Kig ha farz

09 juin 1967
10m 22s
Réf. 00893

Notice

Résumé :

Recette de cuisine : à Tréguier,  Madame Darchen, qui tient l'hôtel de la tour d'Hastings explique comment cuisiner la Kig ha farz avec ses fars : farz gwen et farz du (un salé et un sucré) que l'on fait cuire dans le bouillon dans des sacs en tissu.

Type de média :
Date de diffusion :
09 juin 1967
Source :

Éclairage

Nous avons sélectionné cet extrait pour le charme désuet des premières leçons de cuisine filmées à la télévision. Et cette leçon nous présente, pas à pas, un plat traditionnel de Basse-Bretagne basé sur l'association de viandes, de légumes et de céréales... association que l'on retrouve somme toute dans de nombreux plats traditionnels régionaux.

Cette recette est considérée comme une spécialité du Léon et, dans le cas présent, les cuisinières développent la version la plus complète avec deux viandes (le lard et le bœuf) et surtout deux fars, un salé fait de farine de blé noir et l'autre doux réalisé avec de la farine de froment. Far qui cuit dans un sac plongé dans le bouillon et qui, coupé en tranches (ou autrefois émietté, nous dit la cuisinière), accompagne viandes et légumes.

Ce plat plus ou moins oublié dans les années 60 est maintenant largement présent dans les restaurants - et sous vide dans les supermarchés - qui y voient un des marqueurs culinaires de l'identité bretonne.

