La vocation électronique de la Bretagne et la crise

29 juillet 1975
03m 49s
Réf. 00067

Notice

Résumé :

L'électronique est actuellement en crise. Cette industrie créatrice d'emplois féminins est depuis les années 1970 un pilier de l'économie bretonne. L'industrie des télécommunications semble être une nouvelle perspective économique pour la région.

Date de diffusion :
29 juillet 1975
Source :

Éclairage

L'expression "vocation électronique" de la Bretagne est inadéquate puisque, d'emblée, il s'est agi de développer les télécommunications qui s'appuient sur l'électronique, puis l'informatique. La volonté de décentralisation d'un service de l'Etat, l'action d'hommes comme Pierre Marzin, originaire du Trégor, directeur du Centre national d'Etudes des Télécommunications (CNET) ou René Pleven, président du CELIB font qu'en 1958, il est décidé d'installer à Lannion le CNET. Ce centre de recherches doit permettre l'implantation d'usines liées à l'activité de celui-ci. C'est le gouvernement qui exploite l'expression "vocation électronique". Les usines qui s'installent dans la région de Lannion, à Brest, à Rennes, bénéficient d'aides de l'Etat et des communes. Les entreprises utilisent les techniques mises au point par le CNET et emploient de la main-d'oeuvre locale. En Bretagne, l'emploi dans cette branche passe de 609 au recensement de 1962 à plus de 13 000 en 1975, dont plus des deux tiers de femmes. Or, et contrairement à ce que dit le commentateur, cet emploi de femmes est primordial car les autres entreprises créées dans le cadre de la décentralisation avaient plutôt donné des emplois aux hommes (telle l'usine Citroën à Rennes) et, d'autre part, l'exode rural venait en priorité des jeunes femmes d'origine rurale. Les jeunes filles et les femmes étaient fort appréciées dans ce type de production qui demandait de la précision et de l'habileté. A la CSF de Brest, on a recruté celles qui avaient une formation de couturière. Autrement dit, dans cette première phase, on a un centre de recherches qui draine surtout une main-d'oeuvre d'ouvriers (ou plutôt d'ouvrières) non qualifiés. Quant aux cadres, ce sont souvent des Bretons émigrés qui reviennent dans leur région d'origine. Cette décentralisation réussie entraîne un dynamisme économique qui touche aussi le bâtiment et le secteur tertiaire. Mais en 1975, des difficultés apparaissent liées à la réduction du marché et aux modifications technologiques dues aux recherches du CNET. Les nouveaux produits exigent moins de main-d'oeuvre. Des restructurations conduisent à des fermetures d'usines et à des licenciements, principalement d'ouvriers et d'ouvrières non spécialisés ; Guingamp, Morlaix, Lannion sont touchés principalement dans les années 1980-1985.

En savoir plus :

Avec l'appui financier de l'Europe, la formation du personnel a pu être développée, ce qui a facilité l'arrivée d'entreprises nouvelles, entreprises de main-d'oeuvre non qualifiée. Le secteur des télécommunications a su attirer des entreprises qui font surtout appel à des techniciens, des ingénieurs en s'appuyant aussi sur les centres de recherches des universités bretonnes. Ainsi, par exemple, Lannion s'appuie sur son capital de matière grise et les grandes entreprises situées à proximité du CNET sont passées de la production en série nécessitant beaucoup de main-d'oeuvre à la recherche, avec la mise au point de prototypes. Elles emploient désormais essentiellement des ingénieurs.

Bibliographie :

- Michel Phlipponneau, Le modèle industriel breton, 1950-2000, Rennes, PUR, 1993.

