Cordée de touristes
Notice
Gravure d'Yves Robida publiée dans La Vie Parisienne et provenant du fonds iconographique du Musée dauphinois.
Éclairage
« Moi qui voulais faire du paysage, moi dont le rêve était de dessiner des arbres et des maisons, je fus amené par le hasard à crayonner des bonhommes comiques » ; tels sont les propos prêtés à Yves Robida (1848-1926), caricaturiste venu à cet art par ennui dans des études le destinant au notariat. En 1866, c'est une période faste pour la caricature ; il a alors 18 ans et commence à donner des dessins pour le journal dirigé par Eugène Philipon (Le journal amusant). Il publie dans de nombreuses revues (1) dont La Vie Parisienne, affirmant progressivement son style, avant de fonder son propre journal La Caricature, en 1880 (2), hebdomadaire illustré qu'il dirige pendant 12 ans, éditant des noms célèbres comme Caran d'Ache, Job, Maurice Radiguet... ; un journal qu'il voulait « politique, satirique, drolatique, prophétique, atmosphérique et littéraire ». Souvent comparé à Jules Verne par son intérêt à se projeter dans l'avenir, il propose des thèmes anticipant les transformations sociales comme le tourisme de masse, la pollution, l'affirmation (si ce n'est leur émancipation) des femmes... Il est surtout un dessinateur prolifique (plus de 60.000 dessins tant caricatures que dessins, Eaux-fortes et lithographies) et un auteur fécond : il publie plus de 60 ouvrages. Il se spécialise dans l'illustration des guides touristiques et celle des ouvrages littéraires et artistiques (Villon, Cervantès, Balzac entre autres) complétant sa production principale la caricature. Plus intéressé par la satire sociale que politique, il se spécialise dans l'information et la caricature du monde du spectacle. Par son style original, prolixe et critique, choisissant l'ironie comme support de sa satire, il propose une lecture divertissante en textes et en images de la société urbaine et bourgeoise.
Celle intitulée "La cordée de touristes", a été publiée dans La Vie Parisienne (3), cet hebdomadaire illustré de 16 pages, dont le sous–titre indique qu'il est dédié aux « mœurs, élégantes, échos du jour, fantaisies, voyages, théâtres, musiques, monde ». Appartenant à un ensemble Mon voyage en Suisse, cette gravure parodie les touristes qui découvrent la montagne, sans pour autant abandonner leurs habitudes urbaines et surtout parisiennes (voir dans cette même série le dessin intitulé la Parisienne). Ici le côté burlesque tient à l'inadéquation des attitudes et des postures de ces touristes. D'abord leurs habits. Véritables costumes de carnaval, y compris pour un des hommes portant une sorte de kilt, ou encore tenues des femmes qui font penser aux « cocottes » des pièces de boulevard, avec leurs robes relevées laissant paraître des guêtres surmontant des chaussures fines, et leurs bibis à plumes d'où partent un large foulard décoratif et non protecteur vis à vis du vent et de la température. Ensuite leurs attitudes : manière de saisir le piolet, de marcher du 3ème personnage fortement ventru, et suffisance dans la posture du dernier personnage. Pourtant ces touristes ont l'équipement attendu pour participer à une cordée qui doit progresser sur un glacier : long piolet, corde, gourde, pantalons et guêtres, sacs, couvre-chefs. Mais ici, le glacier est plat, les sommets des montagnes lointains, comme un décor de théâtre où ces personnages jouent un rôle qui n'est pas fait pour eux, ne sachant utiliser l'équipement flambant neuf acquis pour jouer à l'alpiniste ; tout cela signe le touriste urbain que Robida se plaît à ridiculiser, sans distinction de genre. Il n'est pourtant pas très éloigné des photos prises à la même époque de ces mêmes catégories de touristes sur la mer de glace à Chamonix, en difficulté pour se mouvoir dans un environnement qui leur est étranger mais où il est de bon ton d'être allé. En montrant l'absurdité de ces comportements, Robida est sans le vouloir un porte parole des habitants des hautes vallées et rend visible leurs moqueries à l'encontre de ces touristes qui viennent en montagne en conquérants, considérant leurs habitants au mieux comme retardés, et le plus souvent comme des crétins. Par ses caricatures, Robida démontre que la réalité est plus complexe.
(1) Au total il aura collaboré à environ 70 revues.
(2) Ressuscitant le titre célèbre d'un autre journal satirique déjà de Philippon.
(3) Comme l'opéra bouffe éponyme, de Jacques Offenbach, vaudeville dont la première a eu lieu le 31 octobre 1866.
Pour aller plus loin :
- Baridon Laurent, Guédron Martial (2009) L'art et l'histoire de la caricature. Citadelles et Mazenod éditions.
- Grand Carteret John (1904) La montagne à travers les âges.
- Granet-Abisset Anne–Marie, Rigaux Dominique (2010) Images de soi, images de l'autre. Éditions de la MSH-Alpes.