ans je crois, ou je ne sais plus exactement, pour construire cet hôtel.
(Bruit)
Chantal Zucchetta
Alors, c’était une vie comme sur un navire, c’est-à-dire qu’on pouvait être complètement isolé du reste du monde, lorsque le vent soufflait trop fort et qu’on ne pouvait pas utiliser le téléphérique. Donc, à partir de ce moment-là, il se créait quand même des liens très importants entre tous les individus, et on pouvait être isolés, jamais plus qu’un ou deux jours, hein, pas plus ! Parce que les tempêtes, ce n’est quand même pas l’Himalaya, mais en fait, oui, c’était important.
(Musique)
Journaliste
Ce n’est pas l’Himalaya, et pourtant, c’est ce vent qui va causer la perte de l’hôtel. Lassés d’être bloqués, les clients désertent le navire sans voiles. Une route permanente d’accès aurait pu le sauver, mais sa construction est refusée. En 1975, l’Ermitage ferme ses portes.