L'affaire Brunou

05 janvier 1971
04m 14s
Réf. 00444

Notice

Résumé :

Une école catholique de Quimperlé dans le Finistère est confrontée à un affaire de mœurs. Une de leur enseignante, Mme Brunou, s'est mariée à un homme divorcé. Ce mariage a provoqué son licenciement pour des raisons de morale chrétienne.

Date de diffusion :
05 janvier 1971
Source :

Éclairage

En France, l'opposition entre école publique laïque et école privée confessionnelle - même si elle a aujourd'hui tendance à s'atténuer - est toujours latente. Cet affrontement remonte à 1808, date de création par Napoléon de l'Université impériale. Celle-ci reçoit le monopole de l'enseignement. Les institutions et pensions privées sont de fait soumises à une surveillance étroite : leurs directeurs doivent avoir reçu un brevet pour pourvoir exercer et elles ne peuvent pas présenter leurs élèves au baccalauréat. Pour pouvoir se présenter, les élèves doivent avoir effectué leurs deux dernières années dans l'enseignement public.

La loi Falloux de 1850 - favorable à la liberté de l'enseignement - met fin au monopole de l'école publique mais non à l'opposition entre école publique et école privée. Tout au long du XXe siècle, cet affrontement est réactivé par des crises ponctuelles au niveau national et local, montrant la vivacité des tensions entre d'un côté les promoteurs de l'école "libre" et de l'autre ses détracteurs. La laïcisation du personnel enseignant en 1866, l'interdiction faite aux congréganistes d'enseigner en 1902 ou encore la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905 entérinent la scission de l'enseignement en France. En 1959, la loi Debré - organisant par contrat les rapports entre l'enseignement privé et l'Etat - ne satisfait ni l'enseignement catholique qui doit s'engager à suivre les mêmes programmes que l'enseignement public et à accueillir tous les élèves sans discrimination, ni les laïques qui y voient une délégation du service public.

En Bretagne, l'école privée catholique est très bien implantée. Dans les années 1970, elle accueille près de 50 % des élèves du primaire et du secondaire. Les débats et les tensions entre enseignement public et enseignement privé sont par conséquent très vifs dans cette région. En 1970, l'affaire Brunou cristallise ces tensions. En 1958, une institutrice est engagée par un établissement catholique morbihannais. Pendant les années 1960, elle se marie puis divorce et se remarie en 1970. La directrice de l'enseignement estime alors que ce nouveau statut ne permet plus à la jeune femme d'enseigner et lui demande en vain de démissionner. Celle-ci est finalement licenciée. Cette affaire révèle l'existence de tensions persistantes entre enseignement privé et enseignement public. Elle met à jour un clivage entre les partisans de l'une et l'autre des deux écoles. Certains parents décident de ne plus envoyer leurs enfants dans la classe de cette institutrice tandis que d'autres - pour qui la vie privée de la jeune femme ne remet pas en cause ses capacités éducatives - la soutiennent.

D'autres évènements au cours des années 1970 et 1980 - comme par exemple la loi de 1977 sur la parité des traitements entre enseignants du public et ceux du privé - réactiveront ce dualisme scolaire et idéologique.