Jacqueline Sainclivier

Transcription

Alain Pelletier
C'est au début de cette décennie que l'on a commencé à parler de la vocation électronique de la Bretagne. Les responsables l'ont dit, c'est grâce à elle, que cette région pouvait espérer figurer un jour dans le groupe de tête du progrès national. Quelques années ont passé, le chiffre d'affaire de l'électronique dans cette région représente environ 6% du chiffre national. 10 grandes entreprises et une quarantaine de sous-traitants y emploient quelques 15 000 personnes dont 10 000 femmes. C'est peu, dira t-on, mais c'est l'électronique qui a permis en moins de 10 ans de créer 10 000 emplois féminins autour des trois grands pôles que sont Lannion, Brest et Rennes. C'est elle aussi qui, ces dernières années, a le plus contribué au développement industriel de la région. C'est qu'en France, le taux de croissance annuelle de l'électronique a été jusqu'à l'an dernier de 17%. Il fallait bien rattraper le retard pris en matière d'informatique, de télévision et de télécommunications. Et puis est survenue la crise, le tableau rose est devenu gris, il est aujourd'hui presque noir. Quelques chiffres pour le dresser. Si le niveau d'activité est resté stable, début juillet, les commandes sont de 20% inférieures à ce qu'elles étaient l'an dernier. Et dans nombre d'entreprises, on vit à la petite semaine. Quelques unes ont du réduire les horaires hebdomadaires et il n'y a plus d'embauche. Enfin, certaines implantations nouvelles ont été retardées voire ajournées «sine die.» A l'euphorie donc a succédé l'inquiétude, certains chefs d'entreprise le reconnaissent d'ailleurs, on ne reviendra jamais à la quiétude des dernières années. Pourquoi cette amertume alors que le plan réaffirme que dans les 5 prochaines années, l'électronique devrait connaître en France une expansion d'environ 20% et que c'est dans ce secteur que les responsables se sont montrés les plus volontaristes. Tout laisse d'ailleurs à penser qu'ils continueront à l'être et la Bretagne a en être largement bénéficiaire. C'est que le terme de vocation électronique de la Bretagne est impropre, mieux vaut parler en fait de vocation des télécommunications, vocation née à la suite de l'implantation du CNET à Lannion. L'abondance et la qualité de la main-d'oeuvre autant que l'environnement scientifique et humain de la région a favorisé son développement. La part bretonne en matière de fabrication de matériels télégraphiques et téléphoniques est aujourd'hui d'environ 15%, toutes les grandes entreprises de la région travaillent dans cette branche. Filiales de grands groupes qui se sont décentralisés, elles ont donné naissance à la majeure partie des sous-traitants. Ce sont eux, compte contenu de la faible diversification de leur production et de leurs clients, qui ont notamment le plus souffert de la trop faible augmentation de l'équipement téléphonique en France. 18 millions de lignes en 1978, avait-on dit à une époque. Aujoud'hui les prévisions sont de l'ordre de 12 millions pour 1982. En mars, le gouvernement a débloqué des crédits pour l'implantation de 900 000 lignes supplémentaires cette année. Récemment, le Ministre de l'économie annonçait qu'un emprunt de 5 milliards à l'Arabie Saoudite pourrait permettre le financement du téléphone en France dès l'an prochain. C'est la confirmation de ces mesures, le déblocage des crédits et la passation des commandes que les industriels bretons de l'électronique attendent maintenant avec impatience. Car dans ce secteur, il faut environ de 6 à 20 mois pour que la relance soit effective, le temps d'étudier les programmes et de les concevoir. Alors si le 4 septembre, la relance tant attendue est enfin annoncée, la machine se remettra petit à petit en marche. Aucun effet spectaculaire n'est cependant à en attendre avant la fin de l'année. Après, après si la consolidation du dollar favorise les exportations, si les efforts gouvernementaux en matière de télécommunications et de redéploiement industriel sont maintenus, alors l'industrie des télécommunications en Bretagne pourrait connaître un nouvel essor. Il ne faut cependant pas trop s'illusionner, l'électronique offre d'abord des emplois féminins et si l'on ne sait pas créer des emplois pour les hommes dans cette région, elle ne pourra à elle seule suffire à assurer un développement harmonieux.