Martine Cocaud – CERHIO – UHB Rennes 2

Martine Cocaud

Transcription

(Bruit)
Inconnu 1
[Inaudible] non, je suis pressé, non, ma femme attend. Il y a le Kig a farz à faire à la maison à midi.
(Bruit)
Inconnu 1
Non, ça va, non, on est pressé.
(Bruit)
Journaliste
Madame [Darchette], est-ce qu’on peut dire que la recette du kig ha farz est une recette difficile à réaliser ?
Madame Darchette
Oh non, Monsieur, du tout, elle est très facile à faire. Mais seulement, ça s’accompagne de beaucoup de légumes et dans le Trégor, ici, nous en trouvons beaucoup. Nous sommes dans le pays des légumes frais d’ailleurs, les pommes de terre surtout, ça on en trouve mais couramment tous les jours.
Journaliste
Dites-moi, que faut-il exactement pour faire si vous voulez, un kig ha farz de 6-8 personnes disons ?
Madame Darchette
Eh ben, il nous faut du bœuf d’abord, dans les 2 kilos.
Journaliste
Oui !
Madame Darchette
Et l’os à moelle, les jarrets de porc - salés toujours - et un morceau de lard aussi, toujours salé. Ensuite, un peu de saucisson, après ça….
Journaliste
Je vois là-bas que vous avez des légumes.
Madame Darchette
Oui, nous avons toujours des légumes tous frais ici à Tréguier. Un beau chou, tout blanc, tout frais de ce matin, poireau, oignon, piquet….
Journaliste
De clou de girofle, c’est bien ça, en effet.
Madame Darchette
Clou de girofle, pardon, j’avais oublié. Alors carottes, vous mettez à peu près 1,5 kilo, 2 kilos de carottes ; les oignons, 4 ou 5 aussi et un paquet de poireaux.
Journaliste
Et puis alors, je vois également des pommes de terre.
Madame Darchette
Ah, les pommes de terre, c’est pour après ça. Ça se cuit dans un petit filet qu’on met dans le pot au feu et qu’on retire au dernier moment pour accompagner toute cette viande.
Journaliste
Puis alors, il y a encore beaucoup de choses sur la table.
Madame Darchette
Ah, tout ça, mais tout ça, c’est pour le far.
Journaliste
Ah !
Madame Darchette
Oui !
Journaliste
Alors là, c’est une tâche plus délicate de quoi s’agit-il là ? Qu’est-ce qu’il vous faut pour les fars alors ?
Madame Darchette
Pour les fars, je fais un far sucré et un far salé.
Journaliste
Oui !
Madame Darchette
Alors, dans le far salé, je mets mes pruneaux. On le sale un peu avec un tout petit peu de sel.
Journaliste
Oui, alors avec une farine, alors une farine de… ?
Madame Darchette
Une farine de blé noir.
Journaliste
Une farine de blé noir.
Madame Darchette
Oui, ensuite, vous mettez un quart de lait et un quart de pot au feu.
Journaliste
Du bouillon de pot au feu pour délayer ?
Madame Darchette
Du bouillon de pot au feu, mais, refroidi.
Journaliste
Voilà, je pense qu’il vous faut du sel, du poivre.
Madame Darchette
Ah, sel et poivre, oui. Le poivre, je n’en mets pas, rien que du sel.
Journaliste
Rien que du sel, et puis, un peu de beurre, tout ça de beurre ?
Madame Darchette
Ah non Monsieur, dans les 100 grammes, 150 grammes.
Journaliste
Bon, je pense qu’on a à peu près vu tout ce qu’il nous fallait ?
Madame Darchette
Ah oui, mais seulement le far, c’est pour après.
Journaliste
Alors, nous allons pouvoir voir commencer la fabrication de notre kig ha farz.
Madame Darchette
Ah oui, là, tout de suite.
(Silence)
Journaliste
Alors, première opération, le choix de la marmite je suppose ?
Madame Darchette
Ah oui Monsieur, sûrement le choix de la marmite. Il nous faut une très grande, celui qui a une en terre, c’est peut-être mieux. Mais enfin, moi, je me sers toujours de ma grande casserole ici.
Journaliste
Alors, qu’est-ce que nous allons mettre dedans ?
Madame Darchette
Je commence par mettre la viande.
(Bruit)
Madame Darchette
Le bœuf d’abord.
Journaliste
Oui !
(Bruit)
Madame Darchette
L’os à moelle.
(Bruit)
Madame Darchette
Le jarret, ça, c’est pour après.
Journaliste
Ah, on ne le met pas tout de suite ?
Madame Darchette
Non, d’ici une heure.
Journaliste
Voilà, les poireaux.
Madame Darchette
Poireaux, oignons, carottes, navet, enfin le tout.
(Bruit)
Journaliste
Bien.
Madame Darchette
Et voilà !
Journaliste
Voilà, on sale, on poivre pas encore ?
Madame Darchette
Si, j’ai déjà mis dans mon eau.
Journaliste
Voilà, parfait, qu’est-ce que nous allons faire du chou ?
Madame Darchette
Le chou, Monsieur, je vais le faire blanchir tout de suite. On le met dans le pot au feu avant de servir.
(Bruit)
Journaliste
Voilà, la première opération va donc se trouver réalisée. Alors, maintenant, qu’est-ce que nous allons faire ?
Madame Darchette
Ben, nous allons faire le far.
Journaliste
Le Far, en fait, les fars si j’ai bien compris ?
Madame Darchette
Mais oui, Monsieur.
Journaliste
Parce qu’il y en a deux.
Madame Darchette
Il y a deux, le blanc et le noir.
Journaliste
Alors, comment s’y prend-on ?
Madame Darchette
Voilà, je vais vous faire voir tout de suite. Je prends ma farine, une livre de farine.
Journaliste
Blanche ?
Madame Darchette
Blanche, ensuite, 4 cuillerées de sucre.
(Bruit)
Journaliste
En voilà 4.
Madame Darchette
Je remue un peu, je casse les œufs.
Journaliste
Les œufs entiers ?
Madame Darchette
Entiers toujours, oui.
Journaliste
3 œufs entiers.
Madame Darchette
On remue bien.
Journaliste
