Retour sur la Grève du lait

06 juillet 1982
03m 32s
Réf. 00266

Notice

Résumé :

Il y a dix ans éclatait la Grève du lait. Ce mouvement a ébranlé le monde agricole. Il avait pour origine la baisse du prix du lait à la production. Pendant deux mois, les paysans n'ont plus livré de lait aux coopératives laitières.

Date de diffusion :
06 juillet 1982
Source :
FR3 (Collection: Rennes soir )

Éclairage

Les années 1970 sont celles de la révolution fourragère (le maïs) et de la forte croissance de la production agricole : la production laitière bretonne double entre 1968 et 1982. C'est durant cette période que s'affirme un complexe agro-alimentaire puissant basé en grande partie sur la production laitière. Mais c'est aussi une période d'agitation professionnelle et d'éclatement syndical. La grève de 1972 en est une preuve.

Les éleveurs laitiers s'opposent depuis 1970 aux entreprises laitières afin d'exiger la définition du prix de revient du lait et le paiement au juste prix qui tiendrait compte du prix du travail. Le 23 mai 1972, 16 camions de collecte de lait sont interceptés par des groupes de paysans du Finistère.

Ce mouvement s'étend rapidement au Morbihan et à la Loire-Atlantique. Cette lutte est organisée par des forces syndicales nouvelles : les branches modernistes de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles), les paysans-travailleurs qui sont en dissidence. Celles ci participent ainsi au climat général d'occupation et de mobilisation ouvrière des années 70 comme, par exemple, la grève du Joint Français à Saint Brieuc. La grève du lait, basée sur des actions commandos, met en évidence la mobilisation des producteurs et l'éclatement du mouvement syndical agricole breton, lié à la remise en cause régionale des leaders traditionnels de la FNSEA qui défendent surtout les grandes exploitations. Deux leaders émergent, Bernard Lambert (qui milite à la Gauche Ouvrière Paysanne) et Bernard Thareau ( tendance PS).

Notons que cet épisode important qui, à l'image de la marche du Larzac en août 73, peut être lu comme un combat fondateur de la gauche paysanne, a été très peu couvert par la télévision régionale. Ce documentaire qui a été réalisé en 1982 utilise peu d'images datées des années 70.

Bibliographie :

- Jean-Philippe Martin, Histoire de la nouvelle gauche paysanne, La Découverte, 2005.

Martine Cocaud

Transcription

Jeanne Roth
C'était il y a dix ans, la guerre du lait, mouvement social de masse qui remuera profondément le milieu agricole se terminait. La bagarre avait duré deux mois, deux mois pendant lesquels les paysans avaient refusé de livrer leur lait, bloqué camions et usines. Ce mouvement avait surtout touché trois des départements de la Bretagne historique, le Finistère, le Morbihan et la Loire atlantique. En Ille et Vilaine et dans les Côtes du nord, curieusement, la mobilisation avait été moins grande. C'était en fait l'éclatement d'un conflit latent depuis trois ans au moins.
Jean-Baptiste Henry
La grève du lait n'a pas démarré d'un coup effectivement en mai 1972. Mais depuis disons au moins trois ans, 1969, il y avait en Bretagne et dans d'autres régions en France également, notamment dans les Vosges, un certain nombre de manifestations qui s'apparentaient un peu aux formes prises par la grève du lait en Bretagne. C'est-à-dire des manifestations devant les laiteries, des arrêts de camions. Il y avait même eu en 1971 une affaire qui s'appelait l'affaire [Jean Carré], du nom du militant qui avait été à l'origine de cette action, qui avait inauguré si l'on peut dire les actions qui vont être entreprises au cours de la grève du lait, c'est-à-dire le déversement du contenu d'un camion au bord d'une route, dans une action de commando.
Jeanne Roth
Le catalyseur de cette lutte économique d'un type nouveau dans le milieu agricole, calquée sur les luttes ouvrières, en Bretagne - on sortait du Joint français - avait été la baisse du prix du lait à la production, dans le cadre de la péréquation hiver-été, alors qu'à la consommation il était en hausse de neuf centimes.
Jean-Baptiste Henry
Les causes lointaines, c'est en fait d'une part le changement du paysage laitier en Bretagne depuis une dizaine d'années, notamment depuis le début des années soixante, qui s'est traduit par la mise en place d'une industrie de transformation très puissante en Bretagne, beaucoup plus puissante d'ailleurs que dans d'autres régions françaises, parce qu'elle s'est installée à partir de presque rien. Et on avait donc affaire à de très grandes entreprises devant lesquelles les producteurs se trouvaient sans recours et où les relations disons d'homme à homme n'avaient plus aucune possibilité de s'exprimer. Ils avaient un peu l'impression d'être devenus des numéros, à la fois devant de grandes entreprises privées aussi bien que devant les grandes coopératives qui s'étaient créées à la même époque. Une deuxième raison, c'était disons les premiers effets de la modernisation de l'agriculture, mais pas seulement au niveau laitier, la modernisation de l'agriculture bretonne qui avait avancé à grands pas au cours des années soixante, Les premiers résultats commençaient à apparaître et disons que l'efficacité qu'on attendait des agriculteurs, à savoir la conquête du pouvoir économique, l'augmentation des revenus, la création d'emplois etc., ces objectifs n'apparaissaient pas clairement comme remplis pleinement au moment du début des années soixante-dix.
Jeanne Roth
Ce mouvement a pris une grande ampleur, ça a surpris ?
Jean-Baptiste Henry
Ca dépend de la surprise de qui on parle, il semble bien que la plupart des acteurs, notamment les entreprises laitières et les pouvoirs publics et aussi d'ailleurs le syndicalisme officiel, parce qu'il faut bien dire que c'est un mouvement qui est né à partir de la base, et que les fédérations nationales des syndicats d'exploitants agricoles ont été complètement court-circuités dans l'affaire et se sont d'ailleurs retournés contre les initiatives prises par les producteurs à cette époque.
Jeanne Roth
Les conséquences de cette grève du lait, qui pour la première fois posait donc le problème de la rémunération intégrant le paiement de la force de travail, se font sentir aujourd'hui encore. Les scissions syndicales qui ont eu lieu depuis en découlent directement, de même d'ailleurs que la remise en cause par certains du productivisme.