Jennifer Gassine

Transcription

Intervenant
Les parents, de toute façon, ne peuvent absolument pas admettre qu'un maître leur soit imposé, première chose. Ceci signifie... et surtout imposé par une administration lointaine, et qui, dans cette histoire, s'est comporté, je pense pouvoir le dire, davantage comme un gendarme que comme un élément de dialogue.
Journaliste
Est-ce qu'on n'aurait pas poussé un peu les parents aussi à refuser que leurs enfants suivent les cours de madame Brunoux ?
Intervenant
Absolument pas. Absolument pas. Je peux vous dire qu'à l'heure actuelle, seuls sont informés de l'affaire, et donc ont pu prendre position, d'ailleurs sans aucune ambiguïté, les quelques responsables de parents de l'école que les parents, d'ailleurs, choisissent pour traiter en leur nom ce genre de problème et bien d'autres. Les parents ne savent rien. Et nous avons bien l'intention, d'ailleurs, de les réunir ces jours-ci, pour précisément leur raconter tout ce qui s'est passé. Mais les parents ne sont pas au courant. Alors quand dit... on l'a dit, hier, à un poste périphérique, que les élèves avaient été conditionnés... que c'est parce qu'ils avaient été conditionnés qu'ils avaient quitté la classe où l'enseignante était rentrée, c'est monstrueux de dire des choses pareilles. Je ne vois pas quand ils auraient été conditionnés étant donné qu'ils sont rentrés hier, à l'école, que tout ceci s'est passé juste alors qu'ils rentraient à l'école après 15 jours de vacances. Vous comprenez, en réalité, je ne les ai pas interrogés, mais je suis persuadé que si ces enfants-là sont partis, ce n'est absolument pas du tout parce qu'ils en voulaient en quoi que ce soit à madame... à l'intéressée. Ils n'ont absolument aucune raison de lui en vouloir. Mais ils sont partis uniquement, je pense, par fidélité à l'égard de la remplaçante qu'ils apprécient beaucoup. Je crois que ça s'explique très bien par ça. Je trouve absolument désastreux d'avoir mêlé les enfants à une histoire d'adultes, n'est-ce pas ? Et je trouve surtout inadmissible qu'on n'ait pas été davantage aidés à éviter cette épreuve, qui est une épreuve, je pense, autant pour l'intéressée que pour les élèves.
Journaliste
Monsieur Daniel, en tant que représentant des enseignants, est-ce que vous ne trouvez pas qu'une décision qui a été prise, comme celle-ci, soit un petit peu dépassée à notre époque ?
Monsieur Daniel
Je crois que si on se bute sur ce caractère dépassé de la décision, on passe à côté du problème. Le problème est beaucoup plus sérieux, et ce que nous voulons, nous, enseignants dans cette école, préciser, c'est que l'enseignant (mais nous ne jugeons absolument pas madame Brunou), nous voulons absolument préciser qu'il est indispensable que l'enseignant se rende compte, et en particulier dans l'enseignement catholique, que, qu'il le veuille ou non, par la responsabilité qu'il a, que les parents lui ont confiée, il se trouve, et sa vie privée se trouve obligatoirement mêlée au témoignage qu'il porte.
Journaliste
Alors du fait qu'elle se soit mariée à un divorcé, à votre avis, elle ne doit plus jamais exercer ?
Monsieur Daniel
Si, elle peut très bien exercer parce que ce n'est pas incompatible avec un enseignement simplement scolaire. Mais l'enseignement catholique a d'autres exigences qui sont incompatibles avec cet acte qu'elle a posé.
Inconnu
Je ne vois pas du tout pourquoi licencier une personne dont la vie personnelle, la vie familiale, si vous voulez, n'a rien à voir avec l'enseignement.
Journaliste
Là, la phase du licenciement, elle est dépassée. Ce sont les parents d'élèves, cette fois-ci, qui ne veulent plus envoyer leurs enfants?
Inconnu
Oui, mais enfin j'en reviens toujours à mon principe. Je trouve que c'est absurde. Et on en fait un monde pour rien.
Inconnue
C'est surtout du point de vue religieux que ça nous choque, du point de vue foi. Je crois qu'on n'a pas à approfondir, enfin...
Journaliste
A prendre un jugement pareil ?
Inconnue
Oui. Je ne crois pas qu'on est fait, quand même, pour se juger tellement aussi sévèrement les uns les autres.
Journaliste
Madame, vous n'êtes pas d'accord avec ce qu'il s'est passé à Kerbertrand ?
Inconnue 2
Non monsieur, absolument pas.
Journaliste
Pourquoi ?
Inconnue 2
Parce que je trouve qu'il faut juger une personne sur ce qu'elle vaut et non pas sur ce qu'on lui reproche.
Journaliste
Qu'est-ce que vous pensez de la décision des parents d'élèves de ne pas envoyer leurs enfants à l'école ?
Inconnue 2
Ce sont eux les coupables, parce que je voudrais bien savoir le nom de certaines de ces familles. Peut-être que dans leur famille, il y a également des gens dans la même situation.
Journaliste
Vous êtes catholique, madame ?
Inconnue 2
Oui, monsieur, et je suis divorcée, et il y a 40 ans. Et depuis 40 ans, je n'ai pas eu le secours de la religion. J'estime qu'en 1971, ça doit être dépassé. On n'est pas au Vatican, ici.
Journaliste
Vous estimez que c'est un affront qu'on est en train de vous faire ?
Inconnu 2
Pour moi, personnellement, oui.
Journaliste
Et pour vous, madame ? C'est un affront pour vous aussi ?
Inconnue 2
Oui.
Inconnue 3
C'est très difficile de dire son avis sur cette chose-là.
Journaliste
Vous aviez combien d'élèves ce matin-là ? Vous ne voulez pas nous répondre ?
Madame Brunou
Mais comme hier. Je vous ai dit combien hier ?
Journaliste
Hier, il y en avait 6 sur 36 mais alors ce matin ?
Madame Brunou
En fait, aujourd'hui, je n'en ai eu que 2, parce que les autres viennent en car, ils viennent de Clohars et Riec. alors ils ne sont pas là. De toute façon [incompris].
Journaliste
Est-ce que vous pensez, cet après-midi, en avoir davantage ?
Madame Brunou
Je ne sais pas. Je verrai.