Portrait de l'alpiniste Chantal Mauduit

07 mars 1993
05m 17s
Réf. 00122

Notice

Résumé :

Portrait de l'alpiniste Chantal Mauduit, une des rares femmes à avoir dépassé les 8000 mètres et grimpé le K2 en solitaire et sans oxygène. Chantal Mauduit revient sur son parcours et les sensations qu'elle éprouve à grimper sans oxygène.

Type de média :
Date de diffusion :
07 mars 1993
Source :
FR3 (Collection: 3 partout )
Personnalité(s) :

Éclairage

Émis dans le cadre du magazine 3 Partout (1), ce reportage présente le parcours de l'alpiniste Chantal Mauduit. Diffusé le 7 mars 1993, soit deux semaines avant son départ pour l'Everest, ce portrait offre l'occasion de découvrir une pratiquante de haut niveau dans un domaine très masculin. Le présentateur qui lance la séquence marque par ailleurs cette différence des sexes en soulignant que cette championne est d'abord une « charmante jeune fille ». Malgré son exploit l'ayant amené à gravir le deuxième sommet le plus haut du monde et reconnu par la communauté des alpinistes comme le plus difficile (le K2) en 1992, elle est d'abord appréhendée par l'intermédiaire des attributs sociaux attachés généralement à la féminité telle que la beauté.

Le premier plan donne le ton du reportage en présentant cette alpiniste de haut niveau comme une femme banale. Débouchant d'une place pavée, avec en arrière-plan un salon de thé, elle apparaît détendue lors d'une promenade sans que l'on puisse discerner un quelconque talent d'ascensionniste. La musique accentue l'impression de légèreté affirmée par un sourire affichée qui offre l'occasion d'un premier commentaire insistant sur sa discrétion. Au moment où celui-ci souligne que Chantal Mauduit « pénètre par le grand escalier dans le club très privé des femmes à plus de 8000 mètres », elle entre dans une librairie et feuillette un ouvrage. Le contraste entre l'exploit et l'image est ici à son comble et témoigne d'une certaine forme de distance à son égard. S'il est rappelé que les professionnels ont salué cette ascension en solitaire et sans oxygène, aucune image ne vient soutenir le propos comme c'est le cas pour des reportages mettant en scène des hommes. Il faut attendre la fin du premier tiers pour voir le reportage esquisser son contexte d'exercice. Mais c'est seulement après la première moitié de celui-ci que le téléspectateur la voit commencer à gravir une pente enneigée. En compagnie de personnes âgées, elle prend, probablement le train du mont Blanc, soulignant là encore une forme de normalité qui rend proche un exploit inaccessible pour le plus grand nombre. Le commentateur rappelle ses origines parisiennes qui ne la prédestinaient pas à devenir une alpiniste. Les gros plans comme les voix d'enfants appelant leur maman insistent sur son caractère féminin auquel elle ne peut échapper dessinant une forme d'essentialisation de ses comportements. Si elle a été formée par le Club alpin français (CAF) et a acquis une technicité de haut niveau, c'est d'abord pour emprunter des itinéraires dont seule la beauté semble en baliser les intérêts. Les images sur lesquelles on la voit se déplacer sur des terrains de déclivité faible à moyenne ne permettent pas de mesurer les difficultés auxquelles elle se confronte (Andes, Himalaya, etc.). Son militantisme pour les droits de l'homme et du citoyen, qui renvoie à un engagement social considéré par le sens commun plus « naturel » pour les femmes que pour les hommes, renforce son statut d'individu ordinaire relayant les stéréotypes d'une féminité qui détermine ses choix. L'éthique qui structure son rapport à la pratique insiste sur les valeurs auxquelles elle est attachée considérant que la conquête des sommets doit être portée par des principes. Au moment où la compétition paraît prendre le pas sur l'aventure dans le milieu de l'alpinisme, cette position peut s'avérer discordante mais acceptable car défendue par une femme. La mise en exergue des sens et du ressenti dans son discours au détriment de la douleur ou du dépassement de soi contribue là aussi à asseoir les stéréotypes de la féminité.

Classique pour une femme, cette mise en scène s'avère beaucoup plus rare, voire inexistante, pour les hommes dont les exploits sont perceptibles par l'image qui vise à montrer leurs capacités à dominer les éléments.

Après sept tentatives pour réaliser l'ascension de l'Everest, elle atteint son sommet en 1995. Chantal Mauduit décèdera le 13 mai 1998 sur les pentes du Dhaulagiri au Népal.

(1)Magazine sur l'actualité sportive diffusé en direct tous les dimanches en fin de matinée du 19 septembre 1992 au 19 juin 2011 depuis la station de Grenoble dans les 12 départements des régions Rhône Alpes Auvergne.

