Le remembrement en Vendée
18 juin 1972
10m 58s
Réf. 00045
Notice
Résumé :
A Mouchamps en Vendée, le remembrement suscite une vive opposition des exploitants agricoles, le bocage et son équilibre étant selon eux menacés. Ils estiment qu'il a été imposé sans concertation. L'ingénieur du Génie rural, en charge de l'organisation de ce remembrement, répond que celui-ci se fait à la demande des municipalités pour améliorer la rentabilité de parcelles.
Date de diffusion :
18 juin 1972
Source :
ORTF
(Collection:
La France défigurée
)
Personnalité(s) :
Lieux :
Éclairage
L’attachement viscéral de la paysannerie pour la terre est aussi ancien que l’agriculture elle-même ; en France, ce lien quasi charnel s’est institutionnalisé avec le démembrement de nombreux domaines nobiliaires lors de la Révolution et le code civil napoléonien qui a placé la propriété foncière au cœur de la transmission patrimoniale avec l’impératif des partages successoraux. Il suffit de relire Les paysans de Balzac pour mesurer ce qu’a pu être la « faim de terre » au cours de la première moitié du XIXe siècle lors de l’apogée de la pression démographique dans les campagnes. Cet amour passionnel pour la glèbe est encore au cœur de La parcelle 32 d’Ernest Pérochon, parue en 1922 et dont l’intrigue se situe aux confins de la Vendée et des Deux-Sèvres, qui rejoint l’analyse établie à la même époque par le géographe Michel Augé-Laribé dans Le paysan français après la guerre au sujet des conséquences du conflit mondial dans les campagnes. L’universitaire relevait un pic de mutations foncières enregistrées par les chambres notariales au sortir de la guerre du fait de la disparition sur les champs de bataille de milliers de chefs d’exploitations agricoles ou de fils d’agriculteurs qui auraient dû succéder à leur père. La concentration de la propriété foncière aura donc été une conséquence méconnue de la Grande Guerre.
En effet, entre l’avènement de la Troisième République et 1914, on ne peut qu’être frappé par la frilosité des parlementaires à légiférer pour favoriser un « rassemblement » des terres, soucieux de ne pas se mettre à dos l’électorat agricole massivement rallié à la République à condition qu’elle leur garantisse la jouissance de leurs biens. En outre, la promotion par les notables républicains de la polyculture familiale et l’adoption du protectionnisme n’ont pas contribué à placer l’agriculture sur la voie du progrès économique. Dans leur écrasante majorité, les exploitations agricoles françaises sont de petite dimension, fréquemment constituées par un assemblage de parcelles disjointes possédées en faire-valoir direct et parcelles en fermage voire en métayage. La mosaïque inextricable des propriétaires fonciers constitue indéniablement un frein au progrès, surtout pour l’adoption de méthodes culturales modernes alliant mécanisation et progrès de l’agronomie (chimie des engrais, semences sélectionnées,…).
Dans sa logique idéologique de prendre le contre-pied de la République et d’imiter les grandes opérations d’amendements de terres réalisées au cours des années 1930 dans l’Italie fasciste et dans l’Allemagne hitlérienne, le régime de Vichy promulgue le 9 mai 1941 une loi sur la réorganisation de la propriété foncière et le remembrement sous l’égide de Pierre Caziot, secrétaire d’Etat à l’Agriculture et ingénieur agronome de formation. Cette loi et son décret d’application de 1942 présentent un caractère autoritaire permettant de surmonter les tentatives d’obstruction des propriétaires fonciers récalcitrants et c’est sans doute cette efficacité qui explique que ces deux textes ne figurent pas parmi les actes juridiques du gouvernement de l’Etat français annulés par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) en 1944 et qu’ils continuent de nos jours à servir de matrice pour l’application de la politique du remembrement.
La politique de remembrement est véritablement lancée avec la loi instaurant les SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement régional) en 1960 portée par Henri Rochereau, le ministre de l’Agriculture du gouvernement de Michel Debré. Très vite, les opérations de remembrement débutent dans la France du Bassin Parisien où domine l’openfield et y rencontrent un indéniable succès car elles facilitent la constitution de grandes exploitations céréalières qui vont pouvoir basculer dans l’agriculture productiviste mécanisée. En revanche, le remembrement suscite une vive hostilité dans les régions à forte identité locale, dans les marges montagneuses, dans le pourtour méditerranéen et dans les pays de bocage tels que la Vendée qui appartient au vaste ensemble de la France de l’Ouest étudiée par le politologue André Siegfried dans sa célèbre étude de sociologie électorale de 1913.
Le reportage de 1972 tourné à Mouchamps dans le canton des Herbiers met en exergue la résistance au remembrement de grands propriétaires fonciers qui estiment que leurs domaines de 100 hectares et souvent bien davantage n’ont pas besoin d’être reconfigurés sous l’injonction de l’administration. Le duel est ici entre un authentique gentleman farmer à la tête de la contestation du bocage et l’ingénieur départemental du Génie Rural de Vendée qui incarne le fonctionnaire jacobin. Les arguments avancés par les propriétaires fonciers pour critiquer le remembrement (disparition des haies coupe-vent qui assèchent les sols et conduit à leur érosion, destruction du paysage traditionnel) sont balayés par le haut fonctionnaire qui avance la nécessité de percer de nouveaux chemins de desserte pour permettre l’accessibilité de toutes les parcelles aux engins agricoles et la réalisation de travaux hydrauliques favorisant le drainage ou de l’irrigation selon les secteurs.
