L'infirmière de Pétain

15 mai 1993
04m 50s
Réf. 00129

Notice

Résumé :
Violette Bolo témoigne. Elle fut à l'âge de 21 ans l'infirmière du maréchal Pétain sur l'Île d'Yeu, quand celui-ci y fut emprisonné à partir du 16 novembre 1945. Logé près du porche, au premier étage, l'homme de 90 ans était en bonne santé physique mais avait un mental fluctuant, oubliant parfois son statut de prisonnier.
Type de média :
Date de diffusion :
15 mai 1993
Source :
FR3 (Collection: En flânant... )
Personnalité(s) :

Éclairage

C’est dans la forteresse de l’île d’Yeu que le maréchal Pétain, chef de l’Etat français de 1940 à 1944, a été interné depuis sa condamnation à mort commuée en détention à perpétuité en 1945, jusqu’à sa mort en 1951. Sa tombe a été longtemps l’occasion de polémiques, la dépouille ayant même été dérobée un temps en 1973 par un commando souhaitant sa réhabilitation. Le témoignage donné en 1993 à Roger Gicquel par l’infirmière qui avait été alors chargée de l’assistance au maréchal évoque cet épisode marquant de l’histoire nationale.
Le fort est appelé de « Pierre-Levée » en souvenir d’un menhir marquant l’emplacement. Il a été bâti au milieu du XIXe siècle, remplaçant des fortifications antérieures. Servant de caserne, puis rapidement de prison, il avait été prévu pour loger quatre cents soldats et leurs officiers, avant de recevoir des prisonniers, notamment 282 élus et militants communistes internés en 1940.
Jean-Clément Martin

