La tradition rurale en Vendée

01 avril 1965
04m 36s
Réf. 00122

Notice

Résumé :
Madame Bourand, 87 ans, habite Mouchamps. Elle témoigne ici de la vie qu'elle a vécu dans cette campagne du centre-Vendée. Elle revient sur son passage à l'école, le travail qu'elle faisait avant et depuis son mariage, et la famille qu'elle a fondée, tout en s'attardant sur la question de la pratique religieuse.
Type de média :
Date de diffusion :
01 avril 1965
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Éclairage

Dans les années 1960, la vie traditionnelle de la campagne dure encore, comme ce document le montre exemplairement. Après une brève scène de lavage dans la buanderie où le linge a été lavée à l’eau bouillante et est retiré pour le rinçage, rappelant des gestes que l’introduction de la machine à laver est en train de faire disparaître, l’entretien se poursuit avec Madame Bourand, née vers 1880. Dans une pièce où le lit côtoie la cheminée, c’est une paysannerie qui est évoquée en suivant le fil de cette vie longue de 87 ans. Après une très courte scolarité, Madame Bourand a été « placée » dès 11 ans, mariée à 20, elle a secondé son mari dans les travaux des champs, tout en ayant, comme elle le rappelle non sans malice, à veiller aux repas d’une famille nombreuse. Elle eut, en effet, huit enfants, nés et mariés dans la ferme, comme elle le dit elle-même, soulignant l’ancrage familial. Relevons toutefois qu’elle ne compte que vingt trois petits enfants, une trentaine au plus. Elle insiste aussi sur les relations qu’elle eut avec le curé de la paroisse l’obligeant à mettre ses quatre derniers enfants à l’école privée religieuse après que les quatre premiers eurent fréquenté l’école laïque (du régent comme elle le dit). En assurant que tous reçurent ainsi une bonne éducation, en se disant croyante, comme l’atteste la présence du crucifix au-dessus de la cheminée, elle témoigne d’une indépendance d’esprit qui ne lui fait certainement jamais défaut. Cette évocation de la vie traditionnelle de la paysannerie est ainsi marquée par la force de caractère de cette femme, au soir d’une vie laborieuse.
Jean-Clément Martin

