Josiane la sémaphoriste

17 avril 1993
06m 23s
Réf. 00431

Notice

Résumé :

A la mort de son mari, Josiane a repris l'activité de son époux au sémaphore d'Etel. Elle a appris son métier en observant la nature, et, s'est petit à petit imposée auprès des marins, qui se laissent guider à travers la barre, réputée dangereuse.

Type de média :
Date de diffusion :
17 avril 1993
Source :
FR3 (Collection: Littoral )

Éclairage

Au XIXe siècle, Etel est un village de pêcheurs de sardines. Suite à des crises de la sardine, la pêche au thon devient la plus importante à la fin du XIXe siècle. Quelques années plus tard, Etel devient d'ailleurs un des premiers ports d'armement thonier en France. Le port connaît un regain d'activité après la Seconde Guerre mondiale et le développement de la pêche d'espèces plus noble. Mais vingt ans plus tard, le nombre de pêcheurs diminue et la plaisance devient prépondérante à la fin des années 1980.

Afin de guider les bateaux souhaitant pénétrer dans la ria, le sémaphore de la barre d'Etel, situé sur la commune de Plouhinec, a été construit en 1960. La barre d'Etel doit son nom à un banc de sable sous-marin situé dans le prolongement des dunes de Plouhinec-Erdeven, qui se déplace au gré des vents et des marées, rendant le passage difficile. L'endroit est riche de dramatiques histoires comme celle du chavirage du canot de sauvetage d'Alain Bombard le 3 octobre 1958, où périrent 9 personnes.

Le sémaphoriste guide les navires pour le franchissement de la passe d'une rivière ou d'un port. Il est le seul habilité à guider les navires dans leurs mouvements et peut juger le passage impossible. Le sémaphore de la barre d'Etel est tenu par Josiane Péné, seule femme sémaphoriste civile de France. A la mort de son mari en 1980, alors sémaphoriste d'Etel, elle prend la relève. Elle repère les mouvements du banc de sable, les localise et se renseigne sur l'évolution des profondeurs. En fonction des résultats, elle prend des repères qui lui servent à guider ensuite les navires. Quand la traversée est trop redoutable elle place alors une flèche rouge interdisant ainsi le passage à tous navires. Dans les années 1970, elle guidait essentiellement des gros chalutiers qui vendaient sur La Rochelle. Les premières années, les veilles se faisaient alors 2h avant la pleine mer et 1h après la pleine mer. Dans les années 1980, l'importance de la plaisance va modifier ces horaires. Les veilles se font 3 heures avant la pleine mer et 2 après. La nuit, le passage reste interdit. A la nuit tombée, la sémaphoriste ne peut plus surveiller le banc de sable à la jumelle et guider ainsi les bateaux entrant ou sortant de la rivière.