En somme, à l’origine, c’est un peu comme une pâte à crêpe si j’ose dire ?
Madame Darchette
C’est la vraie pâte à crêpe mais un peu plus lourde.
Journaliste
Ah oui ?
Madame Darchette
Oui, moins légère.
Journaliste
On délaye avec du lait ?
Madame Darchette
Avec du lait, oui, un demi-litre de lait.
(Bruit)
Journaliste
Alors je crois, il y a une chose très importante, il ne faut qu’il y ait de grumeau.
Madame Darchette
Ah non, sûrement pas.
(Bruit)
Journaliste
Vous avez l'air d'avoir le coup, vous en avez….
Madame Darchette
Ah, j’ai tellement fait de crêpes.
Journaliste
Tant que ça ?
Madame Darchette
Ah oui, houlà, 300 à 400 au cours de ma journée.
Journaliste
300 à 400 dans la journée ?
Madame Darchette
Oui !
Journaliste
Vous n’avez pas toujours été restauratrice ?
Madame Darchette
Non, mais ça, quand j’étais à Ploumanac’h, on avait une crêperie.
Journaliste
Alors, vous avez gardé le bon tour de main là.
Madame Darchette
Plus épaisse que pour les crêpes.
(Bruit)
Journaliste
Eh bien, tout ça à l’air de marcher très vite.
Madame Darchette
Voilà !
Journaliste
C’est terminé presque.
Madame Darchette
Oui, c’est fini.
Journaliste
Donc, voilà donc la….
Madame Darchette
La blanche.
Journaliste
La blanche, le far blanc.
Madame Darchette
Oui. Alors là,….
Journaliste
On dit farz gwen ?
Madame Darchette
Farz gwen la far du….
Journaliste
Bon, farz du, alors, nous allons le faire maintenant.
Madame Darchette
Le noir.
Journaliste
Voilà, les raisins.
Madame Darchette
Et voilà.
(Bruit)
Journaliste
Deuxième opération, alors maintenant, le far noir.
Madame Darchette
Le noir.
Journaliste
On s’y prend de la même façon ?
Madame Darchette
Pareil, mais seulement, avec un peu de bouillon !
Journaliste
Oui. Et puis, une farine…
Madame Darchette
Une farine toute noire.
Journaliste
De sarrasin.
Madame Darchette
Oui, sarrasin.
Journaliste
Voilà.
(Bruit)
Journaliste
Alors là, vous y mettez ?
Madame Darchette
Une bonne cuillerée de sel.
Journaliste
Sel.
Madame Darchette
Oui !
Journaliste
En fait alors, tout à l’heure, nos invités vont….
Madame Darchette
Ah, ils vont se régaler.
Journaliste
Ils vont trouver pour les goûts sucrés ou pour les goûts salés ?
Madame Darchette
Ah oui.
(Bruit)
Journaliste
Alors, dans ce cas, on n’ajoute pas d’œuf ?
Madame Darchette
Non, pas dans celle-ci.
Journaliste
On m'a dit qu’autrefois, d’ailleurs, le far noir était une…, on l’appelle le farz [krapen]. C'est-à-dire qu’on arrivait à l’émietter, on l’émiettait, je crois.
Madame Darchette
Oui, mais ça, autrefois. Oui, j’en ai entendu parler mais moi, je l’ai jamais fait non plus.
(Silence)
(Bruit)
Journaliste
Alors, on ajoute le bouillon donc, c’est ça ?
Madame Darchette
Oui, voilà !
Journaliste
Le bouillon qui a été refroidi.
Madame Darchette
Il a été refroidi, ah oui, pas chaud, oui.
Journaliste
Oui, alors, tout de même quelque chose m’intrigue maintenant, parce que je vois que vos deux pâtes sont préparées. Alors, je me demande comment on va pouvoir les introduire dans votre soupe.
Madame Darchette
Ah, mais, il y a les poches.
Journaliste
Ah, voilà !
Madame Darchette
On met une ficelle et on plonge ça dans le potage.
Journaliste
Ah, ben, très bien.
Madame Darchette
Et, une heure de cuisson.
Journaliste
Vous allez, maintenant, je crois, ajouter les pruneaux dans celui-ci alors ?
Madame Darchette
Oui, les pruneaux, oui.
(Bruit)
Journaliste
Voilà ! Nous sommes prêts alors, vous allez maintenant en mettre dans les sacs ?
Madame Darchette
Voilà, oui.
Journaliste
C’est une tâche difficile ça ?
Madame Darchette
Oh oui, mais il faut que j’appelle Rosa, Rosa !
Rosa
Oui, Madame.
(Bruit)
Journaliste
Alors, voilà donc le fameux sac ?
Rosa
Ah non, on dit « Sar ». Le vrai nom c’est Sar. D’ailleurs, il a une petite histoire ce sac de far.
Journaliste
Ah bon ?
Rosa
Dans le temps, l’ancien temps, pour une demande en mariage, le jeune homme allait faire sa demande très tard le soir. La jeune fille l’attendait couchée dans un lit clos, les portes tirées. Le jeune homme frappait à une de ces portes, elle ouvrait. Alors, le jeune homme tenait dans sa main un sac exactement comme celui-ci, le fameux far sar.
Journaliste
Oui !
Rosa
Et, si la jeune fille acceptait, l’affaire était conclue. Si elle refusait, les fiançailles n’avaient pas lieu. Donc, cette expression vient de là : « Rendre son sac ». Expression qui est encore employée aujourd’hui, je crois, pour le remerciement d’un ouvrier, rendre son sac.
Journaliste
Ah ben, voilà qui est clair très curieux de trouver cette tradition en Bretagne ce mot. En fait, en tout cas, en ce qui concerne ce sac d’aujourd’hui, là, on ne va pas le rendre, on ne va le rendre à personne. On va le mettre dans le pot de soupe.
Rosa
Ah, pas tout de suite. Il y a encore les jarrets à mettre avant.
Journaliste
Et puis alors, le chou peut-être également, qui restait …
Rosa
Le chou également, oui, comme on l’a fait blanchir. Ensuite, on le met avec le far, en même temps que le far.
Journaliste
Alors, on a encore combien de temps de cuisson maintenant ?
Rosa
Ah, le temps de cuisson, il faut compter pour le far, trois quarts d'heure pour le far blanc ; une heure pour le far noir.
(Silence)