Transcription

Journaliste
Les perdrix, comme le dit cette chanson, c’étaient les bleus pour les royalistes. Il y a 150 ans de cela. Et pourtant pour cette femme qui a toujours été domestique dans les fermes ou les châteaux, l’ancien temps n’est pas si loin.
bruit
(bruit)
Journaliste
Pour Madame Bourand, que vous allez entendre maintenant, c’est presque hier. Madame Bourand, quel âge avez-vous, s’il vous plaît ?
Madame Bourand
J’ai 87 ans, Monsieur.
Journaliste
Est-ce que vous voudriez nous dire quelle était votre vie quand vous étiez jeune fille ?
Madame Bourand
Ma vie, quand j’étais jeune fille, j’ai été à l’école jusqu’à l’âge de 11 ans et demi, et après, j’étais bonne.
Journaliste
A quel âge ?
Madame Bourand
J’étais bonne à 11 ans et demi, j’étais bonne. Oui, j’allais garder les moutons, oui, et après, à 20 ans, je me suis mariée. Oui, je me suis mariée en ferme, oui. Alors, à 20 ans, je me suis mariée, et puis, j’ai eu 8 enfants. Je les ai tous eus dans la même maison, tous mariés dans la même maison.
Journaliste
Avec tous ces enfants que vous avez eus, ça doit faire beaucoup de petits-enfants.
Madame Bourand
Eh oui, je vous dis, j’en ai une trentaine.
Journaliste
Mais des, des petits-enfants et des arrières petits-enfants ?
Madame Bourand
Des arrières petits avec les, alors oui, avec les, tout, les enfants, les arrières petits enfants.
Journaliste
Combien ça vous en fait ?
silence
(silence)
Madame Bourand
Attendez, je vous dis, ça m’en fait une trentaine.
Journaliste
Vous ne savez pas le nombre exact, quand même ?
Madame Bourand
Mais si, je sais bien le nombre exact, c’est là, me disait Claude. Il y en a cinq à Cholet, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize, j’ai 23 petits-enfants.
Journaliste
Vous-même, vous alliez travailler aux champs quand vous étiez jeune ?
Madame Bourand
Oh dame oui, oui.
Journaliste
Et les enfants pendant ce temps-là ?
Madame Bourand
J’allais travailler aux champs et quand je revenais, il ne fallait pas que je dis que je suis fatiguée hein, tout le monde voulait bien manger. Il fallait se dépêcher à arranger le repas, voilà ma vie.
Journaliste
Vous faisiez le même genre de travail que votre mari aux champs ?
Madame Bourand
Ben dame, bien des fois, bien des fois.
Journaliste
Même pour les travaux difficiles ?
Madame Bourand
Oh, il fallait charger les foins, en bien, je chargeais les foins, j’en ai chargé beaucoup, oui. Et les herbes de blé, ben, j’en ai chargé beaucoup aussi. Si bien que je suis aujourd’hui une femme usée, je ne peux plus travailler.
Journaliste
Et maintenant, Madame, comment vivez-vous, maintenant, aujourd’hui ?
Madame Bourand
Comment je vis, ben dame, aujourd’hui, je vis de mon allocation, mais il faut que je fasse attention,
Journaliste
Combien vous, combien vous avez d’argent par mois ?
Madame Bourand
Oh, par mois, je suis payée tous les trois mois, je ne suis point payée par mois, je suis payée tous les trois mois, oui.
Journaliste
Combien ?
Madame Bourand
Ben dame, 40 000, 40 200.
Journaliste
Ça vous suffit ?
Madame Bourand
Ah dame, il faut que ça me suffise, j’en ai pas plus, mais il faut que je ménage.
Journaliste
Est-ce que la religion a tenu une grande place dans votre vie ?
Madame Bourand
La religion, en ce moment, qu’est-ce que vous voulez, il y en a bien comme aujourd’hui, il y a deux côtés. Parce que moi, mes enfants, d’abord, il y a, les plus vieux ont été à l’école au Régent. Et après, alors, il y avait bien le curé qui était tellement exigeant, il ne voulait pas leur faire faire leur communion,
Journaliste
Pourquoi ?
Madame Bourand
A moins que je les change d’école.
Journaliste
Ah !
Madame Bourand
Alors, les derniers, j’étais obligée de les changer d’école, ça m’embêtait qu’ils ne faisaient pas leur petite fête, alors les derniers, j’étais obligée de les changer d’école. Mais les premiers, ils ont été à l’école, ils ont été aussi bien comme les autres.
Journaliste
Comment, vous voulez dire que le curé a voulu qu’ils changent d’école parce que ils n’étaient pas à l’école libre ?
Madame Bourand
Oui, il voulait les mettre, il ne voulait pas qu’ils aillent à l’école au Régent, il voulait qu’ils aillent tous à l’école libre.
Journaliste
Ah !
Madame Bourand
Alors oui, mais oui, mais moi, les plus vieux ont bien été à l’école au Régent, ils sont aussi bien comme les autres ! Oh oui, parce que c’est pas à l’école au Régent qu’on apprend des vilaines affaires plus qu’ailleurs.
Journaliste
L’école au Régent, c’est l’école laïque, vous voulez dire ?
Madame Bourand
Oui, c’est l’école laïque, ça.
Journaliste
Mais ça ne vous empêche pas d’être croyante.
Madame Bourand
Ça ne nous empêche pas d’être croyants, ça n’empêche pas les gens d’être croyants, très bien, ceux qui ont été à l’école laïque et les autres, ils sont aussi bien les uns comme les autres.