Soline Billon

Transcription

Josiane Pene
Quand mon mari est venu, bon ben, il connaissait, il connaissait le niveau de la mer, il était Etélois, il connaissait la passe, il connaissait les courants, il connaissait les vents, il avait des, une notion du travail. Quand il est tombé malade, j'ai pris la suite. Et quand il est décédé, la mairie a accordé que ce soit une femme qui travaille au sémaphore. Et puis moi bon ben, j'ai appris comme ça, en regardant, puisque je ne connaissais absolument rien à la mer, je ne suis pas une fille de la mer. J'ai appris au départ avec lui, à savoir d'où venait les vents et puis après on apprend toute seule, en regardant dans la nature si l'on veut, on regarde comment travaille la mer, on apprend sur le tas.
(Silence)
Josiane Pene
Tout à fait au départ, le premier bateau que j'ai eu ça a été, comme partout quand on rentre dans un travail, je pense on a toujours peur de ne pas réussir, là bon, on n'a pas droit à l'erreur. Le seul problème qu'il y a eu c'est que le bateau, enfin le patron du bateau au départ n'était pas, c'est lui qui était pas fier. Il devait se dire "je passerai ou je ne passerai pas ? " et on s'est un petit peu accroché, enfin pas méchant, puis j'ai dit : s'il avait confiance, il rentrait, s'il n'avait pas confiance, il repartait. Alors il a accordé la confiance, puis ça a été, après tout a suivi. Pour les marins, enfin, quand ils rentrent à Etel, c'est suivant les intonations de la voix plutôt, c'est... Bon ben on sent quand il parle s'il y a une confiance, bon ça va être "Bonjour, est-ce qu'on peut rentrer ?", ça va être naturel et puis autrement c'est "Pour entrer à Etel, comment on fait?", c'est toujours des petits détails comme ça. Alors au son de la voix, aux intonations de la voix, on sait bon s'ils ont confiance, ou s'ils ont pas. Ca arrive qu'on va parler de la famille et on va parler d'autres choses avec le marin. On ne va pas forcément parler. "Je rentre à Etel" et puis c'est fini, la conversation s'arrête là. Donc, autrement on va discuter avec eux et si c'est des gens que je connais, bon il y a les nouvelles de la famille, si la dame attend un bébé, c'est pour quand, enfin c'est comme tous les conversations. Alors, ici j'habite avec ma fille Andréanne, c'est tout. Pour vivre ici, il faut aimer son travail, autrement c'est pas possible. Et observer, on est obligé tous les jours, tous les jours de regarder comment évolue la mer, comment évoluent les bancs de sable parce que ici c'est le problème, donc il faut tous les jours à basse mer, regarder si le banc de sable a avancé. Si la mer est belle, comme l'été par exemple, les bancs de sable ne bougent pas. Il y en a un qui reste, bon ben il va rester trois mois comme ça. Si c'est comme maintenant aux périodes où on a du mauvais temps, où on a de la houle qui arrive, c'est des grandes marées, on est obligé tous les jours, tous les jours de suivre la mer.
(Bruits)
Josiane Pene
Alors, les repères qui sont sur le balcon, ça nous sert à localiser les bancs de sable. En ce moment, j'en ai un grand qui part du premier, deuxième, troisième, le quatrième piquet, jusqu'à la côte d'Erdeven. Les deux du milieu, c'est la passe, donc le bateau doit passer au milieu et le premier, ça repart à un autre banc de sable qui va vers la droite. Alors dès qu'on a eu un mauvais temps, je suis obligée de surveiller de nouveau les bancs de sable et de recommencer les repères. Si la mer est mauvaise, si je vois qu'un tout petit bateau de 8 mètres, enfin les petits côtiers d'ici, ils ne peuvent pas passer, je mets la boule noire en haut, donc c'est une interdiction pour eux, mais elle peut être belle quand même pour des chalutiers plus importants. Et si pour les deux la mer est mauvaise, bon il y a une tempête ou quelque chose, à ce moment là, je mets la barre en croix là, alors la flèche, au lieu d'être verticale, est horizontale, et à ce moment là, c'est une interdiction à tous les navires. Mais, c'est à moi de décider. La mer commence à être belle, on eu du mauvais temps, donc on a eu de la houle et maintenant je remets droit, donc c'est une, je donne l'autorisation au bateau de sortir d'Etel.
(Bruits)
Josiane Pene
Ah tu fais attention, par moments, il y a une petite houle qui arrive !
Navigateur
Salut ! J'ai pas entendu Josiane.
Josiane Pene
Tu continues comme ça, tu fais attention parce qu'il y a une houle par moment.
Navigateur
Ah oui d'accord entendu !
(Bruits)
Josiane Pene
Légèrement à gauche !
Navigateur
Légèrement à gauche, d'accord !
(Bruits)
Josiane Pene
Tu continues comme ça.
Navigateur
D'accord !
(Silence)
Josiane Pene
Tu vas encore un tout petit plus loin.
Navigateur
Entendu Josiane, d'accord !
(Silence)
Josiane Pene
Droit comme ça.
Navigateur
D'accord !
(Silence)
Josiane Pene
OK ! Ça y est, tu es sorti. Arrivé là maintenant, le bateau il est sorti. Pour moi, c'est terminé.
(Bruits)
Josiane Pene
Je travaille 7 jours sur 7. Il n'y a pas de samedi, il n'y a pas de dimanche. Je travaille toujours 3 heures avant la pleine mer, deux heures après, ce qui fait 5 heures par jour. Les loisirs donc, ça se passe au moment de la basse mer, ça c'est l'hiver. Pendant les vacances de pâques, pendant les congés assez prolongés là où il y a des voiliers donc c'est fini ça, le système 5 heures, c'est terminé. Et l'été, bon ben c'est point d'interrogation. Et autrement, comme je ne peux pas me déplacer, c'est les amis qui se déplacent pour me voir.
(Bruits)
Josiane Pene
Ah non, si on me demandait maintenant de choisir entre retourner vivre à la campagne et continuer ici, je reste ici.