Les menhirs de Carnac
Notice
Le maire et le président du syndicat d'initiative de Carnac sont inquiets face au nombre toujours grandissant de visiteurs du site de mégalithes. Les menhirs touristes ne sont en effet pas toujours respectueux du lieu.
Éclairage
Carnac est une petite ville du Morbihan, située sur la côte Atlantique, entre le Golfe du Morbihan et la presqu'île de Quiberon. Autour de la ville, près de 3000 monolithes (ou menhirs) se dressent depuis 6000 ans. Ils sont répartis en trois grands alignements (Kerlescan, Kermario et Le Ménec), qui s'étendent sur plus de quatre kilomètres. Les menhirs présents sur ces sites mesurent entre six mètres et soixante centimètres de hauteur, et ont été taillés dans du granit de Carnac. Le nom de "Carnac" peut d'ailleurs se traduire par "le lieu où il y a des pierres".
De nombreuses légendes sont associées à ce site, qui sont autant de tentatives pour percer le mystère de son origine. Ainsi, la légende du cimetière gaulois est très connue des enfants dans les années 1950-1960, comme le montrent le premier et le dernier plan du reportage. D'autres légendes racontent que Saint Conély, poursuivi par des soldats romains les changea en pierres ; ou encore que les menhirs sont des êtres vivants, des pierres gardiennes de secrets et de trésors, des lieux où vivent fées et korrigans...
Le fait est que ces menhirs ont depuis toujours suscité un grand intérêt et fasciné. Dès le XVIIIe siècle, des érudits s'y intéressent particulièrement, et formulent quelques hypothèses quant à l'origine des menhirs, accompagnées des premières tentatives pour établir des plans et des dessins. Parmi les hypothèses les plus souvent reprises figurent celle des stèles funéraires ou des vestiges du camp de César venu conquérir les Vénètes ( Marquis P. C. De Robien, F.F. Royer de la Sauvagère). Mais il faut attendre les premières fouilles menées par James Miln en 1877-1878, qui introduit une méthode rigoureuse d'archéologie, et perpétuées par son élève Zacharie Le Rouzic pour avoir des hypothèses fiables concernant l'origine des menhirs. Miln met ainsi en évidence que le temps de calage des pierres est antérieur à la période romaine, et que les menhirs appartiennent à la même civilisation que les dolmens. On découvre ensuite des offrandes funéraires, ainsi que de nombreux objets de l'époque néolithique.
Depuis les années 1950, les méthodes de datation sont fiables, notamment la méthode au carbone 14. Alliées aux découvertes archéologiques, elles ont permis d'étendre les connaissances concernant la civilisation néolithique qui a dressé ces pierres. On estime ainsi que les menhirs ont été érigés vers 4000 avant JC, mais que de nombreuses générations se sont succédées pour ces constructions, se transmettant tour à tour les techniques. L'érection des menhirs correspondrait à des rites sociaux liés au culte des morts et des ancêtres, qui pourraient s'apparenter à une légitimation de l'appropriation des terres et de leur transmission héréditaire, symbolisée par les menhirs eux-mêmes. D'autre part, un tel site suppose une population de plusieurs milliers de personnes, vivant dans une société hiérarchisée, faisant preuve d'une excellente organisation du travail. La précision des unités de mesure montre que le système métrique utilisé était transmis, ainsi que les connaissances en astronomie, nécessaires pour donner aux alignements une orientation en fonction du ciel (en fonction des axes cardinaux, et pour l'alignement de Kerlescan en fonction des solstices). En ce qui concerne la mise en place des pierres, on constate que les menhirs sont dressés dans des cuvettes minutieusement préparées, après une cérémonie de fondation pendant laquelle des offrandes sont déposées. L'orientation géographique des différents alignements montre qu'ils étaient des repères pour un calendrier lié aux activités rurales. Les menhirs de Carnac seraient donc d'anciens lieux de cérémonies, des sortes de "temples néolithiques", pour reprendre l'expression de J.P. Mohen.
Parallèlement à l'étendue des découvertes archéologiques, qui ont permis d'établir des connaissances fiables sur l'origine des alignements de menhirs, se développe une prise de conscience du fait que les alignements de Carnac représentent un patrimoine commun exceptionnel, qu'il faut préserver autant que faire découvrir. Dès 1830, une politique patrimoniale est mise en place par l'Etat et le site de Carnac est inscrit pour la première fois sur une "liste de classement" des monuments historiques en 1840. En 1879, le ministre de l'Instruction et des Beaux Arts crée une sous-commission des Monuments mégalithiques, qui réalise un inventaire. Un vaste programme d'acquisition par l'Etat est lancé de 1881 à 1889. Avec les premières découvertes archéologiques de Miln et de Le Rouzic, le désir de sauvegarde du patrimoine croît. Ainsi, un local exposant les objets découverts par Miln est inauguré en 1882, et Zacharie Le Rouzic consacre sa vie à la restauration et à la consolidation des mégalithes, jusqu'à sa mort en 1939.
Les menhirs de Carnac suscitent également l'attention des visiteurs. Dès le début du XXe siècle, de nombreuses cartes postales représentant les alignements de pierres sont tirées. Depuis les années 1950, avec le développement du tourisme et des loisirs, le nombre de visiteurs ne cesse de croître, pouvant menacer la préservation des menhirs. C'est là tout le problème posé dans le reportage : les visiteurs laissent derrière eux des détritus et leur nombre croissant menace la stabilité des pierres dressées ainsi que le couvert végétal. Toutefois, il s'avère que c'est grâce à l'intérêt qu'ont suscité les alignements de Carnac que la plupart des menhirs ont conservé le même aspect et le même emplacement qu'à l'époque néolithique. Les visiteurs sont également une source de revenus nécessaires à la préservation du patrimoine. La question est donc de savoir comment préserver un tel patrimoine sans pour autant empêcher les visiteurs de le découvrir.
De nombreux projets ont été proposés. Finalement, en 1990, l'Etat, en collaboration avec les collectivités locales, a mis en place un nouveau programme d'aménagement du site, qui allie la sauvegarde des pierres à une information pédagogique disponible pour les visiteurs, signifiant une régulation de l'accès aux alignements. Depuis l'été 1991, le site est donc fermé au public l'été en dehors des visites-conférences organisées avec un nombre réduit de visiteurs. Un grillage a été posé afin de restaurer la végétation, faire disparaître les traces de piétinements des visiteurs et ainsi prévenir le déchaussement des mégalithes. Le site de Carnac accueille aujourd'hui plus de 800 000 visiteurs par an.
Bibliographie :
Jean-Pierre Mohen, Les Alignements de Carnac-Temples néolithiques, Paris, éditions du Patrimoine, collection "Itinéraires", 2000.
Anne Elisabeth Riskine, Carnac, l'armée de pierres, Paris, Imprimerie nationale, 1992.
Charles-Tanguy Leroux et Yvon Boëlle, Carnac, Locmariaquer et Gavrinis, éditions Ouest France, 2006.