Michaël Attali

Transcription

silence
(silence)
Eric Vallet
Allez on ne quitte pas la montagne pour la partie, un petit peu, magazine de ce 3 partout . Je vous propose de faire une rencontre, une rencontre avec une charmante jeune fille, elle a 28 ans, elle s'appelle Chantal Mauduit. Son but, atteindre les sommets, l'an passé, elle a déjà frappé un grand coup en gravissant le K2, l'un des plus hauts sommets himalayens, en solo et sans oxygène. Cette année, à partir du 20 mars, elle remet ça, elle repart en expédition, cette fois son but sera ni plus ni moins que l'Everest. Alors Chantal Mauduit elle grimpe, je vous l'ai dit, en solo et sans oxygène, car c'est en quelque sorte une puriste de la montagne une alpiniste sans artifice. C'est en tout cas ce qu'elle a confiée à notre équipe qui est allé la rencontrer chez elle, aux Houches, dans le massif du Mont Blanc.
musique
(musique)
Jérôme Didier
Son parcours avait plutôt été marqué jusqu'à l'année dernière par la discrétion. Mais le 3 août 92, Chantal Mauduit pénètre par le grand escalier dans le club très privé des femmes à plus de 8000 mètres. Ce jour là Chantal atteint sans oxygène et en solitaire le point culminant du K2, 8611 mètres. L'exploit est salué par les professionnels, la savoyarde est la seule femme vivante à avoir posé les pieds au sommet. Chantal Mauduit voit le jour à l'ombre de la butte Montmartre il y a 28 ans, c'est sur cette voie très fréquentée qu'elle fait ses premiers pas, c'est déjà un signe. Mais pour raisons professionnelles, les Mauduit quitte la capitale pour Chambéry, c'est son premier camp de base dans les Alpes, elle vient d'avoir 5 ans.
Chantal Mauduit
Quand on est enfant et qu'on se promène en moyenne montagne et qu'on voit le Mont Blanc à l'horizon, bon bien c'est, on a envie d'aller là-haut, parce que c'est le plus haut sommet de l'Europe, qu'il est beau, c'est euh, un peu une montagne qu'un enfant pourrait dessiner.
bruit
(bruit)
Chantal Mauduit
J'ai commencé à grimper, j'ai fait un stage avec le CAF, puis, petit à petit, j'ai eu envie de gravir des sommets dans les Alpes par des voies techniques, tout naturellement, parce ce que c'étaient des itinéraires très jolis.
bruit
(bruit)
Chantal Mauduit
Petit à petit en fait j'ai grimpé un peu toutes les grandes classiques des Alpes, la face nord des Grandes Jorasses, la Meije, la face nord de la Meije, puis les sud des Ecrins, la Devies-Gervasutti à Aile froide, etc.]
musique
(musique)
Chantal Mauduit
J'ai gravi pas mal de sommets dans les Alpes, ensuite je suis allé dans les Andes et puis bon le point de mire pour les alpinistes c'est quand même l'Himalaya, c'est une autre dimension, c'est vraiment grandiose. J'ai été sélectionné par la Fédération Française de la Montagne et de l'Escalade comme alpiniste de haut niveau et donc on est partis au Canada sur des cascades de glaces gigantesques. Et donc là en fait je me suis rendue compte que je pouvais profiter de mes capacités physiques pour aller découvrir l'Himalaya et donc là c'était vraiment un choix de vie après. Vivre de la passion de la montagne pleinement, allez découvrir d'autres horizons.
Jérôme Didier
Militante acharnée pour les droits de l'homme et du citoyen, Chantal figure tout naturellement au sein de l'expédition française envoyée dans l'Himalaya en 89 en pour la célébration du bicentenaire de la révolution. Après deux échecs en 90 et 91 sur le toit du monde, le rêve se réalise enfin en 92 le K2 en solo et sans oxygène.
Chantal Mauduit
Grimper sans oxygène, en fait, c'est mon éthique, je suis assez puriste. Je me disais, si je n'étais pas capable d'aller à 8600, ce n'était pas grave, ça voulait dire que, bon, je pouvais grimper jusqu'à 8400 sans oxygène et pas plus haut j'aurais fait demi tour, c'est une éthique. Une façon d'aborder la montagne avec harmonie. Ne pas venir avec, avec des artifices et je pense c'est aussi une chance quand on grimpe sans oxygène on est un petit peu sur une autre planète et au niveau émotionnel, c'est vraiment très fort et quand on grimpe avec oxygène, je pense qu'on doit manquer ces moments très forts, très intenses où que ça soit au niveau visuel ou auditif, on a tous les sens qui sont exacerbés c'est vraiment des moments vraiment privilégiés. Rien que pour ça, je pense que ça vaut le coup de grimper sans oxygène.
musique
(musique)
Chantal Mauduit
Moi je voudrais gravir l'Everest sans oxygène, parce qu'il n'y a actuellement aucune femme qui l'ait fait, c'est un beau challenge.