Vingt ans après ce reportage tourné au cours des années Pompidou, d’autres documents audiovisuels datant des années 1990 indiquent qu’une prise de conscience s’est produite, que les erreurs flagrantes du remembrement dénoncées par ses détracteurs depuis les années 1960 ont porté leurs fruits. Le conseil départemental de la Vendée cherche désormais à sauvegarder les haies vives comme à Mouilleron-le-captif et demande à la SAFER et aux autres acteurs du remembrement de replanter de nouvelles haies comme à Nalliers pour redonner aux terres balayées par le vent de l’Atlantique une physionomie permettant au paysage de retrouver du charme et de limiter l’érosion.
En effet, entre l’avènement de la Troisième République et 1914, on ne peut qu’être frappé par la frilosité des parlementaires à légiférer pour favoriser un « rassemblement » des terres, soucieux de ne pas se mettre à dos l’électorat agricole massivement rallié à la République à condition qu’elle leur garantisse la jouissance de leurs biens. En outre, la promotion par les notables républicains de la polyculture familiale et l’adoption du protectionnisme n’ont pas contribué à placer l’agriculture sur la voie du progrès économique. Dans leur écrasante majorité, les exploitations agricoles françaises sont de petite dimension, fréquemment constituées par un assemblage de parcelles disjointes possédées en faire-valoir direct et parcelles en fermage voire en métayage. La mosaïque inextricable des propriétaires fonciers constitue indéniablement un frein au progrès, surtout pour l’adoption de méthodes culturales modernes alliant mécanisation et progrès de l’agronomie (chimie des engrais, semences sélectionnées,…).
Dans sa logique idéologique de prendre le contre-pied de la République et d’imiter les grandes opérations d’amendements de terres réalisées au cours des années 1930 dans l’Italie fasciste et dans l’Allemagne hitlérienne, le régime de Vichy promulgue le 9 mai 1941 une loi sur la réorganisation de la propriété foncière et le remembrement sous l’égide de Pierre Caziot, secrétaire d’Etat à l’Agriculture et ingénieur agronome de formation. Cette loi et son décret d’application de 1942 présentent un caractère autoritaire permettant de surmonter les tentatives d’obstruction des propriétaires fonciers récalcitrants et c’est sans doute cette efficacité qui explique que ces deux textes ne figurent pas parmi les actes juridiques du gouvernement de l’Etat français annulés par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) en 1944 et qu’ils continuent de nos jours à servir de matrice pour l’application de la politique du remembrement.
La politique de remembrement est véritablement lancée avec la loi instaurant les SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement régional) en 1960 portée par Henri Rochereau, le ministre de l’Agriculture du gouvernement de Michel Debré. Très vite, les opérations de remembrement débutent dans la France du Bassin Parisien où domine l’openfield et y rencontrent un indéniable succès car elles facilitent la constitution de grandes exploitations céréalières qui vont pouvoir basculer dans l’agriculture productiviste mécanisée. En revanche, le remembrement suscite une vive hostilité dans les régions à forte identité locale, dans les marges montagneuses, dans le pourtour méditerranéen et dans les pays de bocage tels que la Vendée qui appartient au vaste ensemble de la France de l’Ouest étudiée par le politologue André Siegfried dans sa célèbre étude de sociologie électorale de 1913.
Le reportage de 1972 tourné à Mouchamps dans le canton des Herbiers met en exergue la résistance au remembrement de grands propriétaires fonciers qui estiment que leurs domaines de 100 hectares et souvent bien davantage n’ont pas besoin d’être reconfigurés sous l’injonction de l’administration. Le duel est ici entre un authentique gentleman farmer à la tête de la contestation du bocage et l’ingénieur départemental du Génie Rural de Vendée qui incarne le fonctionnaire jacobin. Les arguments avancés par les propriétaires fonciers pour critiquer le remembrement (disparition des haies coupe-vent qui assèchent les sols et conduit à leur érosion, destruction du paysage traditionnel) sont balayés par le haut fonctionnaire qui avance la nécessité de percer de nouveaux chemins de desserte pour permettre l’accessibilité de toutes les parcelles aux engins agricoles et la réalisation de travaux hydrauliques favorisant le drainage ou de l’irrigation selon les secteurs.
Vingt ans après ce reportage tourné au cours des années Pompidou, d’autres documents audiovisuels datant des années 1990 indiquent qu’une prise de conscience s’est produite, que les erreurs flagrantes du remembrement dénoncées par ses détracteurs depuis les années 1960 ont porté leurs fruits. Le conseil départemental de la Vendée cherche désormais à sauvegarder les haies vives comme à Mouilleron-le-captif et demande à la SAFER et aux autres acteurs du remembrement de replanter de nouvelles haies comme à Nalliers pour redonner aux terres balayées par le vent de l’Atlantique une physionomie permettant au paysage de retrouver du charme et de limiter l’érosion.
Eric Kocher-Marboeuf