Transcription

musique
(musique)
Roger Gicquel
Voilà, la voilà la fameuse citadelle où fut enfermé le Maréchal Pétain à partir du 16 novembre 1945. Et je vais rencontrer ici une dame qui fut son infirmière à l’âge de 20 ans, elle avait 20 ans. Pendant quelques mois, elle fut son infirmière ici, en 1950. Voilà, au coeur de la citadelle, elle a logé dans la citadelle, et eh bien, voilà, elle est revenue sur les lieux de ce souvenir assez difficile pour elle, tout de même. Elle s’appelle Violette Bolo.
bruit
(bruit)
Roger Gicquel
Violette Bolo, bonjour. Alors, vous aviez 20 ans, vous aviez 20 ans.
Violette Bolo
21.
Roger Gicquel
21, alors comment ça s’est passé, vous avez été requise, requise, si j’ose dire ?
Violette Bolo
Voilà.
Roger Gicquel
Pour venir au chevet du Maréchal ?
Violette Bolo
J’étais à l’hôpital Broussais à Nantes, j’étais infirmière militaire.
Roger Gicquel
Lui logeait au premier étage, au-dessus du porche,
Violette Bolo
Au premier étage, au-dessus du porche, voilà.
Roger Gicquel
Et…
Violette Bolo
Et il était très bien.
Roger Gicquel
Quelle était sa santé, son état de santé à ce moment-là ?
Violette Bolo
Euh, très bonne, une très bonne santé. Il avait quand même plus de 90 ans, il avait 95 ans, je crois à ce moment-là, et il était extrêmement costaud, il était très droit, il portait 10 à 15 ans de moins que son âge.
Roger Gicquel
Oui ?
Violette Bolo
Physiquement.
Roger Gicquel
Le mental ?
Violette Bolo
Le mental, le matin ça allait à peu près, et l’après-midi, il perdait un peu les pédales, il ne savait plus très bien où il était.
Roger Gicquel
Est-ce qu’il savait qu’il était en prison ?
Violette Bolo
Oui, alors c’était le drame, ça, parce que par moments, il l’oubliait, parce que en fait, il était, c’était un petit, une petite unité, si vous voulez. On vivait en famille, si vous voulez, comme, avec la Maréchale qui venait le voir tous les jours. Mais alors là, ça allait. Et puis, tout d’un coup, alors de temps en temps, quand il faisait beau, on le promenait de, on le promenait dans la cour.
Roger Gicquel
Oui.
Violette Bolo
Comme il y a un escalier très raide, on le faisait, on le faisait tourner derrière descendre par ce chemin.
Roger Gicquel
Ah, d’accord, et il se promenait dans la cour, là !
Violette Bolo
Alors, il y avait, il se promenait dans la cour, alors moi, je lui donnais le bras, vous aviez un infirmier, une bonne soeur qui suivaient, parce qu’il fallait…
Roger Gicquel
Mais est-ce que vous aviez conscience d’être là avec le Maréchal, le…
Violette Bolo
Oui, mais…
Roger Gicquel
Le grand collaborateur ?
Violette Bolo
Mais oui, mais…
Roger Gicquel
L’homme condamné à mort et puis finalement condamné à la détention à perpétuité.
Violette Bolo
On oublie très vite quand on est, quand on vit ensemble.
Roger Gicquel
Pas de problème particulier, avec…
Violette Bolo
Aucun problème, aucun problème avec lui, le problème, le seul problème que j’ai eu, c’est quand il se promenait, justement dans la cour. Et il s’en allait, on essayait de l’orienter vers, pas en face de la porte, et alors, il voulait aller en face de la porte où y avait des gardes, des gardiens qui étaient là.
Roger Gicquel
Ah, il n’avait pas envie de partir, quand même !
Violette Bolo
Si !
Roger Gicquel
Ah oui ?
Violette Bolo
Il disait, ben maintenant, on sort. C’était rare mais ça arrivait.
Roger Gicquel
Oui ?
Violette Bolo
Alors on sort. Et alors comme il avait un caractère assez, il était très gentil mais c’était le Maréchal Pétain, il était, et il disait on sort. Alors, les gardes étaient au garde-à-vous, parce qu’ils ne pouvaient faire autrement devant un grand vieillard. Et alors, on sort, ben non, on ne sort pas.
Roger Gicquel
Non, on ne sort pas.
Violette Bolo
Et alors, j’ai demandé au directeur du fort, je lui ai dit, écoutez, quand il me dit ça, qu’est-ce que je fais ? Il m’avait dit, écoutez, vous évitez de lui dire qu’il est prisonnier mais quand vraiment il fait, il se débat, vous êtes obligée de lui dire. Alors, je lui disais, écoutez, enfin, une fois ça m’est arrivé, je lui ai dit, écoutez, Monsieur le Maréchal, vous ne pouvez pas sortir parce que vous êtes prisonnier. Alors, il a regardé ses pieds et puis il a dit, ah oui, c’est vrai, c’est vrai, rentrons. Là, je vous assure que ça faisait, alors il rentrait.
Roger Gicquel
Vous êtes allée sur sa tombe ?
Violette Bolo
Je suis allée une fois, oui. Il y avait, et à ce moment-là, je ne sais plus en quelle année, il y avait encore, elle était encore gardée, la tombe. Il y avait une petite cahute avec des, des gardes mobiles dedans. Parce que il ne fallait pas enlever non plus son cadavre.
Roger Gicquel
Ce qui a été le cas, d’ailleurs.
Violette Bolo
Ce qui a peut-être été le cas d’ailleurs.
Roger Gicquel
Ce qui a été le cas en…
Violette Bolo
Est-ce que ils l’ont fait vraiment ?
Roger Gicquel
Oui, oui, absolument, on a enlevé son corps en 1973 et c’est un commando qui est, qui est venu. Euh, oui, la nuit, le cercueil a disparu, on l’a retrouvé en région parisienne, il y a eu une enquête. Et puis, le corps du Maréchal Pétain a été réintégré dans l’île, au cimetière de Port-Joinville. Bon, le commando voulait soi-disant, enfin, il prétendait respecter les dernières volontés du Maréchal Pétain d’être enterré à Douaumont. Mais il a été pincé et le corps…
Violette Bolo
Je pense que si ça continue, alors, c’est ridicule. Parce que quand on est mort…
Roger Gicquel
Je suis bien de votre avis, merci, Violette Bolo.